[LSD][RC-2] Fixes after Zoe's proofreading (thanks !! :D)

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@ -16,7 +16,7 @@ En parcourant le programme, une présentation a retenu mon attention: «De
Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, le LSD évoque immédiatement la période hippie et la contre-culture américaine des années 70 — franchement pas une utilisation thérapeutique. Curieux, j'assiste à la présentation de Zoë Dubus, docteure en histoire contemporaine et spécialiste des psychotropes. Ses recherches visent à «éclairer, par une mise en contexte non seulement médicale mais sociale et culturelle, les différentes chronologies des usages médicaux des psychotropes à lépoque contemporaine» ([source](https://dubuszoe.wordpress.com/)).
J'apprends alors qu'entre 1950 et 1970, le LSD est la substance pharmacologique **la plus étudiée au monde**: plus de 1000 articles scientifiques, 40.000 sujets, des dizaines de livres et six conférences internationales. Certain·es y virent un remède miracle et l'expérimentent sur un très large spectre de troubles. Dans plusieurs conditions (soins palliatifs, alcoolisme, psychothérapie), le LSD semblait produire des résultats bien plus spectaculaire que les meilleures techniques connues, en peu de temps, et sans effets secondaires notable. Son coût de production était faible, sa consommation n'entraînait pas d'addiction et quelques prises suffisaient.
J'apprends alors qu'entre 1950 et 1970, le LSD est l'une des substances pharmacologiques **les plus étudiées au monde**: plus de 1000 articles scientifiques, 40.000 sujets, des dizaines de livres et six conférences internationales. Certain·es y virent un remède miracle et l'expérimentent sur un très large spectre de troubles. Dans plusieurs conditions (soins palliatifs, alcoolisme, psychothérapie), le LSD semblait produire des résultats bien plus spectaculaire que les meilleures techniques connues, en peu de temps, et sans effets secondaires notable. Son coût de production était faible, sa consommation n'entraînait pas d'addiction et quelques prises suffisaient.
Pourtant, après 1970, la recherche sur le LSD est complètement à l'arrêt; et pour cause, il est criminalisé dans la plupart des pays du monde. Il figure, encore aujourd'hui, dans les listes de substances les plus sévèrement contrôlées aux États-Unis, aux côtés de l'héroïne et du cannabis.
@ -68,6 +68,8 @@ La recherche publique est privatisée par des éditeurs prédateurs, comme on pa
* [Z-Library](https://singlelogin.re/) pour les livres (une recherche avec le titre fonctionne).
Ces sites sont probablement bloqués par votre fournisseur d'accès à internet. Les copaines de l'asso la Contre-Voie [proposent un service légal](https://lacontrevoie.fr/services/doh/) permettant notamment de contourner ces blocages, l'utilisation des sites restant illégale. Allez-y, et ça améliorera votre vie privée au passage en empêchant de faire fuiter votre historique à des acteurs privés.
Vous pouvez aussi [envoyer un mail](https://dubuszoe.wordpress.com/) à Zoë Dubus pour accéder aux PDF de ses articles.
{{</warn>}}
Malgré ces précautions, ces billets ne sont pas du tout au standard d'un article scientifique. Il n'a pas été relu par des spécialistes. Il est court relativement à la quantité de sujets traités. Il simplifie nécessairement la réalité. Je pense néanmoins que c'est une bonne introduction, qui montre combien le sujet est dense.

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@ -4,7 +4,7 @@ subtitle: D'une découverte passée sous les radars aux expérimentations massiv
date: 2023-07-01
categories:
- Santé
summary: En 1960, le LSD est la substance médicinale la plus étudiée au monde. On lui prête énormément de qualités, notamment en psychiatrie et en soins palliatifs. Que s'est-il passé pendant cette période méconnue?
summary: En 1960, le LSD est l'une des substances médicinales les plus étudiées au monde. On lui prête énormément de qualités, notamment en psychiatrie et en soins palliatifs. Que s'est-il passé pendant cette période méconnue?
imgLicence: «psychedelic-boom» par burningmax - CC BY-NC-SA 2.0
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@ -104,17 +104,19 @@ Hofmann s'y met et part d'un base commune à ces substances : l'acide lysergique
{{<question title="Pardon ?">}}L'histoire est toujours racontée comme ça : Albert synthétise la molécule, l'abandonne, et pouf 5 ans après la re-synthétise et en absorbe par accident. Mais, sérieusement, à quel moment c'est possible ? Des molécules abandonnées, il y en a des centaines, le programme de recherche est terminé. Pourquoi a-t-il relancé la synthèse de ce dérivé particulier de l'acide lysergique, et même pas des autres ?{{</question>}}
La raison est étonnamment mystique pour un chimiste: Hofmann raconte[^lsd_child] que 5 ans après la première synthèse, il est pris d'une «intuition étrange» (*a pelicular presentiment*): il *sent* que le LSD-25 a quelque chose de singulier et n'arrive pas à oublier cette molécule. Sans jamais, de toute sa vie, trouver une explication rationnelle, il déclarera avoir eu le sentiment que la «structure chimique de la molécule l'attirait» et décide de la synthétiser à nouveau, fait rarissime pour une molécule dont l'effet pharmacologique a été jugé inintéressant. Lors d'une [conférence donnée en 1996](https://maps.org/news-letters/v06n3/06346hof.html), il conclut:
La raison invoquée par Hofmann est étonnamment mystique pour un chimiste: il raconte[^lsd_child] que 5 ans après la première synthèse, il est pris d'une «intuition étrange» (*a peculiar presentiment*): il *sent* que le LSD-25 a quelque chose de singulier et n'arrive pas à oublier cette molécule. Sans jamais, de toute sa vie, trouver une explication rationnelle, il déclarera avoir eu le sentiment que la «structure chimique de la molécule l'attirait» et décide de la synthétiser à nouveau, fait rarissime pour une molécule dont l'effet pharmacologique a été jugé inintéressant. Lors d'une [conférence donnée en 1996](https://maps.org/news-letters/v06n3/06346hof.html), il conclut:
> Tout ceci [émergence des tranquillisants, invention de la bombe nucléaire, siècle très matérialiste…, tldr] suggère que cet enchaînement de décisions m'ayant guidé jusqu'au LSD n'est pas tout à fait le fruit du libre arbitre, mais plutôt d'un guidage par le subconscient, par lequel nous sommes tous connectés à la conscience collective et universelle — *(traduction personnelle)*
{{<info title="Une histoire un poil romancée">}}La réalité est un peu moins mystique. Hofmann veut continuer ses recherches dès 1938 mais la production d'ergot de seigle coûte beaucoup trop cher. La seconde guerre mondiale augmente massivement la demande en médicaments à base d'ergot, et on parvient à l'industrialiser. Ainsi, Sandoz autorise Hofmann à reprendre ses recherches. On ne saura jamais pourquoi cette molécule en particulier, mais ce n'est pas le sursaut qu'il raconte, 5 ans après.{{</info>}}
Revenons à ce malheureux Hofmann après l'absorption accidentelle. Pris d'agitations et de vertiges, il doit quitter son laboratoire et rentrer chez lui. Il s'allonge et voit son imagination exploser, accompagnée de visuels kaléidoscopiques, yeux fermés.
{{<question title="Pardon² ?">}}Sérieusement, comment a-t-il pu absorber du LSD-25 à une dose active, connaissant la dangerosité des dérivés d'ergot de seigle et mettant en place des protocoles méticuleux?{{</question>}}
Hofmann n'en sait rien. Mais il a le nez fin et il suppose que le LSD-25 doit être actif à une dose extraordinairement faible pour avoir pu en absorber malgré les protocoles de sécurité. Un seul moyen de le savoir: l'auto-expérimentation — très répandue à l'époque. Deux jours plus tard, il ingère 250 microgrammes, une quantité ridiculement faible. Mais Albert est sérieux et respecte le principe de précaution. Il s'attend à ne rien ressentir et compte augmenter progressivement la dose. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que le LSD est actif dès 20 microgrammes. Rendez-vous compte: on parle de **20 millionièmes de gramme**! Quand on sait que la plupart des médicaments sont dosés à plusieurs milligrammes… Bref, 250 microgrammes, c'est une sacrée dose, de quoi voir du pays.
