RC for LSD series (finally ! 🔥)
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title: Les drogues psychédéliques en médecine
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subtitle: Utilisation, abandon et renouveau
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draft: true
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title: Pourquoi écrire ce dossier ?
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subtitle: D'un intérêt personnel à la recherche universitaire
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date: 2023-06-30
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- Santé
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summary: Les psychédéliques me passionnent, plus encore depuis que j'ai découvert les récents travaux de Zoë Dubus, qui étudie l'histoire des psychédéliques. Une introduction au sujet, quelques infos sur ma posture, mes intentions et mes sources.
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imgLicence: « Psychedelic Rose » par photographerpandora - CC BY-ND 2.0
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Chaque année, [l'UTC](https://utc.fr/) propose un séminaire PHITECO (Philosophie, Technologie et Cognition), organisé par [Costech](https://www.costech.utc.fr/), le laboratoire de sciences humaines et sociales. Cette année, le séminaire était articulé autour du thème « [Prendre soin de l'esprit : santé mentale et milieu technique](https://sites.google.com/site/mineurphiteco/s%C3%A9minaires-et-ateliers/phiteco-2023-prendre-soin-de-lesprit) ».
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Une présentation a rapidement retenu mon attention.
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## L'histoire fascinante du LSD
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> Des thérapies de choc au « set and setting », évolution des méthodes d’administration de LSD, 1950-1970.
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[Costech](https://www.costech.utc.fr/), c'est le laboratoire de sciences humaines et sociales de l'école où j'ai étudié. Chaque année, il organise un « Philosophie, Technologie et Cognition ». En 2023, le thème à l'honneur était « [Prendre soin de l'esprit : santé mentale et milieu technique](https://sites.google.com/site/mineurphiteco/s%C3%A9minaires-et-ateliers/phiteco-2023-prendre-soin-de-lesprit) ».
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Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, le LSD évoque immédiatement la période hippie et la contre-culture américaine des années 70, et pas du tout une utilisation thérapeutique. Curieux, j'assiste à la présentation de Zoë Dubus, docteure en histoire contemporaine et spécialiste des psychotropes. Ses recherches visent à « éclairer, par une mise en contexte non seulement médicale mais sociale et culturelle, les différentes chronologies des usages médicaux des psychotropes à l’époque contemporaine »^[https://dubuszoe.wordpress.com/].
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En parcourant le programme, une présentation a retenu mon attention : « Des thérapies de choc au "set and setting", évolution des méthodes d'administration de LSD, 1950-1970 ». Parler de LSD en milieu universitaire, c'est pas banal.
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J'apprends alors qu'entre 1950 et 1970, le LSD est la substance pharmacologique la plus étudiée au monde, avec plus de 1000 articles scientifiques, 40.000 sujets, des dizaines de livres et six conférences internationales. Certain·es y voyaient un « remède miracle », donnant lieu à des expérimentations sur un très large spectre de troubles. Et dans plusieurs conditions (soins palliatifs, alcoolisme, psychothérapie), le LSD semble produire des résultats inégalables aux meilleures techniques de l'époque, immédiatement, et sans effet secondaire grave. Son coût de production est faible et il ne provoque pas d'addiction.
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Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, le LSD évoque immédiatement la période hippie et la contre-culture américaine des années 70 — franchement pas une utilisation thérapeutique. Curieux, j'assiste à la présentation de Zoë Dubus, docteure en histoire contemporaine et spécialiste des psychotropes. Ses recherches visent à « éclairer, par une mise en contexte non seulement médicale mais sociale et culturelle, les différentes chronologies des usages médicaux des psychotropes à l’époque contemporaine » ([source](https://dubuszoe.wordpress.com/)).
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Pourtant, après 1970, la recherche sur le LSD s'est totalement arrêtée et il est interdit dans la plupart des pays du monde. Il figure dans les listes de substances les plus sévèrement contrôlées aux États-Unis, aux côtés de l'héroïne^[L'absence de corrélation entre dangerosité d'un produit et répression légale a été analysée dans * Nutt DJ, King LA, Phillips LD; Independent Scientific Committee on Drugs. Drug harms in the UK: a multicriteria decision analysis. Lancet. 2010;376(9752):1558-1565. doi:10.1016/S0140-6736(10)61462-6 * Taylor M, Mackay K, Murphy J, et al, Quantifying the RR of harm to self and others from substance misuse: results from a survey of clinical experts across Scotland, BMJ Open 2012;2:e000774. doi: 10.1136/bmjopen-2011-000774 notamment].
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J'apprends alors qu'entre 1950 et 1970, le LSD est la substance pharmacologique **la plus étudiée au monde** : plus de 1000 articles scientifiques, 40.000 sujets, des dizaines de livres et six conférences internationales. Certain·es y virent un remède miracle et l'expérimentent sur un très large spectre de troubles. Dans plusieurs conditions (soins palliatifs, alcoolisme, psychothérapie), le LSD semblait produire des résultats bien plus spectaculaire que les meilleures techniques connues, en peu de temps, et sans effets secondaires notable. Son coût de production était faible, sa consommation n'entraînait pas d'addiction et quelques prises suffisaient.
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La question est fascinante d'un point de vue historique : pourquoi ? Et pourquoi n'en reste-t-il, dans l'imaginaire collectif, qu'une image de drogue dure dangereuse sans aucun rapport avec la médecine ?
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Pourtant, après 1970, la recherche sur le LSD est complètement à l'arrêt ; et pour cause, il est criminalisé dans la plupart des pays du monde. Il figure, encore aujourd'hui, dans les listes de substances les plus sévèrement contrôlées aux États-Unis, aux côtés de l'héroïne et du cannabis.
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Dans sa conférence, Zoë Dubus a montré que la réponse est complexe et multi-causale, comme toujours en histoire. Entre politique, questions de genre, évolution de la méthode scientifique, panique morale, manipulation de l'opinion, héritage de la psychanalyse et contre-culture, l'histoire de l'abandon du LSD en médecine est un mille-feuilles passionnant.
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La question est fascinante d'un point de vue historique : pourquoi ce retournement ? Et pourquoi du LSD ne reste-t-il, dans l'imaginaire collectif, qu'une image de drogue dure dangereuse sans aucun bénéfice thérapeutique ?
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Et j'ai trouvé cette histoire si riche et intéressante que j'ai voulu en faire un billet de blog. Avant de rentrer dans le vif du sujet, un peu de contexte sur le pourquoi du comment de ce billet, comment il est organisé, et ce qu'on peut en attendre.
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{{<info>}}Dr Nozman, un vidéaste comptant 5 millions d'abonnés sur YouTube, parle du LSD dans une [vidéo publiée en novembre 2022](https://www.youtube.com/watch?v=c8V5lNVXNgw). S'il évoque son potentiel thérapeutique dans les études récentes, il le décrit surtout sans équivoque comme une drogue dangereuse, poussant à l'agression contre soi-même et contre les autres, à même de déclencher de graves psychoses. Pour cette vidéo, il a travaillé avec un toxicologue. C'est dire si encore aujourd'hui, le LSD traîne des a priori très négatifs, y compris chez les scientifiques.{{</info>}}
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## Intentions
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Dans sa présentation, Zoë Dubus a montré que la réponse est complexe et multi-causale, comme toujours en histoire. Entre politique, questions de genre, évolution de la méthode scientifique, panique morale, manipulation de l'opinion, héritage de la psychanalyse et contre-culture, l'histoire de l'abandon du LSD en médecine est un mille-feuille passionnant.
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L'intention principale de ce billet est de montrer le changement de perspective historique massif offert par les *psychedelic studies*. Je trouve qu'en histoire, ce genre de retournement est très stimulant, d'autant plus quand il est bien documenté^[Pour donner deux exemples, je pense à « Homo Domesticus » de James C. Scott, qui retourne totalement le mythe de l'agriculture, et « Dette : 5000 ans d'histoire » de David Graeber, qui met en pièces le mythe du troc précédant la monnaie. Ce qui est passionnant dans ces retournements est bien sûr les perspectives excitantes offertes par une relecture de l'histoire, mais aussi un aspect plus « meta », historiographique, qui explique pourquoi une vision de l'histoire si erronée a pu perdurer pendant si longtemps. À l'inverse, il existe des retournements stimulants mais qui restent au stade d'hypothèse, parfois repris avec trop d'enthousiasme. Les idées nouvelles devraient activer notre esprit critique, même quand elle sont séduisantes.]. L'intention secondaire est de faire connaître l'état des recherches modernes sur les psychédéliques et les nouveaux enjeux associés. Un objectif annexe est tout simplement de me pousser à aller plus loin, à synthétiser, agencer, reformuler, pour faire avancer ma réflexion.
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L'idée d'une série de billets de blog était née. Avant de rentrer dans le vif du sujet, un peu de contexte sur le pourquoi du comment de ces billets, et ce que vous pouvez en attendre.
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## D'où je parle ?
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## Intentions et positionnement
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Mon intérêt pour ce sujet très spécifique peut sembler louche, alors je commence par déclarer mes « conflits d'intérêts », ce qui aidera à comprendre d'où je parle et donc à prendre des distances vis-à-vis de ce que je dis. Je suis concerné depuis toujours par le sujet de la santé mentale, et en particulier de la dépression et de l'anxiété. J'ai eu l'occasion d'expérimenter plusieurs psychédéliques dans un cadre récréatif. J'ai également tenté de me soigner à l'aide de substances psychédéliques, sans succès. Si je livre des choses intimes, c'est par souci d'honnêteté radicale, car d'où qu'on parle on parle toujours un biais. Je tente dans ce qui suit d'être le plus honnête possible et je ne cherche pas à convaincre, mais je pars avec un biais positif pour les psychédéliques. Pour l'esprit critique, c'est bien de garder ceci en tête.
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Mon intention principale est de participer à la diffusion du changement de perspective massif offert par les *psychedelic studies*, un champ de recherche pluri-disciplinaire autour des psychédéliques. Je trouve qu'en histoire, ce genre de retournement est très stimulant et vient gratter les certitudes[^graeber]. L'intention secondaire est de faire connaître l'état des recherches modernes sur les psychédéliques et leurs enjeux singuliers.
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[^graeber]: Pour donner deux exemples, je pense à « [Homo Domesticus](https://www.editionsladecouverte.fr/homo_domesticus-9782707199232) » de James C. Scott, qui retourne totalement le mythe de l'agriculture salvatrice, et « [Dette : 5000 ans d'histoire](https://www.actes-sud.fr/node/55181) » de David Graeber, qui met en pièces le mythe du troc inefficace résolu par la monnaie. Ce qui est passionnant dans ces retournements est bien sûr les perspectives excitantes offertes par une relecture de l'histoire, mais aussi un aspect plus « meta », historiographique, qui explique pourquoi une vision de l'histoire si erronée a pu perdurer si longtemps. À l'inverse, il existe des retournements stimulants mais qui restent au stade d'hypothèses, parfois repris avec trop d'enthousiasme. Les idées nouvelles devraient activer notre esprit critique, même quand elle sont séduisantes.
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## D'où viennent les informations ?
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Mon intérêt pour ce sujet très spécifique peut sembler louche, alors j'aimerais prendre un temps pour déclarer mes « conflits d'intérêts ». D'abord, j'ai toujours été concerné par la santé mentale, étant particulièrement sujet à la dépression et aux troubles anxieux. Si j'ai expérimenté plusieurs psychédéliques dans un cadre « récréatif », j'ai également tenté de me soigner avec — sans succès. Ils me fascinent par leur capacité unique à modifier l'état de conscience. Ça en fait, à mon sens, un outil incroyable pour comprendre la façon dont le cerveau humain fonctionne, et potentiellement un outil d'introspection (mais dans des conditions très particulières, que l'on verra plus tard). Je livre ces éléments intimes et subjectifs (donc inconfortables) par souci d'honnêteté pour les personnes qui lisent. D'où qu'on parle, on parle toujours avec des biais. Je tente dans ce qui suit d'être le plus sincère possible et je ne cherche pas à convaincre, mais gardez à l'esprit que je partais avec cet a priori positif avant de commencer mes recherches.
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La très grande majorité de ce billet est inspirée par les articles et communications de Zoë Dubus, qui est la première chercheuse en France à travailler sur le sujet. Ses travaux permettent de mettre en lumière certaines spécificités françaises. Pour ne pas alourdir le billet, je ne source pas les informations issues de ses recherches. On peut facilement retrouver les sources primaires dans les références suivantes :
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## Organisation du dossier
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* « Des thérapies de choc au « set and setting », évolution des méthodes d’administration de LSD, 1950-1970 », YouTube.
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* « Marginalisation, stigmatisation et abandon du LSD en médecine », Histoire, médecine et santé, numéro 15, 2020, p. 87-105.
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* « Liberté de prescrire et de consommer et/ou addiction ? », Les Cahiers Henri Ey, 2021, 47-48, p .105-112.
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* « LSD et soins palliatifs dans les années 1960, un rendez-vous manqué ? », Médecine Palliative, Volume 20, Issue 6, 2021, p. 312-321.
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* « Le traitement médiatique du LSD en France en 1966 : de la panique morale à la fin des études cliniques. », Cygne noir, numéro 9, 2021, p. 36–62.
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* « Utiliser les psychédéliques pour « guérir » des adolescents homosexuels ? Essai de thérapie de conversion, France, 1960 ». Annales Médico-Psychologiques, Revue Psychiatrique, 2020, 178 (6), pp.650-656.
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* « Les scientifiques et l’auto-expérimentation de LSD ». 2020.
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Cette série est découpée en trois billets, sans compter cette introduction et d'une conclusion.
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Les autres informations sont sourcées, et j'indique explicitement quand je donne mon opinion personnelle.
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[Le premier]({{<ref "/posts/lsd/02-lsd-everywhere/index.md">}}) raconte l'histoire des psychédéliques en psychiatrie avant 1970. Qu'appelle-t-on psychédéliques ? Comment ont-elles été utilisées au fil de l'histoire ? Où en est la médecine psychiatrique occidentale pré-LSD ? Et comment en vient-elle à l'utiliser massivement ?
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## Plans
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[Le deuxième]({{<ref "/posts/lsd/03-lsd-banned/index.md">}}) raconte la descente aux enfers du LSD. À la fin des années 60, une mosaïque complexe déchire la société : peur de la contre-culture, évolution de la méthode scientifique, peur des dérives sectaires, refus d'adopter des pratiques de *care*… Mélangez tout ça, et le LSD est brutalement criminalisé.
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Le billet est découpé en trois parties, en plus de cette introduction.
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[Le troisième]({{<ref "/posts/lsd/04-lsd-revival/index.md">}}) raconte le regain d'intérêt scientifique et populaire pour les psychédéliques ces 15 dernières années. S'il y a tout lieu d'être optimiste, il y a des ombres au tableau et il faut se garder de tomber dans l'optimisme béat : capitalisme, violences sexuelles et néolibéralisme sont passés par là.
