[Rando] v0
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@ -54,7 +54,7 @@ En réalité, je pars de Chantilly plutôt que de Compiègne. Je récupère quas
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Je me farcirai finalement des champs de colza pendant une bonne semaine.
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La première nuit est enchanteresse : après une vingtaine de kilomètres, j'arrive au sommet d'un tout petit mont bardé de sable.
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La première nuit est enchanteresse : après une vingtaine de kilomètres, j'arrive au sommet d'un tout petit mont recouvert de sable.
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{{<figure src="nuit1_1.jpg">}}
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@ -88,9 +88,9 @@ Je tente une première maison avec appréhension. Refus, mais refus super doux :
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C'est un administrateur système. C'est drôle, franchement, moi qui voulais décrocher un peu. J'ai jamais vu quelqu'un fumer autant de joints et avoir l'air aussi sobre. On discute jusqu'à tard, un peu trop tard, mais c'est un énorme coup de bol : je prends dans la gueule qu'il y a vraiment des gens prêts à laisser des inconnus dormir chez eux.
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{{<info>}}Pendant quasiment toute ma randonnée, je trouverais une maison où dormir en moins d'une demi-heure. J'ai toujours été super bien accueilli, et parfois même chez des personnes seules, alors que je suis un mec grand et barbu. Par contre, je suis passé dans plein de village qui votent FN, et je ne sais pas si j'aurais trouvé si facilement si je n'avais pas été blanc.{{</info>}}
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{{<info>}}Pendant quasiment toute ma randonnée, je trouverai une maison où dormir en moins d'une demi-heure. J'ai toujours été super bien accueilli, et parfois même chez des personnes seules, alors que je suis un mec grand et barbu. Par contre, je suis passé dans plein de village qui votent FN, et je ne sais pas si j'aurais trouvé si facilement si je n'avais pas été blanc.{{</info>}}
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{{<figure src="fleurs.jpg" title="Chaque fois que je croise des fleurs, du blé ou des potagers, je les prends précieusement en photo, comme pour me rappeler que ça existe. C'est bien un réflexe de citadin.">}}
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{{<figure src="fleurs.jpg" title="Chaque fois que je croise des fleurs, du blé ou des potagers, je les prends précieusement en photo, comme pour me rappeler que ça existe.">}}
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À Blandy-les-Tours, je tombe sur un chef d'entreprise branché aéronautique et objets connectés. Choc des cultures. Hospitalité hors du commun. Il me raconte son histoire, on connecte là où on peut. C'est un petit déclic : comme en faisant du stop, je vais croiser des gens que je n'aurai jamais croisé dans ma vie quotidienne. Et avoir des surprises. Je compte passer au [château de Vaux-le-Vicomte](https://fr.wikipedia.org/wiki/Ch%C3%A2teau_de_Vaux-le-Vicomte) le lendemain. Il connaît le propriétaire : c'est un ancien guide de haute montagne qui est revenu s'occuper du château pour aider sa famille. Il aime les gens qui baroudent et sera content de me croiser, alors il m'arrange une visite avec lui.
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@ -112,7 +112,7 @@ Premier moment image rigolote.
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{{<figure src="mutuelle.jpg" width="50%" title="Bonjour l'ambiance.">}}
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À partir d'ici, j'aurais vu beaucoup de coquelicots tout le long du GR2.
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À partir d'ici, j'aurai vu beaucoup de coquelicots tout le long du GR2.
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{{<figure src="coquelicots.jpg">}}
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@ -120,7 +120,7 @@ Premier moment image rigolote.
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{{<info>}}C'est le moment *libriste*. J'ai « réparé » l'ordinateur de mon hôte qui mettait 15 longues minutes à s'allumer en me battant contre Windows. Pendant 2 heures, j'ai usé de stratagèmes pour le « forcer » à désactiver certains services qui monopolisaient le processeur, pour finalement abaisser le temps d'allumage à 2 minutes. J'ai été remercié par un dessin et la satisfaction de pouvoir, pour une fois, servir à quelque chose.{{</info>}}
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Je croise aussi de nombreux lavoirs, mon étonnement faisant de nouveau état de ma vie citadine. La plupart ont fait l'objet de travaux de restauration au cours des 40 dernières années.
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Je croise aussi de nombreux lavoirs, mon étonnement faisant état de ma vie citadine. La plupart ont fait l'objet de travaux de restauration au cours des 40 dernières années.
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{{<figure src="lavoir.jpg" title="Un lavoir non loin d'Évry. Le dessin m'inspire beaucoup de sympathie.">}}
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@ -130,6 +130,8 @@ Je croise aussi de nombreux lavoirs, mon étonnement faisant de nouveau état de
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Lors d'une nuit à nouveau seul en tente — qui me fera me rappeler pourquoi je n'aime pas ça —, j'entends des explosions très régulières, comme des balles. Je finis par apprendre qu'il s'agit de [canons effaroucheurs d'oiseaux](https://www.lanouvellerepublique.fr/niort/ces-canons-qui-effarouchent-surtout-les-voisins), qui tirent jour et nuit à quelques minutes d'intervalle, parfois moins. J'aimerais entendre l'avis d'un spécialiste, mais je me questionne sur l'effet de ces dispositifs sur la santé des animaux.