C'est donc dans toute sa candeur qu'Hofmann s'apprête à vivre la première expérience psychédélique intense sous LSD de l'histoire de l'humanité. Ses sens et sa cognition sont puissamment altérés à tel point qu'il pense mourir. Il rentre chez lui, accompagné de son assistante, et appelle un docteur qui le rassure sur son pronostic vital. Il raconte alors:
C'est donc dans toute sa candeur qu'Hofmann s'apprête à vivre la première expérience psychédélique intense sous LSD de l'histoire de l'humanité. Ses sens et sa cognition sont puissamment altérés. Il pense alors à un empoisonnement et a peur de mourir. Il rentre chez lui, accompagné de son assistante, et appelle un docteur qui le rassure sur son pronostic vital. Il raconte alors:
> Petit à petit, j'ai commencé à apprécier les couleurs et le jeu des ombres sans précédents qui persistaient derrière mes yeux clos. Des images fantastiques et kaléidoscopiques surgissaient : bigarrées, mouvantes, s'ouvrant et se fermant en cercles et en spirales, explosant en fontaines colorées, s'arrangeant et s'hybridant en un flux constant […] Chaque son, comme une poignée de porte ou une voiture qui passe […] générait une image très dynamique […] Le lendemain, mon esprit était clair et une sensation de bien-être, comme une seconde naissance, me traversait […] Le monde semblait comme entièrement neuf — *(traduction personnelle)*
@ -137,12 +139,12 @@ La communauté scientifique imagine dans un premier temps que le LSD est un **ps
## LSD et thérapies de choc : cocorico 🐓
L'hypothèse psychotomimétique est vite abandonnée car trop en décalage les expériences rapportées. Mais en France, on se borne à pathologiser l'état sous LSD et Jean Delay — toujours lui — invente alors le terme **psychodysleptique**, littéralement «perturbateur du fonctionnement psychique». Le mot psychédélique reste aux abonnés absents. Connoté positivement, il suggère un possible effet thérapeutique qui dérange.
L'hypothèse psychotomimétique est vite abandonnée car trop en décalage avec les expériences rapportées. Mais en France, on se borne à pathologiser l'état sous LSD et Jean Delay — toujours lui — invente alors le terme **psychodysleptique**, littéralement «perturbateur du fonctionnement psychique». Le mot psychédélique reste aux abonnés absents. Connoté positivement, il suggère un possible effet thérapeutique qui dérange.
{{<info title="Le cas particulier de la France">}}Si je me concentre sur la France, c'est pour deux raisons: d'abord car son rapport singulier au LSD est une découverte récente basée sur des archives inédites étudiées par Zoë Dubus; ensuite pour éclairer le rapport entre thérapeutes et patient·es, y compris à l'époque actuelle. En lisant la BD [le chœur des femmes](https://www.lelombard.com/bd/le-chœur-des-femmes/le-chœur-des-femmes), qui parle notamment de violences gynécologiques, j'ai appris qu'en France on imposait des instruments et des positions douloureuses, alors qu'ailleurs existaient des alternatives tout aussi efficaces et beaucoup moins douloureuses. Est-ce lié à l'héritage de cette vision froide et méprisante des patient·es, d'une méfiance envers leur expérience vécue?
{{</info>}}
En France, le LSD par exemple expérimenté pour tenter de «convertir» de force des personnes homosexuelles, alors considérées comme malades. En France, des mineurs sont soumis à chocs au LSD par le psychiatre Roland Lanter, sans leur consentement (obligatoire [seulement depuis 2002](https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2014-1-page-27.htm)). Ses intentions sont claires car il parle de «thérapie de dégoût». L'idée est de provoquer un choc si fort qu'il fragmenterait leur égo pour mieux le refaçonner. En l'occurence, il s'agit de les dégoûter de leur orientation sexuelle perçue comme déviante, et donc pathologique.
En France, le LSD est par exemple expérimenté pour tenter de «convertir» de force des personnes homosexuelles, alors considérées comme malades. En France, des mineurs sont soumis à des chocs au LSD par le psychiatre Roland Lanter, sans leur consentement (obligatoire [seulement depuis 2002](https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2014-1-page-27.htm)). Ses intentions sont claires car il parle de «thérapie de dégoût». L'idée est de provoquer un choc si fort qu'il fragmenterait leur égo pour mieux le refaçonner. En l'occurence, il s'agit de les dégoûter de leur orientation sexuelle perçue comme déviante, et donc pathologique.
Jean Weil, l'interne de Lanter, défendra pour sa part une «cure par l'angoisse», qu'il qualifie lui-même de «très traumatisante». Mais d'après Weil, cette violence se justifie car les résultats sont là : des cobayes alcooliques arrêtent de boire.
@ -166,7 +168,7 @@ Son cas est loin d'être isolé et d'autres médecins font une expérience simil
Le LSD, ce n'est pas la même limonade, et c'est alors qu'on commence à envisager une autre voie: prendre soin des personnes à qui l'on en administre.
L'attention au bien-être psychologique et au bien-être physiologique (décoration, musique, calme, présence rassurante et soutenance, etc.) est ainsi nommée *set and settings*, une expression qui perdure aujourd'hui dans les communautés d'usager·es. Le set and settings implique une **individualisation** forte et une **alliance thérapeutique** entre patient·e et thérapeute, à travers des discussions en amont (négocier les buts recherchés, créer un lien de confiance) et en aval (intégrer les expériences souvent intenses).
L'attention au bien-être psychologique et au bien-être physiologique (décoration, musique, calme, présence rassurante et soutenance, etc.) est ainsi nommée *set and settings*. On retrouve aujourd'hui ce terme tant dans les études scientifiques que dans les communautés d'usager·es. Le set and settings implique une **individualisation** forte et une **alliance thérapeutique** entre patient·e et thérapeute, à travers des discussions en amont (négocier les buts recherchés, créer un lien de confiance) et en aval (intégrer les expériences souvent intenses).
{{<figure title="Cette photo illustre un contexte de set and settings classique, ici lors de l'administration de kétamine: une chambre décorée et chaleureuse, un canapé confortable, un masque, et une personne («trip sitter»), pouvant entrer en contact consenti avec le ou la patient·e (crédits: SoundMind Center)." src="ss_ketamine.jpg" width="60%">}}
@ -180,7 +182,7 @@ L'exemple le plus frappant est celui de Joyce Martin, psychiatre et psychanalyst
Le LSD est déstabilisant pour certaines personnes qui demandent alors à être rassurées, par exemple en tenant la main d'un·e accompagnateur·ice bienveillant·e. Le set and settings est donc une pratique de rupture: le toucher est alors totalement tabou en psychiatrie. Mais, pour une raison qui m'échappe, la pratique convainc et les résultats changent drastiquement.
{{<info title="Sauf en France 🙃">}}
Où les patientes sont toujours laissées seules, pétries d'angoisse, en pleine lumière et au cœur des allées et venues dans les chambres d'hôpital. Delay, toujours lui, interprète les demande de contact comme des «pantomimes érotiques» ou comme la manifestation de «névroses d'abandon». Henry Ey, un autre neuropsychiatre français, expérimente les thérapies de choc avec le LSD à Saint-Anne sur 75 femmes. Certaines hurlent et se jettent par terre, demandent à mourir, vomissent, supplient qu'on épargne leurs proches de cette expérience et se terrent dans le mutisme. Elles sont attachées lorsque trop agitées.
Où les patientes sont toujours laissées seules, pétries d'angoisse, en pleine lumière et au cœur des allées et venues dans les chambres d'hôpital. Delay, toujours lui, interprète les demande de contact comme des «pantomimes érotiques» ou comme la manifestation de «névroses d'abandon». Il expérimente d'ailleurs les thérapies de choc avec le LSD à Saint-Anne sur 75 femmes. Certaines hurlent et se jettent par terre, demandent à mourir, vomissent, supplient qu'on épargne leurs proches de cette expérience et se terrent dans le mutisme. Elles sont attachées lorsque trop agitées.
{{</info>}}
C'est sans aucune surprise que les résultats obtenus dans les expériences avec set and settings sont remarquables. L'expérience passe de traumatique à lumineuse. En soins palliatifs, le LSD soulage durablement les douleurs plus que n'importe quel antalgique, et diminue de façon spectaculaire l'angoisse des patient·es face à la mort. Le taux d'abstinence pour l'alcoolisme «résistant» frôle les 50%, un chiffre jamais vu. Cohen traitera des patient·es souffrant de divers troubles de la personnalité, avec une amélioration [dans 73% des cas](https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/383628).

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@ -24,10 +24,11 @@ Le cas de la «cure d'angoisse» au LSD défendue par Jean Weil rend aussi
Mais le fait qu'une majorité de médecins soient des hommes ne rend pas le rôle des femmes insignifiant, bien au contraire.