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La première vise à poser le contexte et à partir des mêmes bases communes. D'une part, qu'est-ce-qu'on appelle psychédélique ? D'où ces substances sortent-elle ? Comment ont-elles été utilisées au fil de l'histoire ? D'autre part, où en est la médecine psychiatrique occidentale au moment où elle rencontre les psychédéliques, et en particulier le LSD ?
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Les notes de bas de page sont là pour donner des détails sur des (hors)-sujets et alléger la lecture. N'hésitez pas à les lire en cliquant dessus si vous êtes curieux·se et avez le temps, on y trouve des infos intéressantes ! 😁
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La deuxième concerne l'histoire du LSD en médecine de 1950 à 1970 : enthousiasme, étude massive, espoirs, puis abandon et criminalisation. C'est la diabolisation systématique des psychédéliques.
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## Sources et limites
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La troisième relate le regain d'intérêt scientifique pour les psychédéliques ces 15 dernières années et dresse un état des lieux. S'il y a tout lieu d'être optimiste, il faut faire attention à ne pas tomber dans l'extrême inverse : il y a des points d'attention cruciaux à garder en tête.
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La très grande majorité de cette série est inspirée par les articles et communications de Zoë Dubus, première chercheuse en France à travailler sur le sujet. Ses travaux mettent notamment en lumière les spécificités françaises. Pour ne pas alourdir la lecture, j'indique les sources principales une bonne fois pour toutes ici :
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Les notes de bas de page sont là pour donner des détails sur des sujets qui dépasse le cadre de ce billet : n'hésitez pas à les lire en cliquant dessus si vous êtes curieux·se ! 😁
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* [« Marginalisation, stigmatisation et abandon du LSD en médecine »](https://journals.openedition.org/hms/2168), 2020 ;
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* [« Utiliser les psychédéliques pour "guérir" des adolescents homosexuels ? Essai de thérapie de conversion, France, 1960 »](https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003448720301487?via%3Dihub). 2020 ;
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* [« Liberté de prescrire et de consommer et/ou addiction ? »](https://hal.science/hal-03189879v1/file/Courrier%20des%20lecteurs%2C%20Cahiers%20Henri%20Ey.pdf), 2021 ;
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* [« LSD et soins palliatifs dans les années 1960, un rendez-vous manqué ? »](https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1636652220302385?via%3Dihub), 2021 ;
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* [« Le traitement médiatique du LSD en France en 1966 : de la panique morale à la fin des études cliniques. »](https://www.erudit.org/fr/revues/cygnenoir/2021-n9-cygnenoir07195/1091460ar/), 2021 ;
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* [« Des thérapies de choc au "set and setting", évolution des méthodes d’administration de LSD, 1950-1970 »]((https://www.youtube.com/watch?v=Y61rOt_0c-Q)), 2023 ;
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* Conférence « Femmes et psychédéliques dans l'histoire Occidentale » au [Hadra Trance Festival](https://hadratrancefestival.net/), 2023, pas encore en podcast.
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## Limites
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Les autres sources sont systématiquement indiquées par des liens et j'indique explicitement quand je donne mon opinion.
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Ce billet n'est pas du tout au standard d'un article scientifique ; il n'a d'ailleurs pas été relu par des spécialistes. Il est court relativement à la quantité de sujets traités. Il simplifie nécessairement la réalité. Je pense que c'est une bonne introduction, pas forcément ultra-précise ou nuancée, mais qui peut donner envie de plus se renseigner.
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{{<warn title="Accéder aux sources payantes">}}
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La recherche publique est privatisée par des éditeurs prédateurs, comme on parle [ici chez Picasoft](https://podcast.picasoft.net/@la_voix_est_libre/episodes/open-science-la-libre-circulation-des-connaissances). Ainsi, la plupart des sources ne sont pas accessibles sans payer. Pour y accéder (illégalement), vous pouvez utiliser :
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Je vous invite à ne pas prendre ce qui est écrit pour argent comptant et à aller vérifier les informations. J'ai pu passer à côté de quelque chose, mal comprendre, mal synthétiser. J'ai une formation d'ingénieur en informatique, et bien que ces sujets me passionnent depuis un moment, je ne suis ni historien, ni sociologue, ni neurologue.
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* [Sci-Hub](https://sci-hub.hkvisa.net/) pour les articles scientifiques (il suffit de copier l'URL de l'article) ;
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* [Z-Library](https://singlelogin.re/) pour les livres (une recherche avec le titre fonctionne).
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Avec ces précisions en tête, j'espère que la lecture sera agréable et que vous apprendrez des choses. 😄
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Ces sites sont probablement bloqués par votre fournisseur d'accès à internet. Les copaines de l'asso la Contre-Voie [proposent un service légal](https://lacontrevoie.fr/services/doh/) permettant notamment de contourner ces blocages, l'utilisation des sites restant illégale. Allez-y, et ça améliorera votre vie privée au passage en empêchant de faire fuiter votre historique à des acteurs privés.
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{{</warn>}}
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## Une brève histoire des psychédéliques
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Malgré ces précautions, ces billets ne sont pas du tout au standard d'un article scientifique. Il n'a pas été relu par des spécialistes. Il est court relativement à la quantité de sujets traités. Il simplifie nécessairement la réalité. Je pense néanmoins que c'est une bonne introduction, qui montre combien le sujet est dense.
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D'abord, je vous propose de faire un petit point sur ce qu'on appelle psychédélique, puisque on part toustes avec des a priori différents.
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Ne prenez pas ce qui est écrit pour argent comptant et vérifiez les informations avant d'en parler autour de vous. J'ai pu passer à côté de quelque chose, mal comprendre, mal synthétiser. J'ai une formation d'ingénieur en informatique, et bien que ces sujets me passionnent depuis un moment, je ne suis ni historien, ni sociologue, ni neurologue.
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Le mot psychédélique est très récent : c'est un néologisme inventé en 1956 par Humphry Osmond dans une correspondance avec Aldous Huxley, célèbre pour « [Le meilleur des mondes](https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Meilleur_des_mondes) » mais moins connu du grand public pour son exploration intensive... des psychédéliques, justement.
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Et voilà ! J'espère que la lecture sera agréable et que vous apprendrez des choses. 😄
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Psychédélique vient du grec ancien ψυχή, « âme », et δῆλος, « rendre visible ». Étymologiquement, les psychédéliques sont donc des substances « révélatrices de l'âme ». Le mot est une tentative de désigner des substances qui « enrichissent l'esprit » et « agrandissent la vision »^[osmond].
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[^osmond]: Osmond, H. (1957), A REVIEW OF THE CLINICAL EFFECTS OF PSYCHOTOMIMETIC AGENTS. Annals of the New York Academy of Sciences, 66: 418-434. https://doi.org/10.1111/j.1749-6632.1957.tb40738.x
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Les psychédéliques les plus connus sont le LSD et la psilocybine, une des substances actives des « champignons magiques ».
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Plus concrètement, d'un point de vue psychologique, les psychédéliques modifient fortement l'état de conscience avec un spectre d'effets similaires. Quelques exemples : non-linéarité des raisonnements, acceptation des paradoxes, perception de connexion, sensibilité des sens, impression de révélation de mécanismes de l'esprit ou du monde, expérience mystique, sentiment d'unité, de paix, diminution voire dissolution de l'égo, etc. De façon générale, les psychédéliques ont en commun de produire des expériences qui ne peuvent pas être expliquées avec des mots (ineffabilité) et donnent la sensation de savoir des choses sans parvenir à les expliquer rationnellement.
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La similitude de la nature des effets des psychédéliques s'explique par une base biologique commune^[5ht2a]. Ainsi, les techniques modernes d'imagerie médicale ont pu montrer que les psychédéliques agissent en diminuant l'activité du « réseau du mode par défaut », l'ensemble des régions du cerveau vraisemblablement à l'origine de la perception de soi, l'introspection, l'auto-critique. Tandis qu'une suractivité peut être liée à des sentiments anxieux et dépressifs, une sous-activité correspond à des états de méditation profonde, participant de l'effacement de l'égo. C'est précisément ce que font les psychédéliques pendant la prise^[dnm]. Ce réseau est re-consolidé après la prise, mais différemment ; les chercheur·ses parlent de « réinitialisation »^[reset]. Enfin, une prise de psychédélique augmente la communication entre des zones du cerveau ne communiquant pas habituellement, permettant l'exploration d'idées moins « contraintes », à la manière des enfants^[func]^[func2]. Enfin, les psychédéliques semblent augmenter fortement la plasticité du cerveau, c'est-à-dire sa capacité à créer de nouvelles connexions entre les neurones^[plasticity]. Il y a néanmoins quelques réserves à émettre sur ces affirmations, mais ce sera pour la dernière partie de ce billet.
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^[5ht2a]: Ils ont une affinité plus ou moins forte avec un type particulier de récepteur de la sérotonine (5-HT2A), neurotransmetteur connu pour ses rôles dans la régulation de l'humeur. L'ensemble des mécanismes connus peut être exploré dans ce long article : « Nichols, D. E. (2016). Psychedelics. Pharmacological Reviews, 68(2), 264–355. doi:10.1124/pr.115.011478 ».
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^[dnm]: Gattuso JJ, Perkins D, Ruffell S, et al. Default Mode Network Modulation by Psychedelics: A Systematic Review. Int J Neuropsychopharmacol. 2023;26(3):155-188. doi:10.1093/ijnp/pyac074
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^[reset]: Carhart-Harris, Robin et al. (2017). Psilocybin for treatment-resistant depression: FMRI-measured brain mechanisms. Scientific Reports. 7. 10.1038/s41598-017-13282-7.
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^[func]: Carhart-Harris, Robin et al. (2014) The entropic brain: a theory of conscious states informed by neuroimaging research with psychedelic drugs. Front. Hum. Neurosci. 8:20. doi: 10.3389/fnhum.2014.00020
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^[func2]: Felix Müller, Patrick C. Dolder, André Schmidt, Matthias E. Liechti, Stefan Borgwardt, Altered network hub connectivity after acute LSD administration, https://doi.org/10.1016/j.nicl.2018.03.005.
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^[plasticity]: D'ailleurs, l'origine de la dépression fait débat à ce sujet. Si classiquement, elle a été suspectée d'être dûe à un manque de sérotonine ([hypothèse monoaminergique](https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9pression_(psychiatrie)#Hypoth%C3%A8se_monoaminergique)), une hypothèse plus récente penche pour un manque de plasticité du cerveau ([hypothèse neurotrophique](https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9pression_(psychiatrie)#Neurogen%C3%A8se_hippocampique)). Voir « Moliner, R., Girych, M., Brunello, C.A. et al. Psychedelics promote plasticity by directly binding to BDNF receptor TrkB. Nat Neurosci 26, 1032–1041 (2023). https://doi.org/10.1038/s41593-023-01316-5 ».
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Si les définitions biologiques et psychologiques ne collent pas tout à fait — on peut trouver quelques exceptions qui rentrent dans une catégorie et pas dans l'autre, elles restent satisfaisantes pour délimiter grossièrement ce dont on va parler.
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Si je passe autant de temps à cerner le sujet, c'est que les psychédéliques ont une présence non négligeable au cours de l'existence humaine. De nombreuses plantes possèdent ces propriétés, et par leur capacité unique à produire des expériences mystiques intenses^[Les substances dont la principale caractéristique sera justement de faire ressentir une sensation de sacré, de divin, d'entités, etc, seront appelées [enthéogènes](https://en.wikipedia.org/wiki/Entheogen) ; certains psychédéliques, comme la DMT, sont des enthéogènes.], il n'est pas étonnant de retrouver des traces de leur consommation dans un grand nombre de civilisations. Ainsi on retrouve l'usage des psychédéliques :
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* Dans la pharmacopée chinoise traditionnelle^[china] ;
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* Chez les Mayas^[mayas] et les Aztèques^[aztec], le plus connu étant l'utilisation des champignons pour les cérémonies religieuses ;
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* Par les peuples indigènes de Sibérie^[siberia] ;
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* Chez les Aryens, où l'on pense que le dieu Soma correspond aux champignons^[aryan] ;
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* Possiblement en Grèce Ancienne, lors des Mystères d'Éleusis, culte ésotérique annuel et secret^[greek] ;
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* Et dans beaucoup d'autres époques et peuples^[substances].
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[^china]: https://en.wikipedia.org/wiki/Hallucinogenic_plants_in_Chinese_herbals
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[^mayas]: https://en.wikipedia.org/wiki/Entheogenics_and_the_Maya
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[^aztec]: https://en.wikipedia.org/wiki/Aztec_use_of_entheogens
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[^siberia]: https://en.wikipedia.org/wiki/Amanita_muscaria#Siberia
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[^aryan]: Peter T. Furst, Hallucinogens and Culture, 1976, ISBN 9780883165171.
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[^greek]: Bizzotto J. The hypothesis on the presence of entheogens in the Eleusinian Mysteries. Med Histor [Internet]. 2018 Aug. 30 [cited 2023 May 21];2(2):109-10. Available from: https://mattioli1885journals.com/index.php/MedHistor/article/view/7443
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[^substances]: https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_substances_used_in_rituals
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Néanmoins, on peut noter qu'aucune trace sérieuse ou notable de l'utilisation des psychédéliques n'a été observée en Occident, malgré la présence de dizaines d'espèces de champignons psychédéliques. C'est d'ailleurs lors de voyages au Mexique dans les années 50 que l'utilisation des champignons lors de rituels est observée. Des échantillons sont ramenés et cultivés en Europe, ce qui mènera à l'isolation de leur principe actif, la psilocybine. À la même époque, le LSD est synthétisé pour la première fois (et par la même personne !).
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C'est donc seulement dans les années 50 que les psychédéliques commencent à être étudiés en Occident. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, il me semble utile de brosser le portrait de la psychiatrie à cette époque, pour comprendre le contexte dans lequel viennent s'insérer les psychédéliques.
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## État des lieux de la psychiatrie pré-LSD
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Jusque dans les années 1950, la psychiatrie *mainstream* s'appuie sur deux outils : la **thérapie de choc** et la **psychanalyse**.
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La psychanalyse, popularisée par Freud, suppose l'existence d'un *inconscient* qu'il s'agirait de révéler, en y cherchant la cause cachée de ce qu'on considère être des troubles mentaux, dont la très à la mode *hystérie*^[hysteria]. Elle se pose donc comme une méthode d'investigation particulièrement longue, s'étendant sur plusieurs années. Si l'efficacité de la psychanalyse est très controversée aujourd'hui[^psych], une chose est sûre : elle est réservées aux privilégiés. Mobiliser une personne pour des séances de quasiment une heure, parfois plusieurs fois par semaine, pendant des années, nécessite d'avoir de l'argent et du temps : impossible de passer à l'échelle.