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{{<video src="xplo.mp4" type="video/mp4" preload="auto" caption="Un exemple de ces « coups de feu » émis par les canons effaroucheurs d'oiseaux.">}}
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Je croise beaucoup d'annonces qui témoignent d'un sentiment d'insécurité, les plus caricaturaux étant peut-être les suivants.
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{{<figure src="alarme3000.jpg" title="Le Comic Sans MS remplit sa mission de faire rire au lieu de pleurer.">}}
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@ -154,7 +156,9 @@ Le lieu est splendide autant qu'impressionnant, comme l'illustre le mécanisme d
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{{<figure src="turbine.jpg" title="Au fond, on aperçoit le tableau de commande et de contrôle de la turbine, entièrement analogique.">}}
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Lors d'une dernière nuit en camping à Saint-Seine-l'Abbaye, je découvre un système où le terrain n'est pas gardé : un percepteur passe vers 19 heures, inspecte l'état des sanitaires et dresse une petite facture. J'ai trouvé le système sympa et j'ai profité de l'eau chaude. Le lendemain, j'arrive à Dijon.
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Lors d'une dernière nuit en camping à Saint-Seine-l'Abbaye, je découvre un système où le terrain n'est pas gardé : il n'y a pas d'accueil mais seulement un percepteur qui passe vers 19 heures. Il inspecte l'état des sanitaires, fait le tour des occupant·es, dresse une facture sur un carnet carbone et encaisse.
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Le lendemain, j'arrive à Dijon.
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Une pause d'un week-end chez un ami et mon ancienne coloc, et c'est reparti.
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@ -180,9 +184,9 @@ Ils sont suisse-allemands et lui est arrivé pour travailler dans les vignes, pa
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Je peine à imaginer la vie collective dans les villages, car dans mon expérience de citadin, tout se fait à l'abri des regards.
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> [...] les moissons et les battages ; le pressurage du vin chez le voisin et la cuisson du pain au four du quartier ; le défonçage d'une vigne et les « corvées » d'entretien des chemins ; le lavage du longe dans les lavoirs ; les veillées entre famille amie ; les groupements syndicaux et, bien sûr, les sociétés et les fêtes.
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> [...] les moissons et les battages ; le pressurage du vin chez le voisin et la cuisson du pain au four du quartier ; le défonçage d'une vigne et les « corvées » d'entretien des chemins ; le lavage du longe dans les lavoirs ; les veillées entre famille amies ; les groupements syndicaux et, bien sûr, les sociétés et les fêtes.
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On imagine sans peine, comme ailleurs, la fermeture de toutes les boutiques locales, remplacées par les grandes zones commerciales et les routes nationales, qui relièrent le village plus aisément au « reste du monde ». Je ne peux m'empêcher de m'étonner, à la lecture, de la diversité artisanale de ce village au milieu du XXe siècle, alors qu'il ne compte que 300 habitant·es :
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On imagine sans peine, comme ailleurs, la fermeture de toutes les boutiques locales, remplacées par les grandes zones commerciales et les routes nationales qui relient le village au « reste du monde ». Je ne peux m'empêcher de m'étonner, à la lecture, de la diversité artisanale de ce village au milieu du XXe siècle, alors qu'il ne compte que 300 habitant·es :
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> [...] des forgerons et des charrons, un bourrelier, un ou deux sabotiers et un savatier, un menuisier et un plâtrier, un bouilleur de cru, et, bien sûr, des tonneliers. Sans oublier les coiffeurs, encore appelés perruquiers, autodidactes qui, le dimanche matin, abandonnant leurs activités de vignerons ou de cafetiers coiffaient les hommes ; les femmes conservaient leurs cheveux en chignon. À côté de tous ces artisans masculins on trouvait des femmes aux qualifications également indispensables : sages-femmes, couturières, raccommodeuses, brodeuses, matelassière.
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@ -194,7 +198,7 @@ Mont-Saint-Vincent est le *point culminant* du coin. Il faut le dire vite, car i
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{{<figure src="msv.jpg" title="Vue depuis l'église de Mont-Saint-Vincent, plein est.">}}
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Alors que je rentre dans le restaurant, on m'indique que c'est complet. Me rabattant sur mon dahl quotidien, je vois un piano dans la salle. Les client·es ne sont pas encore arrivés et j'ai vraiment envie de jouer ; ma timidité ayant cédé pendant ces quelques semaines, je demande. Après un ou deux morceaux, le chef sort de son antre et me propose un deal : je joue un peu pour les client·es et il m'offre le repas. Un peu anxieux mais excité, j'accepte. Là encore, je suis ébahi par la sympathie des gens, qui m'encouragent et me remercient ; j'avais peur de les déranger. C'est après un bon repas et de chouettes conversations que je partirais me coucher, en paix.