{{<warn title="L'absence d'histoire n'est pas la non-histoire">}}
L'idée selon laquelle le LSD a été abandonné uniquement parce les hommes se sont refusé au *care*développé par des femmesest trompeuse. En effet, les traces des recherches psychédéliques ont pendant longtemps été quasi-exclusivement masculines, ce qui pourrait penser que les femmes et les pratiques de set and settings sont restées marginales. En réalité, l'histoire les a entièrement **invisibilisées**.
L'idée selon laquelle le LSD a été abandonné uniquement parce les hommes se sont refusé au *care*développé par des femmesest trompeuse. En effet, l'historiographie des psychédéliques a pendant longtemps déterré des archives concernant quasi-exclusivement des hommes, ce qui pourrait laisser penser que les femmes et les pratiques de set and settings sont restées marginales. En réalité, l'histoire les a longtemps **invisibilisées**.
{{</warn>}}
L'histoire a par exemple retenu la synthèse de la psilocybine par Hofmann, mais on oublie que c'est grâce à [María Sabina García](https://fr.wikipedia.org/wiki/Mar%C3%ADa_Sabina), guérisseuse mazathèque, que l'Occident découvre les «champignons hallucinogènes». C'est Margot Cutner, dans un [article pionnier](https://link.springer.com/article/10.1007/BF01562041), qui s'oppose aux thérapies de choc et insiste sur l'importance du toucher dans le set and settings. Joyce Martin et sa thérapie fusionnelle sont encensées : elle est invitée et acclamée dans la plus grande conférence internationale sur le LSD. [Luisa Agusta Rebeca Gambier de Alvarez de Toledo](https://chacruna.net/lsd-and-ayahuasca-in-argentina-the-pioneering-work-of-a-psychoanalyst-in-the-1950s) est la première présidente de l'association des psychanalystes argentins. Elle y introduit l'[ayahusca](https://fr.wikipedia.org/wiki/Ayahuasca) après avoir étudié au contact de thérapeutes indigènes, pratique inédite à l'époque. Elle enrichit le set and settings avec l'utilisation de nourriture et de musique. [Betty Eisner](https://en.wikipedia.org/wiki/Betty_Eisner), psychologue, milite pour une réduction des doses initiales afin de minimiser le risque d'expériences négatives. Elle affirme que les chambres d'hôpital ne sont pas un bon endroit pour mener les expériences et est très influente sur ses amis masculins, bien connus aujourd'hui (Leary, Huxley…). On a déjà parlé de Cicely Sanders, pionnière dans les soins palliatifs.
L'histoire a par exemple retenu la synthèse de la psilocybine par Hofmann, mais on oublie que c'est grâce à [María Sabina García](https://fr.wikipedia.org/wiki/Mar%C3%ADa_Sabina), guérisseuse mazathèque, que l'Occident découvre les «champignons hallucinogènes». C'est Margot Cutner, dans un [article pionnier](https://link.springer.com/article/10.1007/BF01562041), qui s'oppose aux thérapies de choc et insiste sur l'importance du toucher dans le set and settings. Joyce Martin et sa thérapie fusionnelle sont encensées : elle est invitée et acclamée dans la plus grande conférence internationale sur le LSD. [Luisa Agusta Rebeca Gambier de Alvarez de Toledo](https://chacruna.net/lsd-and-ayahuasca-in-argentina-the-pioneering-work-of-a-psychoanalyst-in-the-1950s) est la première présidente de l'association des psychanalystes argentins. Elle y introduit l'[ayahusca](https://fr.wikipedia.org/wiki/Ayahuasca) après avoir étudié au contact de thérapeutes indigènes, pratique inédite à l'époque. Elle enrichit le set and settings avec l'utilisation de nourriture et de musique. [Betty Eisner](https://en.wikipedia.org/wiki/Betty_Eisner), psychologue, milite pour une réduction des doses initiales afin de minimiser le risque d'expériences négatives. Elle affirme que les chambres d'hôpital ne sont pas un bon endroit pour mener les expériences et est très influente sur ses amis masculins, bien connus aujourd'hui (Leary, Huxley…). On a déjà parlé de Cicely Sanders, pionnière dans les soins palliatifs[^dubus_chacruna].
[^dubus_chacruna]: [Cet article](https://chacruna.net/women-and-history-of-set-and-setting/) parle plus en détails de ce que l'on connaît de la vie d'Eisner, Cutner et Martin.
En fait, les méthodes développées par ces femmes sont adoptées partout dans le monde (sauf en France 🫠). Mais aujourd'hui, on ne sait **quasiment rien de la vie de ces femmes**. Pour certaines, **aucune photo n'est disponible**, et on ne connaît même pas la date de leur mort. Mais il serait faux d'en conclure que leur travail était invisible de leur vivant. C'est d'ailleurs pour combler ce trou historiographique que Zoë Dubus travaillera sur le sujet dans les prochaines années.
@ -35,7 +36,7 @@ En fait, les méthodes développées par ces femmes sont adoptées partout dans
## Des essais cliniques de plus en plus contrôlés
Dans les années soixante, plusieurs médicaments sont à l'origine de scandales sanitaires majeurs. Dans le monde, la **thalidomide** (sédatif et anti-nauséeux) crée de [graves malformations](https://en.wikipedia.org/wiki/Thalidomide_scandal) chez des milliers de nourrissons. En France, le **Stalinon** (contre les infections à staphylocoques) crée de graves [séquelles neurologiques](https://fr.wikipedia.org/wiki/Stalinon#Conception_et_distribution). Les états doivent réagir et légifèrent pour sécuriser le système de santé. Aux États-Unis notamment, le monde politique semble abasourdi qu'une molécule puisse être testée sur des patient·es n'étant même pas au courant, sans études rigoureuses préalable. La réaction est immédiate: pour qu'une molécule soit administrées lors de thérapies, les autorités sanitaires doivent donner leur approbation. Pour ce faire, les laboratoires [doivent prouver](https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/383628) l'**efficacité** et la **sûreté** de leurs médicaments.
Dans les années soixante, plusieurs médicaments sont à l'origine de scandales sanitaires majeurs. Dans le monde, la **thalidomide** (sédatif et anti-nauséeux) crée de [graves malformations](https://en.wikipedia.org/wiki/Thalidomide_scandal) chez des milliers de nourrissons. En France, le **Stalinon** (contre les infections à staphylocoques) crée de graves [séquelles neurologiques](https://fr.wikipedia.org/wiki/Stalinon#Conception_et_distribution). Les états doivent réagir et légifèrent pour sécuriser le système de santé. Aux États-Unis notamment, le monde politique semble abasourdi qu'une molécule puisse être testée sur des patient·es n'étant même pas au courant, sans études rigoureuses préalable. La réaction est immédiate: pour qu'une substance soit administrées lors de thérapies, les autorités sanitaires doivent donner leur approbation. Pour ce faire, les laboratoires [doivent prouver](https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/383628) l'**efficacité** et la **sûreté** de leurs médicaments.
Cette évolution de la méthode scientifique met sérieusement à mal les études psychédéliques. En effet, apporter de telles preuves n'est pas une mince affaire. Cette double exigence s'incarne, aux États-Unis, par l'obligation de réaliser des essais cliniques **[randomisés en double aveugle](https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tude_randomis%C3%A9e_en_double_aveugle)**. Encore aujourd'hui considérés comme le *gold standard* en science, l'idée est de prouver qu'une substance a **en elle-même** une bonne balance bénéfices-risques. On cherche alors à exclure le plus possible de facteurs extérieurs pour se concentrer sur l'effet pharmacologique. Dans un essai de ce type, deux groupes sont constitués aléatoirement: un groupe recevra un placebo et l'autre recevra la substance. Ni les participant·es ni les expérimentateur·ices ne sont au courant de la répartition, d'où le *double* aveugle. Ainsi, en comparant les effets rapportés par les deux groupes, on pourra différencier ce qui relève des effets *placebo* ou *nocebo* (c'est-à-dire les effets positifs ou négatifs qui surviennent sans principe actif) des effets imputables à la molécule.
@ -60,69 +61,97 @@ Il faut de plus noter le coût considérable que représente une séance de LSD
{{<figure src="asylum.jpg" width="80%" caption="Photographie d'un asile publiée en 1961 dans une revue scientifique. L'absence d'intimité est manifeste. Comment imaginer une thérapie sereine et individualisée dans ce contexte? ([source](https://psychnews.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.pn.2019.3b29))">}}
## Interlude de mauvaise humeur
## Interlude : les pratiques thérapeutiques doivent évoluer
C'est l'instant « gna gna gna pas content ». Si vous avez la flemme, vous pouvez passer à la [prochaine section]({{<ref "../03-lsd-banned/index.md">}}#contre-culture-xénophobie-et-panique-morale) 😇.