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^[hysteria]:Plus personne ne prend cette « maladie » au sérieux aujourd'hui ; on sait d'ailleurs qu'elle a été utilisée comme fourre-tout pour pathologiser et contrôler les comportements des femmes, par exemple quand elles ne souhaitaient pas se marier.
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^[psych]:Le sujet est un peu velu pour moi. Sur [Wikipédia](https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychanalyse#Efficacit%C3%A9_th%C3%A9rapeutique), on voit que plusieurs méta-analyses se contredisent concernant les thérapies ayant pour base l'inconscient (même si on parle ici de thérapies plus courtes qu'une psychanalyse classique). Si les biais sexistes de Freud se retrouvent dans énormément de concepts psychanalytiques du siècle dernier, je ne sais pas ce qu'il en est aujourd'hui.
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Les thérapies de choc collent globalement à l'imaginaire « barbare » de la psychiatrie à l'ancienne : électrochocs — déclenchement d'une crise d'épilepsie par stimulation électrique du cuir chevelu, lobotomie^[Je me rappelle avoir découvert la lobotomie au cinéma, devant le film Shutter Island.] — ablation d'une partie du cerveau, coma insulinique — injection d'insuline jusqu'à provoquer le coma par hypoglycémie... Elles sont popularisées en France par Constance Pascal, première femme à passer le concours public de psychiatre. La base théorique de la thérapie par les chocs est établie par Paul Delmas, psychiatre et neurologue. Il compare l'esprit à un bâtiment. Lors d'un choc, l'esprit est comme un bâtiment délabré, à moitié rasé. Pour en guérir, il faut un nouveau choc permettant de raser le reste (dissolution) et de repartir sur des bases saines (reconstruction). Les thérapies de choc fonctionne à quelques occasions, dans des conditions comme la schizophrénie et les syndromes de stress post-traumatique. Elles comportent énormément de risques graves et leurs bases scientifique est très légère. Mais elles ont l'avantage de coûter peu cher et d'être courtes. Alors, faute de mieux, les thérapies de choc restent massivement employées.
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Une troisième voie s'ouvre dans les années 50 avec la **psychopharmacologie**. Littéralement, c'est l'étude des médicaments psychotropes, c'est-à-dire qui altère le fonctionnement du cerveau, appliquée ici aux troubles psychiatriques. La découverte de la chlorpromazine marque cette nouvelle ère. C'est un **neuroleptique**, c'est-à-dire une substance puissamment « tranquillisante » aux propriétés antipsychotiques, c'est-à-dire qui apaisent les idées « délirantes » et les hallucinations. Ils sont utilisés, encore aujourd'hui, dans le traitement des symptômes de la schizophrénie et des troubles bipolaires. L'arrivée de ces médicaments dans les hôpitaux psychiatriques marquent un tournant, car on pensait jusqu'alors que la « folie » était incurable et on enfermait simplement les patient·es dans des asiles.
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Mais le soulagement des symptômes « délirants » ne sont pas les seules applications des psychotropes. Depuis les années 30, mais particulièrement à partir des années 50, on les utilise pour la **narcoanalyse**. C'est Jean Delay, psychiatre et neurologue faisant figure d'autorité et spécialiste de la première heure des neuroleptiques, qui poussera le concept en France. La narcoanalyse, c'est administrer de très fortes doses de barbituriques — psychotropes à très fort effet sédatif — ou des amphétamines — pouvant produire des « décharges émotionnelles^[amphet] » — pour soutirer des informations aux patient·es, faire remonter des souvenirs cachés. Ces derniers parlent de « sérum de vérité ». On essaye notamment de déterminer si iels ont des hallucinations, censées être un marqueur de folie.
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^[amphet]:Parada, Carlos. « Le choc de l'amphétamine », Toucher le cerveau, changer l'esprit. sous la direction de Parada Carlos. Presses Universitaires de France, 2016, pp. 125-131.
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L'absence totale de confiance et de coopération entre patient·e et thérapeute est frappante dans l'ensemble de ces procédés. Même dans la psychanalyse, on cherche à garder une distance avec les patient·es pour ne pas perturber le processus de transfert^[transfert]. Le patient n'est pas supposé digne de confiance, et il s'agit d'extraire les vérités cachées sans coopération horizontale.
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^[transfert]: Cf Freud, sur « l'amour de transfert » que l'on saura apprécier : « Dans bien des cas, poursuit-il, et principalement chez les femmes, et lorsqu’il s’agit d’expliquer des associations de pensées érotiques, la collaboration des patients devient un sacrifice personnel qu’il faut compenser par quelques succédanés d’amour. Les efforts du médecin, son attitude de bienveillante patience doivent constituer des succédanés suffisants. » : https://fr.wikipedia.org/wiki/Transfert_(psychanalyse)
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C'est dans ce contexte de soin froid, méfiant et vertical que le LSD fait son apparition.
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## Le LSD comme substance pharmacologique
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Le LSD est synthétisé pour la première fois en 1938 dans les laboratoires Sandoz. L'histoire de sa synthèse est célèbre. Albert Hofmann étudie alors des dérivés de l'ergot de seigle, un champignon parasite, dans l'espoir de synthétiser un stimulant du système respiratoire. C'est un échec, mais il revient sur ses expériences en 1943. Il absorbe alors accidentellement une très faible dose de LSD et constate des effets inattendus sur l'imagination et la vision. Deux jours plus tard, curieux et décidé à investiguer, il ingère 250 microgrammes, soit une quantité miniscule, par principe de précaution. Mais le LSD est actif à seulement 20 microgrammes, ce qui est assez extraordinaire : la majorité des médicaments est plutôt dosé à partir du milligrame. 250 miligrammes, c'est une sacrée dose, de quoi voir du pays. Hofmann sera la première personne à vivre une intense expérience psychédélique sous LSD. Ses sens et sa cognition sont puissament altérés et il pense mourir. Il appelle un docteur qui le rassure sur ses signes vitaux. Il raconte alors :
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> Petit à petit, j'ai commencé à apprécier les couleurs et le jeu des ombres sans précédents qui persistait derrière mes yeux clos. Des images fantastatiques, kaléidoscopiques surgissaient, bigarrées, mouvantes, s'ouvrant et se fermant en cercles et en spirales, explosant en fontaines colorées, s'arrangeant et s'hybridant en un flux constant [...] chaque son, comme une poignée de porte ou une voiture qui passe [...] générait une image très dynamique [...] le lendemain, ma tête était claire et une sensation de bien-être et de seconde naissance me traversait [...] le monde semblait être tout juste créé.^[bycicle]
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^[bycicle]: Traduction personnelle de l'anglais — « LSD, my problem child », Albert Hoffman.
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Vous l'aurez compris, le LSD provoque un changement très important dans les sens, mais aussi au niveau de l'esprit : la logique fonctionne différemment, le concept de « soi » peut avoir un sens très différent, etc^[effects].
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^[effects]: Il est impossible de décrire les effets du LSD sans l'avoir expérimenté : ce serait un peu comme tenter de décrire une couleur à quelqu'un qui n'a jamais vu. Mais on peut néanmoins consulter cette liste assez complète expliquant au mieux les effets subjectifs du LSD : https://psychonautwiki.org/wiki/LSD#Subjective_effects
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Un brevet est alors déposé et le fils du patron de Sandoz, psychiatre, qui est le premier à tester le LSD sur des patient·es. L'idée peut sembler saugrenue, mais on imagine alors que le LSD est un **psychotomimétique**, c'est-à-dire capable de produire une psychose temporaire. On fait l'hypothèse que le LSD permet de créer des états semblables à ceux créés par la schizophrénie. L'espoir est grand : si cette hypothèse est vraie et qu'on trouve un antidote au LSD, alors cet antidote devrait fonctionner pour les psychoses en général. C'est notamment dans ce cadre que Sandoz l'envoie à des psychiatres du monde entier dès 1947.
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L'hypothèse psychotomimétique est peu à peu abandonnée, mais en France, on se borne à pathologiser le LSD et on invente alors le terme **psychodysleptique**, littéralement un perturbateur du fonctionnement psychique. Le mot psychédélique reste absent, car à connotation trop positive et semblant indiquer un possible effet thérapeutique.
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L'essentiel des expérimentations en France se concentre donc sur la modification du comportement humain en induisant une psychose temporaire, et surtout pas de l'expérience du LSD comme outil thérapeutique. Ainsi, il est expérimenté dans le traitement des addictions à l'alcool et comme instrument de manipulation mentale.
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En France, dans la lignée de la narcoanalyse, Delay invente l'oniroanalyse : l'exploration de l'inconscient par des psychodysleptiques. Avec le LSD, il constate alors une « extériorisation rapide de situations affectives, de complexes, de souvenirs anciens, auparavant tus, dissimulés ou méconnus ». Bien que s'inscrivant toujours dans l'idée de soutirer des informations au patient, l'utilité du LSD comme accélérateur de psychothérapie commence à être envisagée.
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Pire encore, le LSD est expérimenté pour tenter de convertir de force des personnes homosexuelles . En France, des mineurs sont soumis à des très fortes doses de LSD par Roland Lanter, sans leur consentement — obligatoire en France seulement depuis 2002^[consentement] — dans le cadre d'une « thérapie de dégoût ». L'idée est de provoquer un choc si fort qu'il fragmenterait leur égo pour mieux le refaçonner. En l'occurence, il s'agit de les dégoûter de leur comportement perçu comme déviant, et donc pathologique.
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^[consentement]: CARDIN Hélène, « La loi du 4 mars 2002 dite “loi Kouchner” », Les Tribunes de la santé, 2014/1 (n° 42), p. 27-33. DOI : 10.3917/seve.042.0027. URL : https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2014-1-page-27.htm
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Dans la lignée des thérapies de choc, Jean Weil, l'interne de Lanter, ira même jusqu'à défendre une « cure par l'angoisse », qualifiée de « très traumatisante », de laquelle sont pourtant rapportés des résultats encourageant pour le soigner l'alcoolisme.
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Le point commun entre toutes ces études, outre la violence imposée aux patient·es, c'est l'étude du LSD comme substance pharmacologique banale, c'est-à-dire sans préparation des patient·es. Or, l'expérience du LSD est si intense qu'elle bouleverse les sujets et peut produire un état de grande angoisse sans accompagnement adéquat — le même état qu'Albert Hoffman a ressenti en premier lieu. D'autant plus quand c'est le but recherché.
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Les résultats avec l'approche traditionnelle sont donc mitigés. Le « ratio bénéfice-risque », comme on dirait aujourd'hui, semble mauvais.
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Pourtant, ailleurs dans le monde, le son de cloche est différent. Aux États-Unis, on lui découvre des propriétés antalgiques et on l'utilise en soins palliatifs avec de très bons résultats : la douleur des patient·es est diminuée, mais fait encore plus étonnant, leur rapport à la mort change et devient moins anxieux. Cette étrangeté pousse des chercheur·ses d'autres nationalités à creuser. Et iels trouveront des applications bien plus spectaculaires au LSD.
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En revanche, jusqu'au bout, la France aura fait figure d'exception en refusant de s'extraire de son cadre violent.
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## LSD et *care* : le « set and settings »
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Pour comprendre pourquoi d'autres approches du LSD ont émergé, il faut parler d'auto-expérimentation.
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La notice d'utilisation du Delysid — le nom donné au LSD envoyé par Sandoz aux chercheurs — encourage son auto-administration. L'expérience est en effet réputée *ineffable* : il n'existe pas de mots adéquats pour en parler. À cette époque, il est attendu et normal pour les scientifiques d'essayer les produits qu'iels administrent : il s'agit de la seule manière d'arriver à une compréhension fine d'une part, et de développer une empathie pour l'expérience des patient·es d'autre part.
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C'est ainsi que Sidney Cohen, psychiatre américain et futur directeur du National Institute of Mental Health, essaye le LSD. Ayant parcouru la littérature scientifique existante, il s'attend à ressentir une grand angoisse et un délire désorienté. Pourtant, il décrit :
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> Les problèmes et les efforts, les inquiétudes et les frustrations de la vie quotidienne disparaissaient ; à leur place se trouvait une quiétude intérieure majestueuse, ensoleillée et paradisiaque... Il me semblait être enfin arrivé à la contemplation de la vérité éternelle.
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Son cas est loin d'être isolé et d'autres médecins font une toute autre expérience que l'angoisse attendue. Pour élucider ce mystère, si ce n'est pas la substance, il faut chercher du côté du **contexte**. En effet, ces médecins expérimentent le LSD dans un cadre rassurant, calme, consenti. Ils et elles comprennent alors l'importance cruciale de l'état d'esprit (*mindset*) et de l'environnement (*settings*) dans le déroulement de l'expérience. Aujourd'hui, on sait expliquer pourquoi le LSD rend si perceptif et sensible à ces paramètres ; à l'époque on en fait simplement l'observation. Le LSD est diamétralement opposé aux neuroleptiques, qui rendent apathique et indifférent. On peut tout à fait administrer un neuroleptique à dix patient·es et s'en aller : l'intervention du psychiatre n'est pas nécessaire.
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Le LSD, ce n'est pas la même limonade, et c'est alors qu'on commence à envisager une autre voie : rajouter du *care* (prendre soin) autour du LSD.
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L'attention au bien-être psychologique et au bien-être physiologique (décoration, musique, calme, présence rassurante et soutenance...) est ainsi nommée *set and settings*, une expression qui perdure aujourd'hui dans les communautés d'usager·es. Le set and settings implique une **individualisation** forte et une **alliance thérapeutique** entre patient et thérapeute, à travers des discussions en amont et en aval, visant à négocier les buts recherchés et à intégrer les expériences sous substance.
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Beaucoup de ces thérapeutes soient des femmes, ce qui est pourtant rare dans les années 50. Vue la division sexuée du travail (médecins hommes distants, femmes infirmières maternantes), ce n'est pas très étonnant^[women_ss].
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^[women_ss]: Zoë Dubus, Women’s Historical Influence on “Set and Setting”. URL : https://chacruna.net/women-and-history-of-set-and-setting/. Cette remarque dépasse le cadre de ce billet, mais le care est en effet historiquement, et encore aujourd'hui, très genré. Les *gender studies* ont mis ce phénomène en lumière depuis des dizaines d'années. Les explications sont multiples, mais une constante est que les femmes sont socialisées (à l'école, en famille, par les oeuvres culturelles, les lois autour de la natalité...) pour accorder de l'importance aux émotions, à l'écoute des autres, à l'intimité, etc. Les hommes sont en revanche encouragés à masquer leurs émotions, à jouer la compétition, à briller publiquement. Cette différence a longtemps été perçue comme étant « naturellement féminine ». Lire par exemple « Marilyn Poole, Dallas Isaacs, Caring: A gendered concept, Women's Studies International Forum, Volume 20, Issue 4, 1997, Pages 529-536, ISSN 0277-5395, https://doi.org/10.1016/S0277-5395(97)00041-1 ».