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Alors que je rentre dans le restaurant, on m'indique que c'est complet. Me rabattant sur mon dahl quotidien, je vois un piano dans la salle. Les client·es ne sont pas encore arrivés et j'ai vraiment envie de jouer ; ma timidité ayant cédé pendant ces quelques semaines, je demande. Après un ou deux morceaux, le chef sort de son antre et me propose un deal : je joue un peu pour les client·es et il m'offre le repas. Un peu anxieux mais excité, j'accepte. Là encore, je suis ébahi par la sympathie des gens, qui m'encouragent et me remercient ; j'avais peur de les déranger. C'est après un bon repas et de chouettes conversations que je partirai me coucher, en paix.
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La suite est anecdotique ; la fin est amusante. Alors que je marchais depuis un peu plus d'un mois, la solitude commençait sérieusement à me peser, mais peut-être pas autant que mon sac, qui tirait sur mes épaules et mes cervicales au point que la marche était désagréable. Il n'y avait plus que ça, et je me dis qu'aller au bout pour aller au bout ne m'apportera rien. Je décide de ne pas aller jusqu'à Lyon. Ma dernière nuit sera au camping municipal le plus proche. Mais les infos d'OpenStreetMap datent un peu et le camping est définitivement fermé. Il pleut des cordes, pas une âme à la ronde ; je fais du stop jusqu'à la ville attenante. Aucun camping et je n'ai pas l'énergie de faire le tour des maisons. Je décide de prendre un hôtel ; ils sont tous pleins, sauf un quatre étoiles.
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@ -216,7 +220,7 @@ En sciences, on considère aujourd'hui que le fantasme de l'*[experimentum crusi
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En voyage, on peut éventuellement gratter la surface de quelque chose qu'on ne connaît pas, être étonné, intrigué, attiré, repoussé, mais on apprend rien de fondamental. Le temps passé dans les paysages et avec les gens est trop court. On peut pourtant sentir dans son corps cette ivresse, on se délecte de la diversité et de l’amoncellement de ces expériences *extra-ordinaires*. Mais l'ivresse reste partout la même et finit par retomber.
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Et c'est bien de ceci qu'il est question : certes, voyager offre un espace où le temps vécu se tord ; l'éclairage change d'angle et on respire. Mais croire que partir marcher un mois seul suffit à se transformer, c'est *dangereux*. Dangereux car c'est l'effet « Instagram » : en plein mal-être, on regarde l'image fantasmée de quelqu'un·e en imaginant que pour peu qu'on l'imite, ça ira mieux. Quand ça n'arrive évidemment pas, on en parle pas car on a honte. On pense qu'on est nul, qu'on a pas fait comme il faut. Pire encore, parfois, on fait semblant, et on perpétue ainsi le mythe. Moi, j'ai commencé à boire sitôt rentré de rando pour retrouver l'ivresse qui me manquait tant dans ma coloc vide. J'aurais mis un an pour m'en extraire.
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Et c'est bien de ceci qu'il est question : certes, voyager offre un espace où le temps vécu se tord ; l'éclairage change d'angle et on respire. Mais croire que partir marcher un mois seul suffit à se transformer, c'est *dangereux*. Dangereux car c'est l'effet « Instagram » : en plein mal-être, on regarde l'image fantasmée de quelqu'un·e en imaginant que pour peu qu'on l'imite, ça ira mieux. Quand ça n'arrive évidemment pas, on en parle pas car on a honte. On pense qu'on est nul, qu'on a pas fait comme il faut. Pire encore, parfois, on fait semblant, et on perpétue ainsi le mythe. Moi, j'ai commencé à boire sitôt rentré de rando pour retrouver l'ivresse qui me manquait tant dans ma coloc vide. J'aurai mis un an pour m'en extraire.
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Et en définitive, ce n'est pas très étonnant : rien n'a changé parce que *je n'ai rien changé*. Ma vie est restée peu ou prou la même pendant un moment : le même travail salarié, le même endroit, les mêmes questionnements, la même sinusoïde. Et de façon générale, il est raisonnable de penser que *faire la même chose produira inlassablement les mêmes effets*. Au mieux, après une expérience intense, on colore un petit peu sa vie, on ajuste quelques curseurs. Mais elle ne guérira pas à elle seule des besoins fondamentaux mal soignés. Aussi, le rythme de la vie quotidienne se calque mal sur celui du voyage. Au mieux, on ne fait qu'*émuler*. Ultimement, il faut agir.
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