Pour bien réaliser à quel point le set and settings s'inscrit dans un paradigme radicalement différent de ce à quoi nous sommes habitués, il faut que l'on parle de santé publique. Je vais prendre pour exemple deux troubles communs et la façon dont ils sont traités : l'anxiété et les douleurs.
Derrière nous, des dizaines d'années d'expérience ont montré à quel point masquer les symptômes sans soigner les causes aggrave le problème. Comment peut-on encore persister à foncer dans le mur? Bien sûr, le LSD n'a pas été abandonné uniquement parce qu'il coûtait trop cher, mais nous subissons encore et toujours cette logique, et pas uniquement dans le domaine de la santé.
{{<warn>}}J'enlève mon chapeau de rigueur et livre mon opinion dans cette partie, en m'appuyant parfois sur des anecdotes.{{</warn>}}
Derrière nous, des dizaines d'années d'expérience ont montré à quel point masquer les symptômes sans soigner les causes aggrave le problème. Comment peut-on encore persister à foncer dans le mur? Nous subissons encore et toujours cette logique, et pas uniquement dans le domaine de la santé.
### Coût financier et court-termisme, un mauvais calcul
Je pense que l'importance donnée au coût thérapeutique «instantané» d'une thérapie est la conséquence directe de l'application des logiques de rentabilité du privé au secteur de la santé. Certes, le set and settings coûte cher sur le moment, mais il est vraisemblable que le coût des morphiniques et consorts soit supérieur au long court.
L'importance donnée au coût «instantané» d'une thérapie est la conséquence directe de l'application des logiques de rentabilité du privé au secteur de la santé. Certes, le set and settings coûte cher sur le moment, mais probablement beaucoup moins cher sur le long court.
{{<warn>}}Et de toute façon, tout ramener à une logique de coût (court ou long terme) n'est pas pertinent ; comme unique argument, c'est très fragile.{{</warn>}}
Prenons l'exemple des anxiolytiques: ces substances suppriment l'anxiété pour une durée déterminée sans agir sur la cause, tout comme les opïodes rendent la douleur supportable mais n'ont jamais réparé une jambe cassée. À force, le corps s'habitue à la présence de ces molécules et se désensibilise: c'est l'accoutumance. L'effet des médicaments est de courte durée et le corps supplie pour sa dose : c'est l'addiction. Passées quelques semaines d'utilisation, la dépendance à ces produits est déjà extrêmement élevée.
Prenons l'exemple des anxiolytiques: ces substances suppriment l'anxiété pour une durée déterminée sans agir sur la cause, tout comme les morphiniques rendent la douleur supportable mais n'ont jamais réparé une jambe cassée. L'anxiété revient irrémédiablement. Parallèlement, le corps s'habitue à la présence de ces molécules et se désensibilise: c'est l'accoutumance et l'anxiété augmente. L'effet anxiolytique est de courte durée et le corps nous supplie d'en reprendre: c'est l'addiction. Passées quelques semaines d'utilisation, la dépendance à ces produits est déjà extrêmement élevée.
Après plusieurs mois, leur arrêt peut provoquer un syndrome de sevrage grave et leur utilisation à long terme est nocive, parfois de manière irrémédiable, pour les fonctions cognitives. À long terme, les coûts financiers du traitement sont très élevés, sans parler des coûts indirects liés aux sevrages. Et plus important encore, le coût humain.
Après plusieurs mois, leur arrêt peut provoquer un [syndrome de sevrage grave](https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_sevrage_aux_benzodiaz%C3%A9pines) et leur utilisation à long terme est nocive, parfois de manière irrémédiable, pour les fonctions cognitives. À long terme, les coûts financiers du traitement sont très élevés, sans parler des coûts indirects liés aux sevrages. Une thérapie psychédélique ne nécessite qu'une à trois séances et utilise des substances qui ne produisent pas ni dépendance physique ni psychologique, notamment au sens où ils ne suppriment pas chimiquement les sensations désagréables mais offre un angle de vue différent. Mais au fond, est-ce seulement pertinent de se poser la question du coût financier? N'est-ce pas jouer au même jeu que les politiques? La quantité de souffrance générée devrait être la boussole de référence cardinale.
Ça ne devrait pas nous étonner : cette obsession du court-terme est généralisée dans les politiques publiques malgré des conséquences dramatiques à long terme. Elle est peut-être même une des conséquences de l'existence d'une classe politique spécialisée dont les intérêts professionnels ne peuvent pas raisonnablement se confondre avec l'intérêt public au long cours.
Ça ne devrait pas nous étonner : cette obsession du court-terme étant généralisée dans les politiques publiques malgré des coûts (humains, environnementaux, financiers, etc.) dramatiques à long terme. Elle est peut-être même une des conséquences de l'existence d'une classe politique spécialisée dont les intérêts professionnels ne peuvent pas raisonnablement se confondre avec l'intérêt public à long terme.
### Anxiolytiques et opioïdes, une utilisation dysfonctionnelle
Et face au manque de soutien évident, le personnel de santé n'a **pas d'autre choix** que d'adopter cette vision court-termiste. Ainsi de [Cicely Sanders](https://fr.wikipedia.org/wiki/Cicely_Saunders), pionnière dans les soins palliatifs, qui privilégiera les morphiniques aux psychédéliques dans les années 60 pour cette même raison.
Je suis en colère envers la manière dont certaines molécules sont prescrites aujourd'hui, et en particulier les anxiolytiques (pour l'anxiété) et les opïodes (pour la douleur).
### Anxiolytiques et opioïdes, assassins à petit feu
{{<warn title="Il n'y a pas de « meilleure molécule »">}}
Soyons clairs : cet interlude ne cherche pas à convaincre qu'on devrait remplacer les anxiolytiques par du LSD. On a vu que le LSD seul avait un intérêt très limité, voire contre-productif. Chaque substance a son utilité dans un contexte donné. Ce contre quoi je m'insurge, c'est la logique court-termiste et mécaniste : « tel trouble ? tel médicament ». Je souhaite que les thérapies soient individualisées et les besoins des patient·es pris en compte dans une logique de coopération. Pour ça, on a bien sûr besoin de plus de médecins, plus de temps, plus de moyens.
{{</warn>}}
Je suis très en colère envers la manière dont les anxiolytiques sont utilisés aujourd'hui.
Côté anxiolytique, la plupart sont de la classe des [benzodiazépines](https://fr.wikipedia.org/wiki/Benzodiaz%C3%A9pine).
{{<info>}}
Il est d'ailleurs fort probable que vous ou quelqu'un·e de votre entourage ait eu affaire à ces substances (Xanax, Lexomil, Lysanxia, Valium…). 15% de la population française en consommaient au cours de l'année 2015 ([source](https://www.liberation.fr/checknews/2019/07/29/la-france-fait-elle-partie-des-plus-gros-consommateurs-de-medicaments-dans-le-monde_1740068/)). La France était alors le deuxième pays le plus consommateur d'Euope. Je ne juge absolument pas les personnes concernées et j'y ai moi-même eu affaire à ces substances à de nombreuses reprises . En l'absence de prise en charge adaptée, c'est mieux que rien. Et ponctuellement, c'est très utile.
Il est d'ailleurs fort probable que vous ou quelqu'un·e de votre entourage ait eu affaire à des anxiolytiques (Xanax, Lexomil, Lysanxia, Valium…). 15% de la population française en a consommé au cours de l'année 2015 ([source](https://www.liberation.fr/checknews/2019/07/29/la-france-fait-elle-partie-des-plus-gros-consommateurs-de-medicaments-dans-le-monde_1740068/)). La France était alors le deuxième pays le plus consommateur d'Euope.
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La plupart des anxiolytiques prescrits aujourd'hui sont de la classe des [benzodiazépines](https://fr.wikipedia.org/wiki/Benzodiaz%C3%A9pine). Le [syndrome de sevrage aux benzodiazépines](https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_sevrage_aux_benzodiazépines) est :
Leur arrêt après une longue période d'utilisation, même progressif, peut provoquer un [syndrome de sevrage aux benzodiazépines](https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_sevrage_aux_benzodiazépines). Il se caractérise par :
>[...] caractérisé par des perturbations du sommeil, une irritabilité, une tension physique accrue ainsi que de l'anxiété, des attaques de panique, des tremblements, des sueurs, des difficultés de concentration, de la confusion et des troubles cognitifs, des problèmes de mémoire, des haut-le-cœur et des nausées, de la perte de poids, des palpitations, des maux de têtes et douleurs musculaires parfois accompagnées de raideurs, des changements dans la perception pouvant inclure des hallucinations, des manifestations psychotiques ainsi que des crises épileptiques. Enfin, on observe un **risque accru de suicide** […] la phase aiguë du sevrage dure généralement aux alentours de deux mois, bien que les symptômes de sevrage, même à faible dose, puissent persister pendant **six à douze mois**, s'améliorant progressivement au cours de cette période. Cependant, des symptômes de sevrage notables peuvent **persister pendant des années**, bien qu'ils diminuent progressivement*(souligné par moi)*.