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L'exemple le plus frappant est celui de Joyce Martin, psychiatre et psychanalyste anglaise, qui développe la thérapie fusionnelle. Réservée aux patient·es montrant de graves carences affectives, Martin leur administre de fortes doses de LSD, se couche avec elleux dans un lit, les prend dans ses bras et leur offre du lait chaud. L'idée, vous l'aurez compris, est de recréer une expérience de la maternité. La thérapie de Martin est surprenamment bien accueillie par la communauté scientifique : des médecins du monde entier viennent dans son service pour se mettre à la place des patient·es et s'en inspirent pour leurs propres pratiques, les déculpabilisant du même coup du rapport tactile parfois entretenu avec leurs patient·es.
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En effet, le LSD produit généralement un besoin de contact et de bienveillance. Le point commun entre toutes les pratiques de la psychiatrie traditionnelle évoquées au paragraphe précédent, c'est l'absence de soin porté à l'état du patient, laissé souvent seul, pétri d'angoisse, en pleine lumière et au coeur des allées et venues dans les chambres d'hôpital. Delay, toujours lui, interprète les demande de contact des patient·es cherchant à être rassuré·es comme des « pantomimes érotiques » ou comme la manifestation de « névroses d'abandon ». Henry Ey, un autre neuropsychiatre français, expérimente les thérapies de choc avec le LSD à Saint-Anne sur 75 femmes. Certaines hurlent et se jettent par terre, demandent à mourir, vomissent, supplient qu'on épargne leurs proches de cette expérience et se terrent dans le mutisme. Elles sont attachées lorsque trop agitées.
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Le set and settings est donc une pratique de rupture : le toucher est totalement tabou en psychiatrie et certains psychiatres refusent même de serrer la main des patient·es pour ne pas nuire au processus de transfert. Deux thérapies intégrant le set and settings sont développées. D'une part, la thérapie **psycholytique**, plutôt pratiquée en Europe, consiste en l'administration de faibles doses de LSD pendant les séances de psychothérapie, et visent à approfondir et accélérer le processus en permettant au patient d'accéder à plus de son matériel psychique. D'autre part, la thérapie **psychédélique**, plutôt pratiquée aux États-Unis, consiste en l'administration d'une ou quelques fortes doses de LSD dans le but de créer une expérience « si profonde et impressionnante que l'expérience de vie dans les mois et les années à venir devient un processus de croissance continue ».
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C'est sans aucune surprise que les résultats obtenus dans les expériences avec set and settings sont remarquables.
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Et c'est ici que nous arrivons au point crucial de notre histoire : le LSD avec set and settings produit des résultats spectaculaires, en peu de temps, et sans danger. Pourquoi diable alors les expérimentations ont-elles été stoppées, le LSD interdit et ses usager·es stigmatisé·es, encore aujourd'hui ?
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## « Set and settings » : une pilule difficile à avaler
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Une première raison de l'abandon du LSD en médecine est à chercher du côté des expérimentations elles-mêmes.
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On l'a vu, les résultats obtenus avec set and settings sont bien plus spectaculaires que les autres. Or, et tout particulièrement en France, la recherche refuse d'adopter ces nouveaux protocoles. Le refus d'utiliser le mot « *psychédélique* » pour parler du LSD peut sembler anecdotique, mais est symptomatique. Terme inventé par le psychiatre anglais Humphry Osmond, il signifie littéralement « révélateur de l'âme ». La psychiatrie française s'en tiendra jusqu'au bout à l'interprétation psychodysleptique du LSD. Seul Henry Ey l'utilisera pour qualifier l'expérience des « toxicomanes », supposée amplifiée par leur « désir sexuel plus ou moins sublimé », dans une délicieuse tradition psychanalytique^[sublimation]
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^[sublimation]:« La sublimation est un processus complexe par lequel la pulsion dévie de son but sexuel immédiat pour se mettre à la disposition d'activités culturelles socialement valorisées » — https://fr.wikipedia.org/wiki/Sublimation_(psychanalyse).
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C'est cette même tradition qui se refuse à établir une relation horizontale, nécessaire au set and settings, entre thérapeutes et patient·es. Dans cette configuration, les ressentis des patient·es doivent être pris en compte sans défiance et avec bienveillance ; à l'inverse, la tradition psychanalytique suppose l'expertise du thérapeute, le primat de son interprétation et l'ignorance des patient·es. Ainsi, bien que les médecins français aient eu connaissance de l'efficacité du set and settings^[ss_efficiency], quasiment aucune étude n'a lieu en France avec ces protocoles. On l'a vu, le fait que les médecins soient des hommes est une cause majeure de la méfiance vis-à-vis du *care*, relégué aux tâches subalternes des infirmières.
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^[ss_efficiency]:On sait que les travaux, notamment anglo-saxons, sont connus des psychiatres français car ils sont directement cités dans leurs publications scientifiques.
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L'anecdote de la « cure d'angoisse » promue par Jean Weil rend aussi visible la croyance qu'il faut *souffrir pour guérir*. Cette rhétorique de l'épreuve à traverser par la force de la volonté et malgré les difficultés a elle aussi des relents masculinistes. Mon interprétation à deux balles est la suivante : prendre soin des gens et adopter une posture bienveillante met le thérapeute face à ses propres vulnérabilités : il a peur qu'on abuse de lui, qu'on fasse semblant, ou pire encore, que l'on touche à ses émotions. Alors, ils préfèrent se méfier et utiliser des méthodes douloureuses et pénibles. Ainsi, on est sûr de faire le tri entre les « vrais malades qui méritent de guérir » et les « faux malades assistés qui profitent du système »^[secu].
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^[secu]: On remarquera que c'est cette même rhétorique qui est à l'oeuvre en ce qui concerne l'ensemble des acquis sociaux : chômage, sécurité sociale, retraites, droit du travail, etc. Dès lors qu'une seule personne pourrait abuser du système, on préfère le détruire en privant les personnes qui en ont besoin. L'idée d'abus semble insupportable à une partie de la population, surtout quand il s'agit des pauvres.
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Mais cette tradition est une exception française. Ailleurs, les études avec set and settings sont légion. Alors, quoi ?
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C'est l'évolution de la méthode scientifique qui va mettre à mal les études psychédéliques. Il ne faut pas y voir une malveillance ou un complot du lobby pharmaceutique ou des conservateurs. Dans les années soixante, certains médicaments créent des scandales sanitaires majeurs. Aux États-Unis, la thalidomide, un médicament sédatif et anti-nauséeux, crée de graves malformations chez les nourrissons. En France, le Stalinon, un médicament contre les infections à staphylocoques, crée de grave séquelles neurologiques. Les États doivent réagir et légifèrent pour sécuriser le système de santé. Pour qu'un médicament soit mis sur le marché, les laboratoires doivent prouver l'*efficacité* et la *sûreté* des médicaments.
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Et apporter de telles preuves n'est pas une mince affaire. Cette double exigence s'incarne, aux États-Unis, par l'obligation de réaliser des essais cliniques *randomisés en double aveugle*^[rct]. Encore aujourd'hui considéré comme le *gold standard* en science, l'idée est ici de prouver qu'une substance pharmacologique a *en elle-même* une bonne balance bénéfices/risques, c'est-à-dire en excluant le plus possible de facteurs extérieurs. Dans un essai de ce type, deux groupes sont constitués aléatoirement : un groupe recevra un placebo et l'autre recevra la substance. Ni les participant·es ni les expérimentateur·ices ne sont au courant de la répartition, d'où le *double* aveugle. Ainsi, en comparant les effets rapportés par les deux groupes, on pourra différencier ce qui relève des effets *placebo* ou *nocebo* (c'est-à-dire les effets positifs ou négatifs qui apparaissent sans principe actif) des effets imputables à la molécule. L'aveuglement de l'expérimentateur·ice permet d'éviter toute influence, consciente ou non.
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^[rct]: https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tude_randomis%C3%A9e_en_double_aveugle
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Cette description à la hâche devrait tout de même permettre de comprendre le problème avec le LSD dans une configuration *set and settings*. D'une part, le LSD produit des effets si caractéristiques qu'il est difficile de trouver un placebo un minimum crédible, que ce soit pour les patient·es ou pour le thérapeute. D'autre part, on a vu que le LSD a des effets moins intéressants en tant qu'agent pharmacologique qu'en tant qu'adjuvant à une psychothérapie, ou a minima avec des phases de préparation, d'accompagnement et d'intégration de l'expérience. Or les essais randomisés en double aveugle ont précisément pour principe d'éliminer tout facteur extérieur. Les études psychédéliques sont ainsi petit à petit plongées dans la marginalité, d'autant qu'aucun protocole de set and settings n'a été formulé dans les études, chacun·e faisant à sa sauce.
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Enfin, il faut noter le coût considérable que représente une séance de LSD avec set and settings par rapport à, au hasard, une prescription de neuroleptiques pour les psychoses, d'anxiolytiques pour l'anxiété ou de morphiniques pour la douleur. Traditionnallement, le set and settings recquiert :
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* Une chambre individuelle, calme et décorée, disponible pour une journée entière ;
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* La mobilisation constante d'au moins deux personnes formées au soin, empathiques et disposant de connaissance sur les effets des psychédéliques ;
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* L'ajout d'une phase d'entretiens avec le patient afin de connaître son histoire et de créer un lien de confiance ;
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* Une phase d'intégration après l'expérience.
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À l'inverse, les neuroleptiques, anxiolytiques ou morphiniques produisent un état de détachement (suppression de la douleur, des émotions...), qui ne nécessite pas la présence d'un·e thérapeute et peuvent ainsi être massivement administrés à faible coût.
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À titre personnel, je trouve ces considérations très court-termistes : certes, le set and settings coûte cher sur le moment, mais il est vraisemblable que le coût des neuroleptique et consorts soit supérieur au long court. Prenons l'exemple des anxiolytiques : ces molécules suppriment l'anxiété pour une durée déterminée sans agir sur la cause, tout comme les morphiniques rendent la douleur supportable sans réparer une jambe cassée. L'anxiété revient irrémédiablement, et même plus forte, créant une addiction. Le corps s'habitue à la présence de ces molécules et se désensibilise : c'est l'accoutumance. Passées quelques semaines d'utilisation, la dépendance à ces produits est déjà extrêmement élevée. Après plusieurs mois, leur arrêt peut provoquer un syndrome de sevrage grave^[benzo] et leur utilisation à long terme est nocive, parfois de manière irrémédiable, pour les fonctions cognitives. À long terme, les coûts du traitement sont très élevés, sans parler des coûts indirects liés aux sevrages. Une thérapie psychédélique ne nécessite qu'une à trois séances et utilise des substances qui ne produisent pas ni dépendance physique ni dépendance psychologique, notamment au sens où ils ne suppriment pas les sensations désagréables mais permettent de les regarder d'un angle différent. Une évaluation des coûts, indépendamment de l'efficacité comparée des deux méthodes, serait intéressante. Cette obsession du court-terme est de toute manière généralisée dans les politiques publiques malgré des coûts (humains, environnementaux, financiers, etc.) dramatiques à long terme, alors ça ne m'étonne pas beaucoup.
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^[benzo]: La plupart des anxiolytiques prescrits aujourd'hui sont de la classe de benzodiazépines. Le syndrome de sevrage aux benzodiazépines est « caractérisé par des perturbations du sommeil, une irritabilité, une tension physique accrue ainsi que de l'anxiété, des attaques de panique, des tremblements, des sueurs, des difficultés de concentration, de la confusion et des troubles cognitifs, des problèmes de mémoire, des haut-le-cœur et des nausées, de la perte de poids, des palpitations, des maux de têtes et douleurs musculaires parfois accompagnées de raideurs, des changements dans la perception pouvant inclure des hallucinations, des manifestations psychotiques1 ainsi que des crises épileptiques. Enfin, on observe un risque accru de suicide [...] la phase aiguë du sevrage dure généralement aux alentours de deux mois, bien que les symptômes de sevrage, même à faible dose, puissent persister pendant six à douze mois, s'améliorant progressivement au cours de cette période. Cependant, des symptômes de sevrage notables peuvent persister pendant des années, bien qu'ils diminuent progressivement. » Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_sevrage_aux_benzodiazépines.
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## Ôtez ces hippies que je ne saurais voir : panique morale généralisée
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Le terme de « [panique morale](https://fr.wikipedia.org/wiki/Panique_morale) » a été forgé par Stanley Cohen, un sociologue américain. Il désigne une réaction collective disproportionnée à des pratiques culturelles ou personnelles en général minoritaires, considérées comme « déviantes » ou néfastes pour la société, pouvant aboutir à un renforcement du contrôle social.
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Vous voyez probablement ce que c'est. En France, on a récemment vécu une panique morale avec la légalisation du mariage homosexuel et la question des droits LGBT+. La [Manif pour tous](https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Manif_pour_tous), renommée depuis Syndicat de la famille, s'est illustrée par un intense lobbying médiatique jouant sur la peur de la déstructuration de la société. C'est très rapidement que s'est imposée l'expression « théorie du genre » dans les milieux conservateurs pour désigner une propagande imaginaire qui serait enseignée dans les écoles. Si dans ses documents officiels, la Manif pour tous reste relativement prudente sur les accusations^[manif_pour_tous], on a pu entendre des accusations graves, y compris depuis des comptes officiels. L'addiction au porno serait [instillée dès l'école par l'Éducation nationale](https://twitter.com/SyndicatFamille/status/888441284389728257), les changements de sexe y seraient encouragés, etc. Ces affirmations sont reprises et amplifiées en boucle, en particulier dans les sphères proche de l'extrême droite.
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^[manif_pour_tous]: On pourra lire [ce document](https://www.lamanifpourtous.fr/publications/lideologie-du-genre) qui prend un ton plutôt intellectuel et joue la perspective historique pour faire une critique réactionnaire de la notion de genre.
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Mais c'est une « petite » panique morale comparée à celle provoquée par le LSD en France, qui coche toutes les cases : unilatérale, massive, obscurantiste et rapide^[panique_morale_us].
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^[panique_morale_us]: Contrairement aux États-Unis où la mobilisation du concept de panique morale pour expliquer la marginalisation du LSD a été critiquée (voir par exemple «
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Cornwell, B., & Linders, A. (2002). The myth of "moral panic": An alternative account of LSD prohibition. Deviant Behavior, 23(4), 307–330. https://doi.org/10.1080/01639620290086404
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»), Zoë Dubus a montré qu'il était adéquat pour la situation française. Il est donc intéressant de prendre le cas d'étude français et d'imaginer qu'une partie peut être transposée à l'étranger.
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Cette panique prend ses sources aux États-Unis, où la presse étasunienne a déjà opéré un changement de discours autour du LSD dans les années 60. C'est d'ailleurs l'héritage de ce discours qui reste aujourd'hui dans l'inconscient collectif. Quelles images vous viennent spontanément lorsque vous pensez au LSD ? Pour la majorité d'entre vous, c'est vraisemblablement les hippies et des groupes emblématiques comme Pink Floyd ou les Beatles. On imagine sans efforts les orgies sur les plages californiennes, les exilés de la ville partis construire des dômes géodésiques, les délires new-age de prophètes auto-proclamés sillonnant l'Amérique, des cercles de méditation transcendantale ou bien sûr Woodstock, où des millions d'humains se défoncent à l'acide au son des synthés psychédéliques. Cette popularisation du LSD dans les milieux contre-culturels américains, et l'imaginaire largement exagéré qui l'accompagne, a oblitéré son origine universitaire. Il s'est en quelque sorte « échappé des labos ».
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Or, la contre-culture représente une menace directe contre l'ordre établi : elle défend notamment une position anti-guerre, anti-autoritaire et anti-bureaucratique^[turner]. Un mobile, des coupables ; le LSD est l'arme du crime idéale. Le pitch, c'est que les jeunes se rebellent non parce qu'ils ont une bonne raison de le faire, mais parce que le LSD les rend fous. On peut ainsi lire que les les hôpitaux californiens sont remplis de jeunes en décompensation psychotique, que les cas de suicide se multiplient et le LSD encourage les viols.
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^[turner]: Fred Turner a cependant très bien montré dans son livre « [Aux sources de l'utopie numérique](https://cfeditions.com/utopie-numerique/) » que ce qu'on appelle la contre-culture, conglomérat d'intellectuels, de ceux-qui-retournent-à-la-terre, d'artistes et de scientifiques était en fait relativement peu politisée. Leur idéal est centré autour de l'individu et de son épanouissement, qui devait aboutir à la pacification de la société toute entière, en vertu des principes cybernétiques (les parties sont à l'image du tout et s'entre-influencent). La contre-culture a fini par se fondre dans le libéralisme et le capitalisme ; elle en dépendait dès le départ en ce qui concerne le rapport aux technologies de pointe comme les ordinateurs. Mais ça, c'est une autre histoire.
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Retour en France. En avril 1966, Claudine Escoffier-Lambiotte, cheffe de la rubrique médicale du Monde et triple docteure en médecine, publie une série d'articles intitulés « Les poisons de l'esprit », malheureusement introuvables dans les archives publiques. Elle reprend les thèmes sensationnalistes des journaux américains avec un petit relan xénophobe : les [*beatniks*](https://fr.wikipedia.org/wiki/Beatnik) américains auraient commencé à envahir et corrompre la France.
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Dans ces articles, le LSD est décrit comme « la drogue la plus dangereuse », provoquant une « désintégration psychique », une « profonde tristesse », des « visions terrifiantes ». Il est, d'après cette figure d'autorité, la « forme la plus avilissante et mensongère de la servitude humaine ». Escoffier-Lambiotte sonne l'alarme concernant les hospitalisations croissantes en France après une prise de LSD, nécessitant des mois de traitement pour un retour à la normale. Elle rapporte le cas des « loques humaines délirant sans trêve et depuis des semaines sur les lits de l'Hôpital américain ».
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Pourtant, elle a menti. Elle avouera n'avoir jamais vu un seul de ces cas et avoir repris des informations de seconde main. Mais son autorité scientifique est incontestée et la mayonnaise prend : c'est maintenant toute la presse qui reprend les mots des « poisons de l'esprit », jouant toujours plus sur le sensationnalisme. Ce coup-ci, le LSD provoque carrément « la folie durant 30 à 48 heures, parfois plus », et ainsi de suite. Pour les journalistes, il est très difficile de s'opposer au discours dominant tant les sources alternatives sont peu médiatisées et tant la panique morale a pris. Remettre en question le péril mortel que constitue le LSD, c'est risquer l'image du journal.
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Si quelques scientifiques élèvent la voix, elle reste cantonnée à des colloques de spécialistes. Ni la presse ni les politiques ne relaient les études : il ne s'agit plus de chercher la vérité mais de chasser le bouc émissaire.
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Cette panique morale, qui intervient dans un contexte déjà défavorable au LSD, va précipiter sa chute.
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## Tirer sur l'ambulance : la fin du LSD
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Jusque ici, on a vu trois grands axes mettant à mal l'utilisation du LSD en médecine :
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* L'évolution de la méthode scientifique, rendant difficile de tester le set and settings ;
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* Une vision verticale et non-coopérative de la psychiatrie, notamment en France, refusant de tester le set and settings ;
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* Une panique morale mettant tous les maux de la société sur le dos du LSD.
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Ce joli cocktail va progressivement, et très insidieusement, se transformer en [prophétie autoréalisatrice](https://fr.wikipedia.org/wiki/Proph%C3%A9tie_autor%C3%A9alisatrice), c'est-à-dire une définition fausse d'une situation qui provoque un comportement qui rend cette définition vraie. Au hasard, mettons que vous soyez prof de maths et que vous pensez que les filles sont nulles en maths. Vous les encouragez moins, vous y prettez moins attention. À la fin de l'année, en moyenne, elles ont de moins bons résultats : vous voilà confortés dans votre croyance. Voyons comment pour le LSD.
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D'abord, les patient·es sont de plus en plus réticent·es à participer aux études, par peur d'être frappé·es de folie. L'état provoqué par le LSD rendant très sensible aux suggestions, ces peurs provoquent **en elles-mêmes** des séances angoissantes. Dans un contexte où le set and settings est dénigré, ces séances ont encore plus de chance d'être traumatisantes.
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Dans ce contexte, le corps médical est de plus en plus frileux à l'idée d'expérimenter avec le LSD. En plus des éléments déjà évoqués, la peur de dérives sectaires s'installent car certains scientifiques adoptent des termes issus de la philosophie orientale pour parler de l'expérience du LSD, ne disposant pas de concept psychologiques occidentaux pour les décrire convenablement. On y trouve par exemple « l'expansion de la conscience » et les « expériences cosmiques ». Certains pensent que ces études visent en secret à créer une « nouvelle religion psychédélique ». Dans ce contexte, le set and settings ne serait pas un protocole efficace mais une « intense préparation suggestive », faussant les résultats. Le vent tourne clairement de nombreux scientifiques repentis prennent leurs distances avec ce qu'ils considèrent comme des « erreurs de jeunesse ».
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Les irréductibles défenseurs du LSD sont non seulement moins nombreux mais mécaniquement plus radicaux : ainsi de [Timothy Leary](https://fr.wikipedia.org/wiki/Timothy_Leary), psychologue renvoyé d'Harvard et figure de proue de la défense d'une consommation très libérale de LSD. Figure médiatique, Leary met en avant son parcours universitaire dans ses interventions teintées de mysticisme. Plus tard, il se rapprochera de mouvements occultes^[leary]. La mise en avant de personnalités sulfureuse à l'image de Leary accélère le processus de décrédibilisation des scientifiques travaillant sur le LSD.
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^[leary]: « Aleister Crowley [...] cet occultiste à la réputation sulfureuse, qui officia dans la première moitié du XXe siècle, était connu pour ses expérimentations intégrant le sexe et la drogue ; à ce titre il ne pouvait que fasciner Leary. Mais cela va plus loin : Crowley voyait la magie comme une expression de l’individualité profonde (la «Vraie Volonté» dans son jargon théologique) et Leary voyait en lui l’exemple même du « mutant neurologique », capable de définir sa propre réalité et créer sa propre religion. À noter que Timothy Leary (en compagnie de l’écrivain beat William Burroughs) fut nommé à la fin de sa vie membre honoraire des Illuminates of Thanateros, l’un des groupes les plus importants de magiciens du chaos. » — Sussan, R. (2016). Le futurisme magique. A contrario, 22, 69-81. https://doi.org/10.3917/aco.161.0069
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Face aux critiques de plus en plus vigoureuses, Sandoz, qui fournit le LSD aux scientifique, craint pour son image et restreint fortement son utilisation dès la fin des années 50. Les envois sont de plus en plus restrictifs, jusqu'à l'annonce brutale de la fin de production en 1965. Les quelques chercheur·ses qui étudient encore le LSD sont alors en grand difficulté pour se fournir et font appel à des laboratoires moins professionnels, voire se tournent vers le LSD « de rue », de moins bonne qualité et parfois coupés avec des stimulants. Dans ces conditions, le risque d'effets indésirables augmente et donne du crédit aux détracteurs du LSD. C'est une pure prophétie auto-réalisatrice à laquelle les gouvernements, sous la pression de l'opinion publique, viennent porter le coup de grâce.
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C'est ainsi que la France est le premier pays au monde à classer le LSD dans la liste des stupéfiants et à en interdire l'usage en 1966, quelques mois après la sortie des « poisons de l'esprit ». Le LSD devient illégal dans plusieurs états des États-Unis, avant d'être globalement interdit dès 1968. En 1971 commence la « [War on drugs](https://fr.wikipedia.org/wiki/War_on_Drugs) », une offensive massive contre les drogues menée par le président Nixon. Le LSD est alors classé au « Tableau 1 » du [Controlled Substances Act](https://fr.wikipedia.org/wiki/Controlled_Substances_Act). Cette classification est la plus sévère, réservée aux substances au fort potentiel addictif et sans utilité thérapeutique. Il y côtoie le cannabis et l'héroïne, à rebours complet des données scientifiques.
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Le LSD a été utilisé dans le cadre du projet MKUltra^[https://en.wikipedia.org/wiki/MKUltra#LSD], un vaste programme secret de torture opéré pendant 20 ans par la CIA, visant à trouver des méthodes pour forcer les victimes à parler pendant les interrogatoires. L'arrêt des expérimentations se fait en 1964, constatant des résultats « imprévisibles » ; il est vraisemblable que le désintérêt des services de renseignement pour le LSD ait contribué à l'arrêt du soutien aux recherches légales.
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La recherche autour des psychédéliques entre alors dans une traversée du désert.
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## Le phénix psychédélique : vers un renouveau ?
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Pendant 40 ans, c'est le statu quo. Dans tous les esprits, le LSD est une drogue dure et dangereuse, auréolée de son lot de légendes urbaines. Au lycée, on m'a raconté l'histoire d'une personne qui se serait prise pour une orange et épluché la peau, et je pense que ce n'est pas la seule légende du genre. Faites le test, demandez à votre entourage ce que leur inspire le LSD.
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Mais en souterrain, les savoir-faire autour du set and settings ont perduré et se sont transmis grâce à des thérapeutes *underground* et aux associations de [réduction des risques](https://addictions-france.org/la-prevention/reduction-risques-dommages/) (RDR). Le rôle de ces dernières n'est pas à prendre à la légère ; leurs bénévoles se rendent dans les événements types festivals et y tiennent des stand, informant les usager·es sur les risques des substances et sur la manière de les réduire. Leur logique est simple : les politiques répressives échouent à protéger les populations. L'exemple caricatural de la France est éloquent : alors que le ministre de l'intérieur veut [durcir les sanctions contre les consommateur·ices](https://www.huffingtonpost.fr/france/article/contre-les-trafics-de-drogue-darmanin-veut-sanctionner-plus-durement-les-consommateurs_216190.html), la France reste un des pays d'Europe qui consomme le plus de cannabis^[cannabis]. Partant du constat que la répression échoue à faire baisser la consommation, les assos de RDR misent sur la diffusion de l'information et l'accompagnement des usage·res, qui consommeront avec ou sans elles. C'est notamment via leur concours que les « bonnes pratiques » dans la consommation de psychédéliques ont survécu jusqu'à nous^[psychonauth].
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^[cannabis]: Cet apparent paradoxe est observable depuis au moins dix ans. En réaction à l'inefficacité des politiques répressives, de plus en plus de voix proposent de légaliser, ou du moins de dépénaliser le cannabis, quand bien même on ne lui reconnaîtrait pas d'utilité thérapeutique. Voir par exemple « BEN LAKHDAR Christian, KOPP Pierre-Alexandre, « Faut-il légaliser le cannabis en France ? Un bilan socio-économique », Économie & prévision, 2018/1 (n° 213), p. 19-39. DOI : 10.3917/ecop.213.0019. URL : https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2018-1-page-19.htm ».
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^[psychonauth]: Si les associations de RDR officient depuis plusieurs dizaines d'années, l'information est accessible à tout·es sur le web. [Erowid](https://www.erowid.org/) est un exemple emblématique créé il y a plus de vingt ans, où l'état de l'art scientifique cotoîe des retours d'expérience des usager·es (« *trip reports* »). On peut aussi citer [PsychonautWiki](https://psychonautwiki.org/wiki/Main_Page), un wiki communautaire qui fournit des données parfois plus étayées que sur Wikipédia concernant les psychotropes. On y trouve aussi une classification particulièrement dense de leurs effets psychotropes, dans un effort de vulgarisation et de comparaison pour le public.
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C'est grâce à la transmission et au développement clandestins du savoir que la recherche a pu reprendre, bien que les obstacles soient encore nombreux. Obstacles légaux évidemment, mais aussi culturels. Le LSD demeure illégal, et certain·es scientifiques sont convaincu·es du manque d'intérêt de la substance, quand d'autres craignent d'être stigmatisé·es. Pourtant, les études sur les LSD ont timidement repris. En 2008, un psychiatre suisse brise l'omerta en rendant compte des [effets positifs du LSD pour atténuer les symptômes de maladies graves](https://web.archive.org/web/20111006122541/http://bazonline.ch/wissen/medizin-und-psychologie/Psychiater-Gasser-bricht-sein-Schweigen/story/25732295). D'autres pays recommencent alors à s'intéresser aux psychédéliques, mais l'essentiel se concentre sur la psilocybine, un des composés psychoactifs des « champignons hallucinogènes ». Si elle a été isolée et étudiée dans les années 60, elle est beaucoup moins connotée culturellement et concentre l'essentiel des recherches actuelles. Néanmoins, la suspiscion reste forte et Peter Gasser, le psychiatre suisse ayant repris les études sur le LSD, déclairait déjà vouloir éviter de « s'exposer au faux soupçon d'être un messie ou un acteur du changement socio-politique ». Dans les congrès sur les psychédéliques, on s'habille neutre, on utilise un vocabulaire très scientifique, bien loin du mysticisme : on ne veut pas laisser penser qu'on s'intéresse aux psychédéliques parce qu'on est un·e usager·e enthousiaste voulant propager le LSD « à la Leary ».