>[...] des perturbations du sommeil, une irritabilité, une tension physique accrue ainsi que de l'anxiété, des attaques de panique, des tremblements, des sueurs, des difficultés de concentration, de la confusion et des troubles cognitifs, des problèmes de mémoire, des haut-le-cœur et des nausées, de la perte de poids, des palpitations, des maux de têtes et douleurs musculaires parfois accompagnées de raideurs, des changements dans la perception pouvant inclure des hallucinations, des manifestations psychotiques ainsi que des crises épileptiques. Enfin, on observe un **risque accru de suicide** […] la phase aiguë du sevrage dure généralement aux alentours de deux mois, bien que les symptômes de sevrage, même à faible dose, puissent persister pendant **six à douze mois**, s'améliorant progressivement au cours de cette période. Cependant, des symptômes de sevrage notables peuvent **persister pendant des années**, bien qu'ils diminuent progressivement*(souligné par moi)*.
La dépendance extrême à ces substances ne leur empêche pas d'être parmi les médicaments les plus prescrits dans le monde, souvent sans accompagnement psychologique. Combien de médecins généralistes expédient une consultation avec une ordonnance de Xanax, sans même expliquer les risques (et peut-être sans même les connaître)?
Pourtant, ces molécules sont parmi les médicaments les plus prescrits dans le monde, souvent sans accompagnement psychologique. Combien de médecins généralistes expédient une consultation avec une ordonnance de Xanax, sans même expliquer les risques (et peut-être sans même les connaître)?
La [crise des opioïdes](https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_opio%C3%AFdes) ravage les États-Unis et a tué des **dizaines de milliers de personnes**, à tel point que le pays a récemment déclaré l'**état d'urgence** quant aux opioïdes. Pendant ce temps, les laboratoires pharmaceutiques connaissent le problème mais continuent leur lobbying pour pousser les médecins à en prescrire en masse.
Le constat est similaire pour les opioïdes, dans une moindre mesure en France. Mais les États-Unis font face à une [crise des opioïdes](https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_opio%C3%AFdes), qui a conduit à la mort de **dizaines de milliers de personnes**, à tel point que le pays a récemment déclaré l'**état d'urgence**. Pendant ce temps, les laboratoires pharmaceutiques connaissent le problème et intensifient leur lobbying pour pousser les médecins à en prescrire en masse.
La question qu'il faut poser est la suivante :
{{<question>}}Combien de ces molécules ont été prescrites pour de bonnes raisons ?{{</question>}}
Il est indispensable pour un médecin d'avoir une palette thérapeutique variée, donc les anxiolytiques et les opioïdes font très légitimement partie. Mais combien sont prescrits par défaut ? Par manque de connaissances ? Par manque de temps ? Par manque d'alternatives ? Par manque de moyens ?
C'est cette situation qu'il faut interroger, et non espérer substituer une substance à une autre et régler tous les problèmes.
### Petite histoire à butiner
Les chiffres et les articles nous donnent des informations précieuses, mais stimulent rarement les émotions et l'empathie. Pour cerner le sujet un peu plus concrètement, je vous propose de survoler avec moi la tranche de vie d'une amie, qui commence à souffrir de douleurs au dos l'année dernière. Il s'agit en fait d'une hernie discale lombaire qui lui causent de fortes douleurs dans la jambe, le long du nerf sciatique.
Les chiffres et les articles nous donnent des informations précieuses mais restent abstraits, impalpables, trop généraux. Pour cerner le sujet plus sensiblement, je me propose de vous raconter le parcours thérapeutique d'une amie, qui commence à souffrir de douleurs au dos l'année dernière.
Elle consulte alors sa médecin généraliste de longue date, qui finit par lui prescrire du Tramadol (un opioïde libérant aussi de la sérotonine) et du Valium (un anxiolytique de la classe des benzodiazépines, souvent utilisé comme décontractant musculaire). C'est d'emblée le combo, mais un combo classique pour les hernies. Les douleurs ne diminuent pas et sont handicapantes au point qu'elle peine à se déplacer. Sa médecin augmente les doses, augmente les doses, augmente les doses, et c'est à peine si c'est plus supportable.
{{<warn>}}On ne démontre rien avec une anecdote. Mais une histoire aide parfois à dépasser la froideur des chiffres et à rentrer en empathie : c'est l'intention de cette tranche de vie.{{</warn>}}
Ses douleurs sont fortes, partent du bas du dos et irradient dans la jambe, le long du nerf sciatique.
Elle consulte alors sa médecin généraliste de longue date, qui finit par lui prescrire du Tramadol (un opioïde) et du Valium (un anxiolytique utilisé comme décontractant musculaire). C'est un combo classique pour les hernies. Mais les douleurs ne diminuent pas et sont handicapantes au point qu'elle peine à se déplacer. Sa médecin augmente les doses en boucle mais c'est à peine si c'est plus supportable.
Une rhumatologue l'envoie alors en urgence à l'hôpital car les examens montrent une hernie discale qui risque de lui coûter une jambe si rien n'est fait. Mais on manque de neuro-chirugien·ne compétent·e en la matière, alors on adopte une stratégie qui sera assénée pendant 10 jours comme un mantra : on va « casser la douleur » pour empêcher l'hernie de progresser. Pas opérer, pas à cet âge là, il y a des risques, on va d'abord essayer autre chose. Car le petit cocktail de la généraliste n'était qu'un apéritif et on sort maintenant le plat du four : dans un fond de morphine en intraveineuse, diluer une généreuse dose de benzodiazépines, saupoudrer d'opium et assaisonner de quelques gouttes d'amitriptyline (un anti-dépresseur agissant sur les douleurs neuropathiques). Renouveler autant de fois que nécessaire.
{{<warn>}}À ce stade mon amie s'inquiète quand même un peu, car elle sait que ces molécules peuvent être addictives. Elle demandera de nombreuses fois aux infirmie·res et médecins si elle risque un sevrage. On lui répondre systématiquement que non, surtout pas à ces doses.{{</warn>}}
Il faut bien comprendre que sans médicaments, la douleur serait telle qu'elle arracherait à quiconque un hurlement continu qui ne s'arrêterait que pendant les évanouissements. Et ça marche, un peu. Mais pas de quoi « casser la douleur » : au bout de 10 jours la hernie a progressé et l'opération est urgente.
Il faut bien comprendre que sans ces médicaments, la douleur serait telle qu'elle arracherait à quiconque un hurlement continu qui ne s'arrêterait que durant de brefs évanouissements. Leur utilisation est pertinente et justifiée. Et ça marche, un peu. Mais pas de quoi « casser la douleur » : au bout de 10 jours la hernie a progressé et l'opération est urgente.
Mon amie est transférée dans un autre hôpital où on l'opère dans la foulée. Fin de l'happy hour, la tournée suivante est un peu plus chiche. Premier symptôme : une crise de panique en bonne et due forme où elle croit mourir. Quelques cacahuètes pour éponger et la voilà renvoyée chez elle. Euphorie de pouvoir enfin marcher.
Mon amie est transférée dans un autre hôpital où on l'opère dans la foulée. Fin de l'happy hour, la seconde tournée de médicaments est un peu plus chiche. Une prémisse de sevrage se fait sentir avec une crise de panique inexplicable en bonne et due forme. Quelques cacahuètes pour éponger et la voilà renvoyée chez elle.
Le lendemain matin, c'est la descente au sens littéral : impression de tomber comme on tombe en rêve, en continu. Angoisse à ne plus savoir par où écoper, elle appelle à l'aide une amie psy. Elle apprend abasourdie que c'est caractéristique d'un syndrome de sevrage. Elle parvient alors à joindre le neuro-chirurgien qui **ne la croit pas**. Les doses sont trop faibles, on vous a dit !
Le lendemain matin, c'est la descente au sens littéral : impression de tomber comme on tombe en rêve, en continu. Angoissée à ne plus savoir par où écoper, elle appelle à l'aide une amie psy. Elle apprend abasourdie que c'est caractéristique d'un syndrome de sevrage. Elle parvient alors à joindre le neuro-chirurgien qui ne la croit pas. Les doses administrées seraient trop faibles, rien à voir.