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[L'université Johns Hopkins](https://www.jhu.edu/) a été la première à demander l'autorisation de reprendre les recherches au début des années 2000^[https://www.hopkinsmedicine.org/psychiatry/research/psychedelics-research.html]. Depuis, les recherches sur la psilocybine se sont intensifiées, et on peut noter plusieurs jalons importants de cette « renaissance psychédélique » :
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* En 2008, un papier détaille une méthodologie pour étudier les psychédéliques, inspirée du set and settings. Cette méthodologie sera largement utilisée comme référence pour la suite^[methodo] ;
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* En 2016, une étude randomisée en double aveugle relance l'intérêt pour les psychédélique dans le traitement de l'anxiété existentielle en soins palliatifs, faisant écho aux recherches des années 1960^[anxiety] ;
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* En 2018, les États-Unis ont [accordé le statut de « thérapie innovante »](https://compasspathways.com/compass-pathways-receives-fda-breakthrough-therapy-designation-for-psilocybin-therapy-for-treatment-resistant-depression/) à Compass Pathways (retenez ce nom) dans l'utilisation de la psilocybine pour les dépressions résistantes ;
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* En 2020, la Suisse [légalise l'utilisation du LSD dans le cadre de l'« usage compassionnel »](https://www.esanum.fr/today/posts/suisse-la-psychotherapie-assistee-par-psychedeliques-disponible-a-lhopitalfederico-seragnoli), c'est-à-dire pour les personnes présentant une pathologie difficile et résistante aux traitements existants ;
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* En 2021, les États-Unis [accordent une subvention publique](https://www.hopkinsmedicine.org/news/newsroom/news-releases/johns-hopkins-medicine-receives-first-federal-grant-for-psychedelic-treatment-research-in-50-years) pour l'étude de la psilocybine dans le traitement du sevrage tabagique ;
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* En 2022, l'innocuité des psychédéliques dans de bonnes conditions d'expérience fait largement consensus^[innocuity] ;
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* Toujours en 2022, un essai de phase II [confirme l'intérêt de la psilocybine pour les dépressions résistantes](https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2206443) ;
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* En 2023, l'association MAPS (retenez aussi ce nom) finalise la phase III d'un essai clinique portant sur [l'utilisation de la MDMA pour les syndromes de stress post-traumatique](https://psychedelichealth.co.uk/2023/01/05/maps-confirms-successful-phase-3-trial-of-mdma-for-ptsd/). Cet essai pourrait sérieusement pencher en faveur d'une autorisation de mise sur le marché ;
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* Toujours en 2023, l'Oregon est le premier état à légaliser la thérapie psychédélique assistée par psilocybine^[referendum].
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^[methodo]:Johnson M, Richards W, Griffiths R. Human hallucinogen research: guidelines for safety. J Psychopharmacol. 2008;22(6):603-620. doi:10.1177/0269881108093587
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^[anxiety]:Griffiths RR, Johnson MW, Carducci MA, Umbricht A, Richards WA, Richards BD, Cosimano MP, Klinedinst MA. Psilocybin produces substantial and sustained decreases in depression and anxiety in patients with life-threatening cancer: A randomized double-blind trial. J Psychopharmacol. 2016 Dec;30(12):1181-1197. doi: 10.1177/0269881116675513. PMID: 27909165; PMCID: PMC5367557.
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En France, deux études sont prévues mais peinent à démarrer. L'Académie de Médecine, institution conservatrice et « anti-drogues », ne sera vraisemblablement pas d'une grande aide pour convaincre les autorités sanitaires.
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^[innocuity]:Schlag AK, Aday J, Salam I, Neill JC, Nutt DJ. Adverse effects of psychedelics: From anecdotes and misinformation to systematic science. J Psychopharmacol. 2022 Mar;36(3):258-272. doi: 10.1177/02698811211069100.
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^[referendum]:Et ce par un référendum d'initiative populaire. Dingue, non ? Voir https://www.forbes.com/sites/ajherrington/2023/05/08/oregon-issues-first-psilocybin-therapy-treatment-center-license/.
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Il ne s'agit pas de faire un état complet des recherches actuelles. D'autres psychédéliques, comme la DMT, la mescaline ou dans une moindre mesure la MDMA sont étudiés aujourd'hui et offrent des perspectives intéressantes. Leur point commun tient dans l'innocuité des doses administrées et dans le peu d'occurrences nécessaires, contrairement aux stratégies classiques qui s'étalent sur de longues durées, par exemple dans le cas de la dépression.
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Si les recherches ont repris malgré une opinion publique méfiante, la médiation scientifique s'organise très différemment. Finis les scientifiques cantonnés à leur cercle très spécialisé et la presse alarmiste. Les universitaires s'organisent maintenant en Sociétés Psychédéliques, des associations visant à vulgariser l'état des recherches dans une approche pluri-disciplinaire. En France, la [Société Psychédélique Française](https://societepsychedelique.fr) organise régulièrement des événements entre conférences, cercles de parole ou réduction des risques. La presse, de son côté, se montre étrangement enthousiaste vis-à-vis des perspectives thérapeutiques psychédéliques. Il est vraisemblable que le soutien institutionnel, la rigueur des études et les résultats encourageants y jouent un rôle. Une autre raison est peut-être à chercher dans l'augmentation massive des troubles de la santé mentale, alliée à un manque d'innovation flagrant des options thérapeutiques depuis les années 80^[ssri]. Ainsi, le narratif de la substance bannie qui se révèle être un précieux allié est alléchant.
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^[ssri]: C'est dans les années 80 qu'ont eu lieu les dernières innovations majeures pour le traitement de la dépression, par exemple. Si des traitements spécifiques existent depuis les années 60 (dits antidépresseurs tricycliques), leurs effets secondaires étaient problématiques. On invente alors les fameux « SSRI », les *inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonines*. Avec moins d'effets indésirables que les tricycliques, les SSRI traitent efficacement la dépression. Concrètement, ils augmentent le taux de sérotonine dans le cerveau. L'efficacité de ces médicaments semble alors valider *l'hypothèse monoaminergique de la dépression*, c'est-à-dire l'idée selon laquelle la dépression serait causée par un déficit de neurotransmetteurs dans le cerveau, au premier rang desquels siègerait la sérotonine. La quasi-totalité des antidépresseurs conçus dès lors jouent sur ce tableau : tenter de moduler le taux de certains neurotransmetteurs dans le cerveau pour soulager la dépression. Voir par exemple « Hirschfeld RM. History and evolution of the monoamine hypothesis of depression. J Clin Psychiatry. 2000;61 Suppl 6:4-6. ». Néanmoins, l'efficacité des SSRI et assimilités reste dramatiquement faible, de l'ordre de 40%, pour un large spectre d'effets secondaires. C'est donc sans surprise que des substances présageant un taux de réponse plus conséquent couplé à des effets secondaires minimes soit plébiscitées.
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Pour autant, est-ce-que les thérapies psychédéliques sont une panacée ? Il faut rester extrêmement prudent, et pour plusieurs raisons.
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D'abord, l'espoir se construit très vite en matière de santé mentale et des douleurs chroniques. Les souffrances sont majeures et insoutenables ; ainsi toute nouvelle perspective thérapeutique est accueillie avec énormément d'enthousiasme. Un article d'un supplément Nature notait justement que « people with chronic pain are particularly vulnerable to hope and hype^[https://mjm-news.today/nature/the-psychedelic-remedy-for-chronic-pain/] ». On ne peut pas attendre des psychédéliques en tant que tels qu'ils guérissent toutes les dépressions et soulagent toutes les douleurs ; les causes et mécanismes sont si multiples qu'on ne peut pas raisonnablement attendre de « solution miracle ».
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Mais il y a pire, et il s'agit de ne pas être naïf. Car on peut vite se laisser berner. Moi-même, j'ai entendu parler de psychédéliques dans des communautés *safe*, comme outil d'introspection, d'expérimentation d'une forme de spiritualité, de réconciliation avec soi, etc. C'est tout à fait subjectifs, mais c'est dans les festivals « psychédéliques » que j'ai croisé le plus de personnes engagées et militantes, du côté de l'organisation comme du public. Mais cet idéal d'émancipation collective ne constitue malheureusement pas un sortilège d'immunité face aux oppressions omniprésentes de notre monde.
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## Monde de merde : néolibéralisme, capitalisme et culture du viol
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C'est vrai que pour une dernière partie, c'est un triste titre. Triste, comme moi en lisant ces dizaines d'articles pour apporter un peu de nuance à mon propos, pour ne pas glorifier aveuglément les psychédéliques. Car si jusqu'alors j'ai voulu montrer que les psychédéliques ont été stigmatisés pour les mauvaises raisons, je voudrais montrer qu'ils pourraient également être récupérés par des systèmes toxiques.
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Pour commencer, ériger une substance comme remède à tous les problèmes est dangereux et cache une violence potentielle. En effet, si on ne peut nier que des personnes souffrent et qu'il faut les accompagner par tous les moyens dont on dispose pour atténuer leurs souffrances, il ne faut pas non plus masquer les causes politiques et sociales qui ont favorisé l'apparition de ces troubles. La santé mentale est particulièrement mise à mal par la violence du monde du travail, l'inaction climatique, les violences sexistes et sexuelles, l'autoritarisme, etc. Miser uniquement sur les psychédéliques sans apporter de réponse systémique revient à embrasser la logique néo-libérale posant l'individu comme pleinement responsable de son état. C'est dans cette logique que des entreprises prédatrices comme Google ont récupéré la méditation pleine conscience^[meditation] et que le business du mal-nommé « développement personnel » a explosé ces dernières années^[bien_etre].
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^[bien_etre]: De nombreux·ses chercheur·ses ont décrit les effets délétères du développement personnel et de l'injonction perpétuelle faite aux individus d'être les acteur·ices de leur bonheur, ignorant tout le contexte social qui les détermine. Voir par exemple « Carl Cederström, André Spicer, Le Syndrome du bien-être, Paris, L'Échappée, coll. « Pour en finir avec », 2016, 176 p., Traduit de l'anglais par Édouard Jacquemont, ISBN : 9782373090062. » ou « Camille Teste, Politiser le bien-être, Binge Audio Editions, coll. « Sur la table », 2023, 160 p., ISBN : 2491260158 ».
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^[meditation]: « La pleine conscience peut être encore plus « occidentalisée » que les exercices présents en thérapie comme on l’a vu pour la dépression, et vidée de toute accroche ou même de « conscience » éthique, au point que certains chercheurs1 la perçoivent comme un instrument du néolibéralisme (voir schéma ci-dessous) qui fait exactement l’inverse de ce qu’il vante (la pleine conscience) et s’oppose totalement à tous les aspects tels que la compassion, la compréhension de l’interdépendance, le peu d’attache aux possessions, le recul de l’ego, l’altruisme, voire aliène l’individu encore plus qu’il ne l’était avant. Cette critique prend surtout cœur dans les programmes de pleine conscience dans le monde du travail qui sont modelés ou présentés avec des visées d’augmenter la productivité, l’engagement des salariés et managers, en « supprimant » leur stress (c’est à dire en changeant l’état d’esprit des travailleurs et non en changeant les conditions de travail qui causent le stress). » — https://www.hacking-social.com/2020/04/06/comment-la-pleine-conscience-peut-elle-etre-neoliberalisee-mcmindfulness-travail-google/
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Un des points d'attention majeur est l'invisibilisation du business juteux derrière les thérapies psychédéliques. Il est d'autant plus pernicieux qu'il s'arrime sur un historique contre-culturel perçu comme anticapitaliste^[turner2]. Les psychédéliques produisent des sensations d'unité, de paix, de bienveillance ; leurs promoteurs jouissent donc implicitement de cette même réputation.
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^[turner2]: Comme l'a montré Fred Turner (ibid.), nombre d'icônes de la contre-culture, à l'instar de Steward Brand, n'étaient pas du tout anticapitalistes. Ils perpétuent une longue tradition [libertarienne](https://fr.wikipedia.org/wiki/Libertarianisme), opposés aux monopoles et à la bureaucratie.
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Pourtant, en se massifiant, la médecine psychédélique prend les mêmes travers que le reste de l'industrie pharmaceutique. Le renouveau psychédélique fait baver beaucoup de financiers et d'entrepreneurs, et l'image positive du grand public masque cette réalité. Prenons un exemple : vous vous rappelez de Compass Pathways, la structure qui veut faire légaliser la psilocybine pour la dépression résistante et a reçu le soutien de l'agence fédérale des médicaments américaine (FDA) ? Quel humanisme. Dans un premier temps ONG, Compass est devenu une entreprise à but lucrative lors de l'entrée au capital de Peter Thiel, libertarien pure souche^[thiel]. Compass s'est depuis lancée, comme des dizaines d'autres, dans une course aux brevets^[brevets].
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Un exemple ? Et bien, la synthèse de la psilocybine, tout simplement. On sait synthétiser la psilocybine depuis les années 50, et un étudiant de master en chimie saurait le faire. Mais Compass a mis au point une nouvelle méthode de synthèse censée respecter les standards de la santé. Ils en profitent évidemment pour [breveter cette forme](https://www.vice.com/en/article/9355vd/get-ready-for-pharmaceutical-grade-magic-mushroom-pills-v27n2) et faire du lobbying auprès de la FDA pour avoir un agrément. Ayant le monopole, les chercheur·ses sont obligés d'acheter la psilocybine de Compass s'iels espèrent un jour interagir avec le système de santé. Ainsi, l'institut John Hopkins, pionniers dans le renouveau psychédélique, ont dû acheter entre [7.000$ et 10.00$ par gramme de psilocybine](https://qz.com/1235963/scientists-who-want-to-study-psychedelic-mushrooms-have-to-pay-7000-per-gram]). Compass a également déposé ce qu'on pourrait appeler un « brevet sur le set and settings »^[brevet_ss], c'est-à-dire sur une thérapie assistée à la psilocybine avec notamment une pièce chaleureuse, un système son et un canapé sur lequel les patient·es sont alongé·es. Ça peut sembler absurde, mais c'est une menace à ne pas prendre à la légère pour la recherche. Qui sait l'issue d'une bataille juridique si Compass tente de s'arroger le monopole du protocole thérapeutique, s'il venait à être légalisé ?
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Enfin, délicieuse ironie pour une compagnie détenue par un « libertarien pure souche », Compass a piloté un intense lobbying auprès de chercheur·ses pour empêcher l'Oregon de légaliser la psilocybine, et de la réserver à l'utilisation médicale^[oregon]. Sous couvert de vouloir protéger le public, l'idée est évidemment de lui offir un juteux monopole sur la substance. La guerre des brevets [n'en est qu'à son début](https://www.vice.com/en/article/7k9359/the-race-to-patent-psychedelics-is-just-getting-started), avec des milliers de brevets déjà déposés en rapport avec la psilocybine^[brevets_psilo].
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^[thiel]: Ce délicieux personnage est connu pour avoir cofondé PayPal. Il gère des fonds d'investissement spéculatifs et a fonté Palantir, une entreprise qui vend des outils d'espionnage aux gouvernements. Dans un billet de blog louant la « liberté humaine authentique », il rappelle que « the vast increase in welfare beneficiaries and the extension of the franchise to women — two constituencies that are notoriously tough for libertarians — have rendered the notion of "capitalist democracy" into an oxymoron ». Comprendre : depuis que les femmes ont le droit de vote et que les plus précaires sont aidés, impossible d'avoir une vraie « démocratie capitaliste » (car visiblement, il n'y a pas de femmes libertatiennes d'après Thiel). Pour retrouver la liberté, la vraie, il propose alors de coloniser l'espace, le « cyberespace », et les océans. Source : https://www.cato-unbound.org/2009/04/13/peter-thiel/education-libertarian/
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^[brevets]: Les brevets sont très problématiques aux États-Unis, car contrairement à la France, on peut breveter des idées. C'est ainsi que des sociétées spécialisées, appelées *[patent trolls](https://fr.wikipedia.org/wiki/Patent_troll)*, ont pour seule activité de racheter un maximum de brevets à des sociétés ou des particuliers pour coller des procès au cul de petites ou même de grosses entreprises. Et des centaines de milliers de brevets sont accordés chaque année, dont leur [lot de ridicule](https://abovethelaw.com/2017/10/8-of-my-favorite-stupid-patents/) : ainsi Apple a pu [breveter la forme de son écran (un rectangle aux coins arrondis), un particulier a reçu un brevet pour un jouet en forme de bâton, IBM a obtenu un brevet **en 2017** pour un système permettant d'envoyer un mail automatique d'absence, un particulier a reçu un brevet pour, basiquement, un système de dossiers sur un ordinateur... Bref, on comprend vite comment des entreprises en viennent à lancer des procédures baillon avec accusation de contrefaçon pour espérer exploiter la loi ou régler à l'amiable avec un gros chèque.
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^[brevet_ss]: « The patent application, filed in 2020, for “treatment of depression and other various disorders with psilocybin," includes claims involving rudimentary facets of psilocybin-assisted therapy like having "a room with a substantially non-clinical appearance.” Other claims found in the application: "the room comprises soft furniture,” “the room is decorated using muted colors,” “the room comprises a high-resolution sound system,” and “the room comprises a bed or a couch. » Source : https://www.vice.com/en/article/93wmxv/can-a-company-patent-the-basic-components-of-psychedelic-therapy
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^[oregon]: « George Goldsmith, CEO and co-founder of Compass, recently started reaching out to several psychedelic researchers at OHSU (Oregon Health & Science University) in an attempt to drum up concern and mobilize opposition to implementing 109 [*i.e.*, la légalisation de la psilocybine] in Oregon. Compass makes no bones about their opposition to Measure 109 and their intent to keep psilocybin therapy within the FDA medical pharma frame only. From their position statement Should psilocybin be legalized, listed first on their “Our Perspectives” page on their website, and quoting with their emphasis: “To make sure it is safe and effective in patients, psilocybin therapy needs to be approved by medical regulators, not legislators.” » Source : https://info.drbronner.com/all-one-blog/2021/03/sounding-the-alarm-on-compasss-interference-in-oregons-psilocybin-therapy-program/
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^[brevets_psilo]: Consulté en juin 2023, ce site répertorie tous les brevets connus en rapport avec la psilocybine : https://psychedelicalpha.com/data/psilocybin-patent-tracker. Vous imaginez la pression si vous voulez vous voulez accompagner une personne, si jamais la psilocybine était légalisée ? Mieux vaudra probablement payer des royalties à Compass et aux autres. Et que dire des universitaires souhaitant poursuivre les recherches ? Devront-iels bosser chez Compass ou se faire attaquer en justice ?
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Ces exemples parmi tant d'autres sont une piqûre de rappel : l'industrie pharmaceutique et les biotechs sont d'abord des capitalistes prédateurs. Si leurs intérêts peuvent se parfois se confondre avec l'intérêt général, ce n'est que dans la mesure où ils auront maximisé leur capital et leur emprise. Ils n'ont jamais été et ne seront jamais des humanistes, quelle que soit la qualité de leur service de relation publiques. Ainsi, peu leur importe que les psychédéliques soient réellement efficaces, s'ils peuvent vendre des doses à plusieurs milliers d'euros. Si c'est efficace, tant mieux pour la population, mais c'est presque un effet de bord. Et justement, toute l'histoire du capitalisme nous rappelle ceci : si les conditions de vie s'améliorent parfois, ce n'est que par effet de bord.
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Ainsi, il faut s'attendre à voir ces entreprises financiarisées dépenser des millions en lobbying pour faire légaliser leurs méthodes et obtenir des garanties de monopole en échange. Ce qui veut dire que d'une diabolisation des psychédéliques, on pourrait passer à l'extrême inverse et halluciner des propriétés miraculeuses. L'industrie pharmaceutique est notoirement connue pour produire des études trichant sur la taille d'effet et les indications thérapeutiques des substances qu'elle invente. Cet exemple devrait être en note de bas de page, mais je tiens à le souligner. La page Wikipédia des antidépresseurs inclut un paragraphe plutôt bien écrit sur [leur efficacité](https://fr.wikipedia.org/wiki/Antid%C3%A9presseur#Efficacit%C3%A9). Pour avoir une autorisation de mise sur le marché, les laboratoires doivent prouver que leur molécule est supérieure au placebo. On parle ici de molécules dont les effets secondaires sont très pénibles à supporter, et dont le sevrage peut être très violent. Ces études, financées quasi-exclusivement par les laboratoires, tentent par toutes les astuces statistiques^[Voir par exemple cet article retentissant dans la prestigieuse revue Nature, co-signé par plus de 800 scientifiques, qui alerte sur la triche possible avec la notion essentiel de « statistiquement significatif », critère hégémonique utilisé pour valider une étude : https://www.nature.com/articles/d41586-019-00857-9] et méthodologiques de faire pencher la balance en leur faveur. Alors, on essaye de faire des méta-études, c'est-à-dire de croiser toutes les données dont on dispose. Et ces méta-études se contredisent constamment, certaines concluant à l'inefficacité quasi-totale des antidépresseurs, les autres leur trouvant de grandes qualités. De plus, l'injonction à publier des résultats impressionnants conduit à ne pas publier les études qui montrent simplement l'inefficacité d'un produit. Ce n'est pas une remise en cause de la méthode scientifique. C'est une conséquence catastrophique du modèle de financement de la recherche, totalement gangrénée par le privé, y compris lorsque la recherche est financée par de l'argent public^[openscience]. Mais ça, c'est aussi une autre histoire dont on pourrait parler longuement.
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^[openscience]: Voir par exemple ce podcast de Picasoft : https://podcast.picasoft.net/@la_voix_est_libre/episodes/open-science-la-libre-circulation-des-connaissances. En France, [la loi de programmation pour la recherche en 2021](https://www.francetvinfo.fr/societe/education/pourquoi-le-projet-de-loi-de-programmation-de-la-recherche-fait-grincer-des-dents-le-monde-universitaire_4188875.html) coupe les subventions à la recherche fondamentale et force à présenter des projets "plus risqués et plus originaux", pour "rayonner" ; comprendre spectaculaires et immédiatement rentables.
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En tout cas, il est certain que ces nouvelles entreprises financeront des études qui promettent monts et merveilles grâce aux psychédéliques, au détriment des personnes en souffrance.
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Enfin, et c'est un éléphant dans la pièce embarrassant pour la recherche en psychédélique, les recherches ont été et sont toujours émaillées de violences psychologiques et sexuelles. C'est terriblement triste, et c'est « à cause » du set and settings. Peut-être avez-vous tiqué lorsque j'ai dit plus tôt que des personnes sous LSD demandaient souvent à être rassurées par du contact physique. Ce contact bienveillant, désintéressé, demandé et consenti est un élément normal du set and settings. Mais nous vivons dans un monde où les violences sexuelles sont dramatiquement présentes et normalisées. On parle notamment de [culture du viol](https://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_du_viol) pour décrire l'ensemble des comportements partagés par une société qui normalisent voire banalisent et encouragent les violences sexuelles.
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C'est assez tristement que j'ai réalisé que moi, ça ne m'a pas fait tiquer de prime abord. Pourtant c'est évident : une personne sous un état de conscience extrêmement modifié peut voir sa capacité à consentir altérée, d'autant plus au contact de thérapeutes aux comportements problématiques.
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Les exemples ne manquent pas. Vous vous souvenez de MAPS, l'association qui a finalisé un essai clinique de phase III pour la MDMA ? Pour rappel, l'idée est de traiter des syndromes de stress post-traumatiques en permettant notamment aux patient·es d'intégrer leur traumatisme grâce aux effets *entactogènes* de la MDMA, c'est-à-dire qui favorisent la communication, l’introspection, les contacts sociaux, l’empathie et la sensation de pouvoir s'exprimer librement. Dans un des essais cliniques de MAPS, un couple de thérapeutes — dont un sans diplôme — a clairement abusé de sa position et a commis des violences sexuelles^[mdma_abuse]. La personne volontaire a complètement oublié le contenu de la séance. Après la séance, elle s'est sentie complètement dépendante à ses thérapeutes, sans parvenir à comprendre pourquoi. Ces derniers iront jusqu'à l'inciter à avoir des relations sexuelles lors de séances de « thérapie » assistée par MDMA sur une île privée. Constantant que son état se dégradait et ne pouvant toujours pas mettre le doigt sur ce qui n'allait pas, elle a alors enclenché une longue bataille pour obtenir les vidéos de l'essai clinique. C'est à son visionnage qu'elle a pu comprendre ce qu'il lui est arrivé. Cynisme de l'histoire, son cas a été considéré comme une réussite dans l'étude finale.
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L'homme dont on parle, c'est Richard Yensen, un nom connu depuis des dizaines d'années dans le monde de la recherche sur les psychédéliques. Dans [une conférence](https://youtu.be/9GNRoVIOI0M), on peut constater non sans effroi à quel point une partie des chercheurs semble en roue libre. Il y dit notamment qu'une « grande partie des thérapeutes » avaient des relations sexuelles avec leurs patientes dans les années 1980. Il raconte ensuite une anecdote où lui-même avait envie d'une relation sexuelle avec une patiente lors d'une étude, mais a été empêché par son directeur.
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Et ce genre de violence n'est pas isolé^[sexual_abuse]. Et en définitive, ce n'est pas étonnant. Sans protocoles clairs et validés, et sans personnes formées et encadrées, la thérapie assistée par psychédélique ouvre la porte à tous les abus. Au même titre que la psychanalyse, le thérapeute peut se retrouver dans une situation asymétrique de domination et d'emprise. Dans le contexte actuel où les psychédéliques sont présentés comme une solution miracle, il est facile d'expliquer aux patient·es que si leurs symptômes ne s'améliorent pas, c'est parce qu'iels n'ont pas fait les choses comme il faut... et ainsi devenir au mieux des prescripteurs de morale, au pire des manipulateurs violents.
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Pourtant, malgré quelques articles de presse, le sujet est quasiment absent dans la communauté scientifique^[abuse_litterature]. En cause, probablement la crainte d'être de nouveau stigmatisée après 40 ans de mort clinique. Pourtant, on parle de faits extrêmement graves loin d'être anecdotiques. Sans aller jusqu'à parler de violences systémiques, ces violences ne cesseront pas tant que la communauté scientifique ne s'en sera pas explicitement préoccupée. On parle bien d'actes qui peuvent briser des personnes. Plutôt que de mettre la poussière sous le tapis, on devrait se jurer que ça n'arrivera plus jamais et renforcer le set and settings, en proposant des protocoles autour du consentement, un contrôle systématique et des formations spécifiques pour les thérapeutes.
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^[mdma_abuse]: L'histoire complète est ici, et si c'est assez pénible à lire, ça vaut le coup pour comprendre l'enjeu : https://www.thecut.com/2022/03/you-wont-feel-high-after-watching-this-video.html
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^[sexual_abuse]: Il y a l'histoire d'Erica Rex : « It was tempting to imagine that therapists of the psychedelic movement were going to be cut from dramatically different cloth than that of my parents’ generation. They are not so fine after all. The cult of personality, and the penchant for victim blaming in the field, seems to be unkillable » (https://www.madinamerica.com/2022/06/psychedelic-therapy-will-not-save-us/) Il y a le témoignage de Will Hall, qu'il faut je pense vraiment lire : https://www.madinamerica.com/2021/09/ending-silence-psychedelic-therapy-abuse/.
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^[abuse_litterature]: À ma connaissance, un seul article spécifique à la MDMA adresse ce problème : « McNamee S, Devenot N, Buisson M. Studying Harms Is Key to Improving Psychedelic-Assisted Therapy—Participants Call for Changes to Research Landscape. JAMA Psychiatry. 2023;80(5):411–412. doi:10.1001/jamapsychiatry.2023.0099 ».
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Un dernier risque auquel il faut prêter attention, et auquel je suis particulièrement vulnérable, est une forme de « déterminisme neuronal », c'est-à-dire la tentation de trouver des bases causes neurologiques aux phénomènes psychologiques, dans une tentative de donner une cohérence au monde. J'ai plus tôt parlé des recherches qui objectivent l'activité des psychédéliques sur le cerveau, et donnent du sens aux expériences subjectives. Cependant, il faut garder en tête que le monde des neurosciences connaît une popularité très forte auprès du grand public mais aussi des scientifiques, si bien que des études ont montré que les explications de phénomènes psychologiques comprennant des éléments neuroscientifiques sans aucune pertinence était perçues comme plus convaincantes^[neuroscience].
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^[neuroscience]: Fernandez-Duque D, Evans J, Christian C, Hodges SD. Superfluous neuroscience information makes explanations of psychological phenomena more appealing. J Cogn Neurosci. 2015;27(5):926-944. doi:10.1162/jocn_a_00750
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## Conclusion
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On l'a vu, les psychédéliques comme le LSD ont connu des périodes de grâce et de disgrâce. Leur histoire est riche et c'est ce qui en fait des objets d'étude intéressantes.