C'est le début de l'enfer. Nausées continues et diarrhées intraitables par des médicaments, crises de paniques, douleurs généralisées sur la peau et dans les os, fièvre, états dépressifs et pensées suicidaires forment le décor du quotidien. Elle finit par aller voir un médecin qui lui bricole en arrière-cuisine un protocole de sevrage bancal. C'est pire que mieux.
Il faut se rendre à l'évidence : elle ne s'en sortira pas sans l'accompagnement d'un·e spécialiste en addictologie. Surprise, tous les hôpitaux de la ville sont plein à craquer en addicto, et elle finira heureusement par trouver un centre spécialisé. La suite en bref, c'est **3 mois** pénibles pour parvenir à se sevrer, aussi bien physiquement que psychologiquement. Car l'addiction n'est pas que physiologique ; après avoir eu aussi mal, on a peur d'avoir mal à nouveau.
Il faut se rendre à l'évidence : elle ne s'en sortira pas sans l'accompagnement d'un·e spécialiste en addictologie. Surprise, tous les hôpitaux de la ville sont plein à craquer en addicto, et elle finira heureusement par trouver un centre spécialisé. La suite en bref, c'est **3 mois** pénibles pour parvenir à se sevrer, aussi bien physiquement que psychologiquement. Car l'addiction n'est pas que physique ; après avoir eu aussi mal, on a peur d'avoir mal à nouveau.
On peut tirer plusieurs conclusions de cette histoire. D'abord, évitons l'écueil du « ils sont cons ces américains ». Le problème existe largement en France et n'est pas aussi médiatisé. Ensuite, les médecins généralistes sont à la ramasse sur le sujet et prescrivent de façon très libérale des anxiolytiques et des opioïdes, sans connaissance des risques associés aux sevrages ni des protocoles qui ne s'improvisent pas. Bien sûr, ce sont des généralistes et on ne peut pas s'attendre à ce qu'iels connaissent toutes les disciplines ; mais a minima faire preuve d'humilité, dire qu'iels ne savent pas et renvoyer vers des spécialistes, plutôt que d'improviser. À l'hôpital aussi on est à la ramasse : personne n'a jamais demandé à mon amie ses antécédents et se sont basiquement contenté de nier ses craintes et son vécu (voir aussi [cet article](https://www.abcmed.ch/tramadol/) sur le Tramadol aux urgences). Les risques d'une opération seraient peut-être à mettre en perspective avec les risques de sevrage mal accompagné. Enfin, un sevrage n'est jamais une opération mécanique, dépend très fortement des personnes et nécessiterait dans tous les cas une proposition d'accompagnement psychologique.
### Des leçons à tirer
{{<warn title="Une happy end pour combien de morts ?">}}
Car oui, mon amie a été soutenue au quotidien par sa famille et ses ami·es, et c'est ce soutien qui lui a donné la force de continuer à chercher de l'aide quand tous les téléphones raccrochaient. Aussi, on est en France et tout ceci est remboursé. Imaginez la même situation avec une personne très précaire, seule, sans sécurité sociale. Généralement, la seule issue c'est d'acheter des opioïdes dans la rue, et de mourir quelques temps plus tard.
De cette histoire et de tant d'autres similaires, on peut proposer quelques observations.
La première est un manque de formation des médecins généralistes sur le sujet. Iels prescrivent de façon très libérale des anxiolytiques et des opioïdes, sans connaissance des risques associés aux sevrages ni des protocoles qui ne s'improvisent pas. Bien sûr, ce sont des généralistes et on ne peut pas s'attendre à ce qu'iels connaissent toutes les disciplines ; mais a minima faire preuve d'humilité, dire qu'iels ne savent pas et renvoyer vers des spécialistes, plutôt que d'improviser.
La seconde est une négligence à l'hôpital : les opioïdes et anxiolytiques sont souvent administrés sans étude approfondie des antécédants et sans individualisation. Un médecin urgentiste [écrivait](https://www.abcmed.ch/tramadol/) au sujet de l'utilisation massive et systématique du Tramadol aux urgences, et proposait d'y réfléchir à deux fois.
{{<warn title="Ce n'est pas la faute des médecins">}}
Ok, il existe des médecins médiocres. Mais la plupart font ce qu'iels peuvent. Avec le manque criant de soignant·es et de moyens, avec des informations essentiellement distillées dans des revues influencées par l'industrie pharmaceutique, comment espérer qu'iels puissent prendre le temps de se renseigner, comparer, individualiser, accompagner ? Je vous laisse imaginer les dilemmes moraux quand la quantité de personnes est telle que vous savez que votre prise en charge ne sera pas optimale.
{{</warn>}}
Alors désolé d'avoir cassé un peu l'ambiance, je sais bien que c'est pas la méga-teuf, mais il me semble que ça permet de prendre un peu de recul sur le vrai sujet de cet article : ce n'est pas « est-ce-que le LSD c'est mieux que les anxiolytiques ? » mais bien « comment diminuer la souffrance insupportable chez les êtres humains qui la vivent, sans faire pire que mieux ? ». Comment prendre soin, au final ?
Il y a des situations où avoir recours à ces substances sur de longues périodes est pertinent. Mais si l'on sait qu'il y a potentiel de sevrage très difficile, il faudrait prévenir et prévoir l'accompagnement plutôt que de laisser les individus livrés à eux-mêmes.
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Car oui, mon amie a été soutenue au quotidien par sa famille et ses ami·es, et c'est ce soutien qui lui a donné la force de continuer à chercher de l'aide quand tous les téléphones raccrochaient. Aussi, on est en France et tout ceci est remboursé. Imaginez la même situation avec une personne très précaire, seule, sans sécurité sociale. Généralement,l'issue est d'acheter des opioïdes dans la rue et de mourir quelques temps plus tard.
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Alors désolé d'avoir cassé un peu l'ambiance, je sais bien que c'est pas la méga-teuf, mais il me semble que ça permet de prendre un peu de recul sur le vrai sujet de cet article : ce n'est pas « est-ce-que le LSD c'est mieux que les anxiolytiques ? » mais bien « comment diminuer la souffrance chez les êtres humains qui la vivent, sans faire pire que mieux ? ». Comment prendre vraiment soin, au final ?
## Contre-culture, xénophobie et panique morale
@ -206,7 +235,7 @@ Cet amalgame hallucinant devient intenable pour les gouvernements du monde entie
C'est ainsi que la France est le premier pays au monde à classer le LSD dans la liste des stupéfiants et à en interdire l'usage en 1966, quelques mois après la sortie des «poisons de l'esprit».
Au moment, le LSD est déclaré illégal dans plusieurs états des États-Unis, avant d'être interdit au niveau fédéral dès 1968. En 1971 commence la « [War on drugs](https://fr.wikipedia.org/wiki/War_on_Drugs) », une offensive massive contre les drogues menée par le président Nixon. Le LSD est alors classé au «Tableau 1» du [Controlled Substances Act](https://fr.wikipedia.org/wiki/Controlled_Substances_Act). Cette catégorisation est la plus sévère et est réservée aux substances au **fort potentiel addictif** et **sans utilité thérapeutique**. Il y côtoie le cannabis et l'héroïne, à rebours complet des données scientifiques. Comme un air de famille avec la [Convention sur les substances psychotropes](https://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_sur_les_substances_psychotropes), convoquée par l'ONU la même année[^drugs_harm].
Au même moment, le LSD devient illégal dans plusieurs états des États-Unis avant d'être totalement interdit en 1968. 3 ans plus tard commence la « [War on drugs](https://fr.wikipedia.org/wiki/War_on_Drugs) », une offensive massive contre les drogues menée par le président Nixon. Le LSD est alors classé au «Tableau 1» du [Controlled Substances Act](https://fr.wikipedia.org/wiki/Controlled_Substances_Act). Cette catégorisation est la plus sévère et est réservée aux substances au **fort potentiel addictif** et **sans utilité thérapeutique**. Il y côtoie le cannabis et l'héroïne, à rebours complet des données scientifiques. Comme un air de famille avec la [Convention sur les substances psychotropes](https://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_sur_les_substances_psychotropes), convoquée par l'ONU la même année[^drugs_harm].
[^drugs_harm]: L'absence de corrélation entre dangerosité d'un produit et répression légale est désormais bien établie. Elle a notamment été analysée dans [cet article pour le Royaume-Uni](https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(10)61462-6/fulltext) et [cet article pour l'Écosse](https://bmjopen.bmj.com/content/2/4/e000774).
Aux États-Unis, encore une dernière piste. Bien loin du *care* évoqué plus haut, il a été testé dans le cadre du projet [MKUltra](https://en.wikipedia.org/wiki/MKUltra#LSD), un vaste programme secret de torture opéré pendant près de 20 ans par la CIA. Le but assumé de MKUltra était de trouver des méthodes fiables pour forcer les victimes à parler pendant les interrogatoires. Le LSD est alors pressenti comme potentiel «sérum de vérité». 1964 signe l'arrêt des expérimentations, concluant à des résultats «imprévisibles». Il n'est pas rare que l'armée finance des recherches à visée manifestement noble, alimentant en secret des programmes bien moins éthiques[^complotism]. Peut-être que le désintérêt des services de renseignement pour le LSD a contribué à l'arrêt du soutien aux recherches.

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@ -37,17 +37,19 @@ En 2008, [un article](https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0269881108093587)
## Accélération des recherches et soutien de l'opinion
Post-2015, la communauté scientifique recommence sérieusement à s'intéresser aux psychédéliques. Le LSD y est délaissé au profit de la psilocybine. Si cette molécule a pourtant été isolée et étudiée en même temps que le LSD, elle est beaucoup moins connotée culturellement. Ce n'est clairement pas l'endroit pour un état de l'art, mais je vous propose quelques jalons importants de cette «renaissance psychédélique», histoire de se convaincre que c'est loin d'être marginal.
Post-2015, la communauté scientifique recommence sérieusement à s'intéresser aux psychédéliques. Le LSD y est délaissé au profit de la psilocybine. Si cette molécule a pourtant été isolée en même temps que le LSD, elle est beaucoup moins connotée culturellement et a fait l'objet de très peu d'études.
Histoire de se convaincre que le renouveau est loin d'être marginal, voici quelques jalons importants de cette «renaissance psychédélique».
* En 2014, la Suisse [légalise](https://www.esanum.fr/today/posts/suisse-la-psychotherapie-assistee-par-psychedeliques-disponible-a-lhopitalfederico-seragnoli) l'utilisation du LSD dans le cadre de l'«usage compassionnel», c'est-à-dire pour les personnes présentant une pathologie difficile et résistante aux traitements existants;
* En 2016, [une étude](https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0269881116675513) randomisée en double aveugle relance l'intérêt pour les psychédélique dans le traitement de l'anxiété en soins palliatifs, faisant écho aux recherches des années 1960;
* En 2018, les États-Unis ont accordé le statut de [«thérapie innovante»](https://compasspathways.com/compass-pathways-receives-fda-breakthrough-therapy-designation-for-psilocybin-therapy-for-treatment-resistant-depression/) à **Compass Pathways** (retenez ce nom) pour l'utilisation de la psilocybine dans les dépressions résistantes;
* En 2020, la Suisse [légalise](https://www.esanum.fr/today/posts/suisse-la-psychotherapie-assistee-par-psychedeliques-disponible-a-lhopitalfederico-seragnoli) l'utilisation du LSD dans le cadre de l'«usage compassionnel», c'est-à-dire pour les personnes présentant une pathologie difficile et résistante aux traitements existants;
* En 2021, les États-Unis [accordent une subvention](https://www.hopkinsmedicine.org/news/newsroom/news-releases/johns-hopkins-medicine-receives-first-federal-grant-for-psychedelic-treatment-research-in-50-years) publique pour étudier l'intérêt de la psilocybine dans le traitement du sevrage tabagique;
* En 2022, l'innocuité physique et psychique des psychédéliques en condition set and settings [fait largement consensus](https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/02698811211069100);
* En 2022 toujours, un essai clinique de phase II[^phase] [confirme](https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2206443)l'intérêt de la psilocybine pour soigner les dépressions résistantes ;
* En 2023, l'**association MAPS** (retenez aussi ce nom) finalise la phase III[^phase] d'un [essai clinique](https://psychedelichealth.co.uk/2023/01/05/maps-confirms-successful-phase-3-trial-of-mdma-for-ptsd/) utilisant la MDMA pour soigner les syndromes de stress post-traumatique. Cet essai pourrait sérieusement conduire à une autorisation de mise sur le marché;
* En 2023 toujours, l'Oregon est le premier état à [légaliser](https://www.forbes.com/sites/ajherrington/2023/05/08/oregon-issues-first-psilocybin-therapy-treatment-center-license/) la thérapie psychédélique assistée par psilocybine, à la suite d'un référendum d'initiative populaire (vous avez bien lu).
* En avril 2023, l'**association MAPS** (retenez aussi ce nom) finalise la phase III[^phase] d'un [essai clinique](https://psychedelichealth.co.uk/2023/01/05/maps-confirms-successful-phase-3-trial-of-mdma-for-ptsd/) utilisant la MDMA pour soigner les syndromes de stress post-traumatique. Cet essai pourrait sérieusement conduire à une autorisation de mise sur le marché;
* En mai 2023, l'Oregon est le premier état à [légaliser](https://www.forbes.com/sites/ajherrington/2023/05/08/oregon-issues-first-psilocybin-therapy-treatment-center-license/) la thérapie psychédélique assistée par psilocybine, à la suite d'un référendum d'initiative populaire (vous avez bien lu).
* En juillet 2023, l'Australie est le premier pays à [légaliser](https://www.tga.gov.au/news/news/update-mdma-and-psilocybin-access-and-safeguards-1-july-2023) la MDMA et la psilocybine, notamment pour le traitement des syndromes de stress post-traumatique résistants.
[^phase]: On a beaucoup entendu parler de «phase III» pendant la recherche de vaccins contre le COVID-19. Concrètement, la recherche moderne sur les médicaments suit trois phases pour obtenir une autorisation de mise sur le marché. L'INSERM l'explique très bien [sur son site](https://www.inserm.fr/nos-recherches/recherche-clinique/essais-cliniques-recherches-interventionnelles-portant-sur-produit-sante/). La phase II correspond aux tests de la molécule sur des personnes malades, cherchant à montrer sa bonne tolérance et son efficacité sur une petite cohorte, pas encore en double aveugle. En phase III, on compare le traitement à un placebo sur une cohorte plus grande, et on cherche idéalement à montrer son intérêt supplémentaire vis-à-vis des traitements existants.
{{<info>}}En France, plusieurs études sont prévues mais peinent à démarrer. L'Académie de Médecine, institution conservatrice et «anti-drogues», ne sera vraisemblablement pas d'une grande aide pour convaincre les autorités sanitaires.{{</info>}}
@ -104,7 +106,7 @@ Dans la même veine, le business du mal-nommé «développement personnel
Plus insidieusement, il (m')est difficile de ne pas céder à une forme de «déterminisme neuronal». Par là, j'entends le désir de trouver des causes neurologiques aux phénomènes psychologiques. On l'a vu, les neurosciences étudient beaucoup les psychédéliqueset veulent **expliquer** leurs effets. A priori, ça ne paraît pas déconnant, d'autant plus pour créer un rapport de force avec les médicaments traditionnels, bien étudiés de ce point de vue là. Mais il y a deux hics:
* Les effets des psychédéliques **en tant que molécules** ne sont une petite partie de leur aspect thérapeutique et tendent à masquer l'importance de l'accompagnement;
* Les effets des psychédéliques **en tant que molécules** ne forment qu'une petite partie de leur aspect thérapeutique et tendent à masquer l'importance de l'accompagnement;
* L'enthousiasme autour des neurosciences est extrêmement grand (un critique l'appelait déjà [Neurotrash](https://newhumanist.org.uk/2172/neurotrash) en 2009), les financements pleuvent et la presse s'en fait l'écho avec peu de recul.
Ainsi, compter uniquement sur les résultats de la sphère «neuro» comme caution de crédibilité me semble très hasardeux. Cette vision mécaniste (*e.g.* «si LSD alors plasticité») pourrait également justifier une pathologisation et une culpabilisation des patient·es:
@ -159,7 +161,7 @@ Ces exemples nous offrent une piqûre de rappel: **l'industrie pharmaceutique
Ainsi, il faut s'attendre à voir ces entreprises financiarisées dépenser des millions de dollars en lobbying pour faire légaliser leurs méthodes (supposément efficaces) en échange d'un monopole. En d'autres termes, on passerait d'une diabolisation des psychédéliques à une véritable hallucination: ces derniers peuvent désormais tout soigner, en témoigne les brevets déposés «au cas où», par exemple sur l'obésité, sans aucune assise scientifique. L'industrie pharmaceutique est notoirement connue pour produire des études qui affabulent quant à la taille d'effet et aux indications thérapeutiques des substances qu'elle invente.
{{<warn title="Preuve d'efficacité et conflit d'intérêt: une problématique généralisée">}}
Cet exemple était initialement une note de bas de page, mais je tiens à le rendre visible. La [page Wikipédia]((https://fr.wikipedia.org/wiki/Antid%C3%A9presseur#Efficacit%C3%A9)) des antidépresseurs décrit bien leur efficacité. Pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, les laboratoires doivent prouver que leur molécule produit des effets plus grands qu'un placebo, et préférablement meilleurs que les options déjà disponibles. Retenez qu'on parle ici de molécules dont les effets secondaires sont très pénibles à supporter et dont le sevrage peut être très violent. Ces études, financées quasi-exclusivement par les laboratoires, tentent par toutes les astuces statistiques et méthodologiques de faire pencher la balance en leur faveur. En écho, [cet article retentissant](https://www.nature.com/articles/d41586-019-00857-9) publié dans Nature, co-signé par plus de 800 scientifiques, alerte sur la triche possible autour du concept de «statistiquement significatif», critère hégémonique utilisé pour valider une étude. Alors, on lance faire des [méta-analyses](https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9ta-analyse) supposées croiser toutes les données dont on dispose. Elles se contredisent, certaines concluant à l'inefficacité quasi-totale des antidépresseurs, les autres leur trouvant de grandes qualités. De plus, l'injonction à publier des résultats impressionnants conduit à ne pas soumettre les études qui démontrent «seulement» l'inefficacité d'un produit. Je ne cherche pas à mettre en cause la méthode scientifique, mais le modèle de financement de la recherche, totalement gangréné par les logiques privées, [y compris](https://podcast.picasoft.net/@la_voix_est_libre/episodes/open-science-la-libre-circulation-des-connaissances) lorsqu'il est financé par de l'argent public. Symptomatique, [la loi de programmation pour la recherche](https://www.francetvinfo.fr/societe/education/pourquoi-le-projet-de-loi-de-programmation-de-la-recherche-fait-grincer-des-dents-le-monde-universitaire_4188875.html) de 2021 coupe les subventions à la recherche fondamentale et force à présenter des projets «plus risqués et plus originaux» afin de «rayonner»; comprendre spectaculaires et rentables.
Cet exemple était initialement une note de bas de page, mais je tiens à le rendre visible. La [page Wikipédia]((https://fr.wikipedia.org/wiki/Antid%C3%A9presseur#Efficacit%C3%A9)) des antidépresseurs décrit bien leur efficacité. Pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, les laboratoires doivent prouver que leur molécule produit des effets plus grands qu'un placebo, et préférablement meilleurs que les options déjà disponibles. Retenez qu'on parle ici de molécules dont les effets secondaires sont très pénibles à supporter et dont le sevrage peut être très violent. Ces études, financées quasi-exclusivement par les laboratoires, tentent par toutes les astuces statistiques et méthodologiques de faire pencher la balance en leur faveur. En écho, [cet article retentissant](https://www.nature.com/articles/d41586-019-00857-9) publié dans Nature, co-signé par plus de 800 scientifiques, alerte sur la triche possible autour du concept de «statistiquement significatif», critère hégémonique utilisé pour valider une étude. Alors, on produit des [méta-analyses](https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9ta-analyse) supposées croiser toutes les données dont on dispose. Elles se contredisent, certaines concluant à l'inefficacité quasi-totale des antidépresseurs, les autres leur trouvant de grandes qualités. De plus, l'injonction à publier des résultats impressionnants conduit à ne pas soumettre les études qui démontrent «seulement» l'inefficacité d'un produit. Je ne cherche pas à mettre en cause la méthode scientifique, mais le modèle de financement de la recherche, totalement gangréné par les logiques privées, [y compris](https://podcast.picasoft.net/@la_voix_est_libre/episodes/open-science-la-libre-circulation-des-connaissances) lorsqu'il est financé par de l'argent public. Symptomatique, [la loi de programmation pour la recherche](https://www.francetvinfo.fr/societe/education/pourquoi-le-projet-de-loi-de-programmation-de-la-recherche-fait-grincer-des-dents-le-monde-universitaire_4188875.html) de 2021 coupe les subventions à la recherche fondamentale et force à présenter des projets «plus risqués et plus originaux» afin de «rayonner»; comprendre spectaculaires et rentables.
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Il me semble alors certain que les biotechs financeront des études prêtant monts et merveilles aux psychédéliques. Et à la fin, les oublié·es de l'histoire seront toujours les mêmes: les personnes en souffrance.
@ -172,7 +174,7 @@ Enfin, et c'est un éléphant dans la pièce embarrassant pour la recherche psyc
C'est assez tristement que j'ai réalisé que moi, je n'ai pas du tout tiqué sur ce point en commençant ces billets. C'est pourtant évident: une personne sous un état de conscience extrêmement modifié peut voir sa capacité à consentir altérée, d'autant avec des « thérapeutes » problématiques.
Les exemples ne manquent pas. Vous vous souvenez de **MAPS**, l'association qui a finalisé un essai clinique de phase III avec la MDMA? Pour rappel, l'idée est de traiter des [troubles de stress post-traumatique](https://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_stress_post-traumatique) en permettant grâce aux effets *entactogènes* de la MDMA, c'est-à-dire qui favorisent la communication, lintrospection, les contacts sociaux, lempathie et l'expression libre. L'idée est d'amener un cadre permettant d'intégrer les traumatismes. Dans un des essais cliniques de MAPS, un couple de thérapeutes — dont un sans diplôme — a clairement abusé de sa position et a commis des violences sexuelles[^mdma_abuse]. La personne volontaire a complètement oublié le contenu de la séance. Après coup, elle s'est sentie complètement dépendante à ses thérapeutes sans parvenir à comprendre pourquoi. Ces derniers iront jusqu'à l'inciter à avoir des relations sexuelles lors de séances de «thérapie» assistée par MDMA sur une île privée. Constatant que son état se dégradait et ne pouvant toujours pas mettre le doigt sur ce qui n'allait pas, elle s'est lancée dans une longue bataille pour obtenir les vidéos de l'essai clinique. C'est à leur visionnage qu'elle a pu enfin comprendre. Cynisme de l'histoire, son cas compte comme une réussite dans l'étude finale.
Les exemples ne manquent pas. Vous vous souvenez de **MAPS**, l'association qui a finalisé un essai clinique de phase III avec la MDMA? Pour rappel, l'idée est de traiter des [troubles de stress post-traumatique](https://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_stress_post-traumatique) grâce aux effets *entactogènes* de la MDMA, c'est-à-dire littéralement qui **favorisent le contact**. En outre, la MDMA peut favoriser la communication, lintrospection, la sociabilité, lempathie et l'expression libre. L'idée est d'amener un cadre permettant d'intégrer les traumatismes. Dans un des essais cliniques de MAPS, un couple de thérapeutes — dont un sans diplôme — a clairement abusé de sa position et a commis des violences sexuelles[^mdma_abuse]. La personne volontaire a complètement oublié le contenu de la séance. Après coup, elle s'est sentie totalement dépendante à ses thérapeutes sans parvenir à comprendre pourquoi. Ces derniers iront jusqu'à l'inciter à avoir des relations sexuelles lors de séances de «thérapie» assistée par MDMA sur une île privée. Constatant que son état se dégradait et ne pouvant toujours pas mettre le doigt sur ce qui n'allait pas, elle s'est lancée dans une longue bataille pour obtenir les vidéos de l'essai clinique. C'est à leur visionnage qu'elle a pu enfin comprendre. Cynisme de l'histoire, son cas compte comme une réussite dans l'étude finale.
[^mdma_abuse]: L'histoire complète est [ici](https://www.thecut.com/2022/03/you-wont-feel-high-after-watching-this-video.html), et si c'est assez pénible à lire, ça vaut le coup pour comprendre l'enjeu.

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@ -6,7 +6,7 @@ code: LSD
Des drogues psychédéliques, on retient souvent le LSD; et du LSD on retient surtout l'image de hippies sous acide refaisant le monde.
Pourtant, avant d'arriver dans la contre-culture étatsunienne, le LSD était la substance pharmacologique **la plus étudiée au monde**. Il semblait à même de traiter des troubles psychiatriques, était très utile en soins palliatifs et présentait peu d'effets secondaires.
Pourtant, avant d'arriver dans la contre-culture étatsunienne, le LSD était l'une des substances pharmacologique **les plus étudiées au monde**. Il semblait à même de traiter des troubles psychiatriques, était très utile en soins palliatifs et présentait peu d'effets secondaires.
Comment en est-on arrivé à sa crimilisation massive et à son abandon? Et sous quelles modalités les psychédéliques reviennent-ils en force ces dernières années?