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Dans ce billet, j'ai essayé de donner du sens à cette histoire. Le LSD a d'abord suscité d'énormes espoirs, mais pas toujours pour les bonnes raisons. La cocaïne, en son temps, avait aussi suscité beaucoup d'espoir thérapeutique avant d'être abandonnée. Freud en était d'ailleurs un [grand consommateur](https://www.vice.com/en/article/payngv/how-cocaine-influenced-the-work-of-sigmund-freud). Le LSD comme thérapie de choc ou agent de conversion des personnes homosexuelles n'est clairement pas du bon côté de l'histoire. Mais des bonnes raisons, il y en a : les psychédéliques ont montré une efficacité remarquable en soins palliatifs, pour la dépression, pour l'anxiété et pour les addictions. Des expériences de transformation majeure et persistantes sont ainsi rapportées. Dans ces expériences, il ne s'agit pas que de la substances : le soin accordé aux patient·es est enfin mis au centre dans le monde anglo-saxon, comme l'incarne le set and settings.
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Certains raisons de son abandon sont aussi de mauvaises raisons. L'attitude paternaliste et sexiste des psychiatres en France en est une ; la panique morale importée des États-Unis en est une autre. Dans le lot, de bonnes raisons aussi : le manque de protocoles pour assurer la sécurité du LSD et des thérapies associées, suite à l'évolution de la méthode scientifique.
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In fine, la décision de l'interdire est un processus extrêmement complexe et surtout pas linéaire. Mais de ce processus est resté un imaginaire populaire extrêmement négatif, rangeant les psychédéliques dans le rang des drogues-dures-qui-font-fondre-le-cerveau-de-nos-jeunes.
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Malgré cette mise au rebus, les pratiques de soin associées aux psychédéliques ont perduré, se sont développées et ont survécu en sous-marin pendant 40 ans grâce aux milieux *underground*. C'est dans les années 2000 que reprennent timidement les recherches. 20 ans après, c'est le « renouveau psychédélique ». On se ré-approprie les techniques de set and settings et on les formalise. On adapte les expériences à la méthode scientifique moderne. On reprend les études là où on les avait laissées et on expérimente sur d'autres troubles. Années après années, les résultats sont extrêmement encourageants et confirment le profil extrêmement sûr des psychédéliques. Peu de risques, résultats rapides, pas d'accoutumance : le contraire des molécules classiques qui tournent en boucle depuis les années 80. C'est l'emballement : le renouveau psychédélique. Les sciences sociales se penchent alors sur l'histoire des psychédéliques et offrent une nouvelle lecture.
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La presse est de nouveau très enthousiaste et l'emballement dépasse les sphères spécialisées : les psychédéliques seraient un nouveau remède miraculeux pour à peu près tout. Cet enthousiasme doit être pris avec la plus grande prudence, car il y a des laboratoires et entreprises privées rapaces derrière ce nouveau marché qui s'annonce juteux, et qui dépenseront des millions en lobbying. Derrière le set and settings, il y a aussi un historique dramatique d'agressions, notamment sexuelles.
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Enfin, la *hype* généralisée pour les neurosciences a tendance à oblitérer l'importance de la psychothérapie et de l'accompagnement dans la prise de psychédéliques. Ce que je veux dire n'est pas qu'il est impossible qu'une personne qui consommerait de la psilocybine sans psychothérapie ne peut pas expérimenter d'amélioration de ses symptômes dépressifs. Ce que je défends, c'est qu'il est vain de chercher une voie royale unique pour améliorer la santé mentale des patient·es. Chaque personne réagit différemment à différentes composantes de la thérapie assistée par psychédéliques.
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Un article^[therapeutic_psych] résume admirablement le statut unique des psychédéliques en identifiant quatre effets thérapeutiques distincts. Ces effets, dépendant des personnes, peuvent s'accumuler, être présents partiellement, ou ne pas survenir du tout ; d'où la vanité de chercher une seule « bonne manière de faire ». Les auteurs proposent les classes d'effets suivantes pour les psychédéliques :
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1. En tant que médicaments, au sens d'agents pharmacologiques avec des effets sur les neurotransmetteurs ;
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2. En tant qu'outils pour faciliter les psychothérapies, avec des indications privilégiées, notamment les protocoles type set and settings et les soins palliatifs ;
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3. En tant qu'antalgiques, pour le traitement des migraines réfractaires et d'autres douleurs chroniques ;
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4. En tant que facilitateurs d'introspection et d'expériences personnelles, en particulier dans des contextes spirituels.
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^[therapeutic_psych]: Majić T, Schmidt TT, Gallinat J. Peak experiences and the afterglow phenomenon: When and how do therapeutic effects of hallucinogens depend on psychedelic experiences? Journal of Psychopharmacology. 2015;29(3):241-253. doi:10.1177/0269881114568040
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En guise de conclusion, je dirais ceci : si les psychédéliques sont porteurs d'un véritable espoir pour les personnes qui souffrent, essayons de garder notre esprit critique. À titre personnel, je serais très heureux si des personnes en dépression pouvaient, en une ou deux séances, guérir de manière joyeuse et durable. Je l'espère même très fort.
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Alors, si ça devait arriver, merci à toutes les personnes qui veillent au grain et dénoncent les abus. Merci aux personnes qui tentent sincèrement de produire des connaissances scientifiques solides. Merci aux humains qui n'ont pas attendu les institutions pour créer de la connaissance, partager des expériences, et prendre soin les un·es des autres.
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Direction… [l'histoire des psychédélique et l'emballement massif autour du LSD]({{<ref "/posts/lsd/02-lsd-everywhere/index.md">}}) ! 🚀
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title: "Découverte du LSD et psychiatrie : carton plein"
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subtitle: D'une découverte passée sous les radars aux expérimentations massives
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date: 2023-07-01
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categories:
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- Santé
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summary: En 1960, le LSD est la substance médicinale la plus étudiée au monde. On lui prête énormément de qualités, notamment en psychiatrie et en soins palliatifs. Que s'est-il passé pendant cette période méconnue ?
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imgLicence: « psychedelic-boom » par burningmax - CC BY-NC-SA 2.0
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## Une brève introduction aux psychédéliques
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Avant de rentrer dans le vif du sujet, je vous propose un point sur ce qu'on entend précisément par **psychédélique**, puisque on part probablement avec des a priori différents.
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Le mot lui-même est récent : c'est un néologisme inventé par le psychiatre Humphry Osmond dans une correspondance avec l'auteur Aldous Huxley, célèbre pour la dystopie « [Le meilleur des mondes](https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Meilleur_des_mondes) » mais moins connu du grand public pour son [exploration des psychédéliques](https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb46918524c).
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Le mot psychédélique vient du grec ancien ψυχή, « âme », et δῆλος, « rendre visible ». Étymologiquement, les psychédéliques sont donc des substances « révélatrices de l'âme ». Osmond défend ce mot [dans un article de 1957](https://nyaspubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1749-6632.1957.tb40738.x) en expliquant qu'aucun terme médical adéquat n'existe.
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Les psychédéliques les plus connus sont le **LSD** et la **psilocybine**, un des principes actifs des champignons « hallucinogènes ».
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D'un point de vue psychologique, les psychédéliques modifient fortement l'état de conscience avec un spectre d'effets similaires, plus ou moins marqués en fonction des substances. Quelques exemples : modification de la géométrie, non-linéarité des raisonnements, acceptation des paradoxes, sensation de connexion à « plus grand que soi », hyper-sensibilité sensorielle, impression de « révélations », expérience mystique, sentiment d'unité, de paix, diminution voire dissolution de l'égo, etc. Les psychédéliques ont en commun de produire des expériences qui ne peuvent être expliquées avec des mots, ni totalement formalisées avec les outils de la raison : elles sont **ineffables**.
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{{<figure src="visual.jpg" width="80%" caption="L'aspect le plus connu du LSD est sa capacité à générer une géométrie complexe et fractale qui se fond dans l'environnement, mais l'aspect purement visuel reste une composante « mineure » de l'expérience.">}}
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D'un point de vue biologique, la similitude des effets s'explique par un mécanisme d'action commun[^5ht2a]. Ainsi, les techniques modernes d'imagerie médicale ont pu montrer qu'ils agissent en diminuant l'activité du « [réseau du mode par défaut](https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_du_mode_par_d%C3%A9faut) », nom donné aux régions du cerveau vraisemblablement à l'origine de la perception de soi, de l'introspection et donc de l'auto-critique. Tandis qu'une hyperactivité provoque des états anxieux et dépressifs, une hypoactivité diminue la perception de l'égo. C'est notamment [ce qu'on observe](https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2015.00776/full) dans des états de méditation profonde. Et c'est aussi [ce que font les psychédéliques de façon spectaculaire](https://academic.oup.com/ijnp/article/26/3/155/6770039).
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{{<warn>}}Il y a quelques réserves à émettre sur cette vision neuro-centrée, mais ce sera pour le dernier billet de ce dossier 😉.{{</warn>}}
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Après une expérience, le réseau du mode par défaut se reconfigure ; certain·es chercheur·ses [parlent de « réinitialisation »](https://www.nature.com/articles/s41598-017-13282-7). De plus, les expériences sous psychédéliques [augmentent la communication](https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2213158218300755?via%3Dihub#s0110) entre des zones du cerveau habituellement cloisonnées, permettant l'exploration d'idées moins « contraintes », [contrairement aux cerveaux adultes éveillés](https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnhum.2014.00020/full). Enfin, les psychédéliques [augmentent fortement la plasticité du cerveau](https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyt.2021.724606/full), c'est-à-dire sa capacité à créer de nouvelles connexions entre les neurones. La dépression, par exemple, est entre autres associée à une plasticité du cerveau anormalement faible[^depression].
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[^5ht2a]: Les psychédéliques dits « classiques » (LSD, psilocybine, DMT) ont notamment une affinité plus ou moins forte avec un type particulier de récepteur de la sérotonine (5-HT2A), neurotransmetteur plus célèbre pour ses rôles dans la régulation de l'humeur. L'ensemble des mécanismes connus peut être exploré dans [cet article](https://pharmrev.aspetjournals.org/content/68/2/264). D'autres psychédéliques comme la mescaline utilisent d'autres mécanismes.
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[^depression]: D'ailleurs, l'origine de la dépression fait débat à ce sujet. Si historiquement on pense qu'elle est liée à un manque de sérotonine ([hypothèse monoaminergique](https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9pression_(psychiatrie)#Hypoth%C3%A8se_monoaminergique)), une hypothèse plus récente penche pour un manque de plasticité du cerveau ([hypothèse neurotrophique](https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9pression_(psychiatrie)#Neurogen%C3%A8se_hippocampique)). Voir [cet article](https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fncel.2020.00082/full) pour une exploration précise des mécanismes augmentant la plasticité et améliorant la dépression, et [cet article](https://www.nature.com/articles/s41593-023-01316-5) très récent expliquant que les psychédéliques agissent précisément sur ces mécanismes.
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{{<question>}}Et c'est nouveau, les psychédéliques ?{{</question>}}
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On en retrouve des traces dans un large pan de l'histoire humaine. De nombreuses plantes sont des psychédéliques, partout sur la planète. Leur capacité unique à provoquer des expériences mystiques intenses explique probablement leur consommation rituelle.
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Les substances dont la principale caractéristique est justement de produire une impression de sacré, de divin, de présence d'« entités », etc., sont appelées [enthéogènes](https://en.wikipedia.org/wiki/Entheogen). Certains psychédéliques comme la [DMT](https://en.wikipedia.org/wiki/DMT) en font partie.
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On a ainsi pu montrer la présence de psychédéliques :
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* Chez [les Mayas](https://en.wikipedia.org/wiki/Entheogenics_and_the_Maya) et [les Aztèques](https://en.wikipedia.org/wiki/Aztec_use_of_entheogens), avec l'utilisation religieuse de champignons ;
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* Chez les [peuples indigènes de Sibérie](https://en.wikipedia.org/wiki/Amanita_muscaria#Siberia) ;
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* Chez les Aryens, où [l'on pense](https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb37483485q) que le dieu Soma est un avatar des champignons ;
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* Dans la [pharmacopée traditionnelle chinoise](https://en.wikipedia.org/wiki/Hallucinogenic_plants_in_Chinese_herbals) ;
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* Peut-être en Grèce Ancienne [lors des Mystères d'Éleusis](https://mattioli1885journals.com/index.php/MedHistor/article/view/7443), culte ésotérique annuel et secret.
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{{<figure src="maya.jpg" width="80%" caption="[Statues Maya](https://en.wikipedia.org/wiki/Entheogenic_drugs_and_the_archaeological_record#Maya) dont on pense qu'elles font référence aux champignons « hallucinogènes », utilisés lors de cultes religieux.">}}
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{{<info title="Comme une anomalie ?">}}Aucune trace sérieuse de consommation de psychédéliques n'a été observée en Occident, malgré la présence de dizaines d'espèces de champignons psychoactifs. C'est d'ailleurs lors de voyages au Mexique dans les années 50 que l'utilisation de champignons lors de rituels est partagée aux occidentaux. Des échantillons sont ramenés et cultivés en Europe, ce qui mènera à l'isolation de leurs principes actifs.{{</info>}}
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Dans les années 50, la recherche occidentale commence à s'intéresser aux psychédéliques, et en particulier au LSD. Mais avant de parler des expériences, il me semble utile de brosser le portrait de la psychiatrie à cette époque, car le contexte dans lequel vient s'insérer le LSD est particulier.
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## État des lieux de la psychiatrie pré-LSD
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Jusque dans les années 50, la psychiatrie *mainstream* s'appuie sur deux outils : la **thérapie de choc** et la **psychanalyse**.
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La psychanalyse, popularisée par Sigmund Freud, suppose l'existence d'un *inconscient* inaccessible au sujet qu'il s'agirait de révéler. La psychanalyse y cherche les causes cachées de ce qu'on considère être des troubles mentaux, comme la très à la mode *hystérie*[^hysteria]. Cette méthode d'investigation s'étend sur plusieurs années, voire dizaines d'années. Si l'efficacité de la psychanalyse est controversée aujourd'hui[^psych], une chose est sûre : elle est réservée aux privilégiés. Mobiliser une personne pour des séances d'une heure, plusieurs fois par semaine et pendant des années nécessite d'avoir de l'argent et du temps, laissant sur le carreau l'écrasante majorité de la population.
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[^hysteria]: Plus personne ne prend cette « maladie » au sérieux aujourd'hui ; on sait qu'elle a notamment été utilisée comme fourre-tout pour pathologiser et contrôler le comportement des femmes « déviantes », c'est-à-dire qui ne souhaitaient pas se marier ou luttaient pour le droit de vote. En fait, tout comportement féminin ne collant pas aux normes patriarcales est une porte d'entrée au diagnostic hystérique, censé avoir une origine biologique utérine. Lire par exemple [ce billet](https://www.feministsinthecity.com/blog/histoire-de-l-hysterie-cette-excuse-pour-controler-les-femmes).
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[^psych]: Pour être honnête, le sujet est bien trop velu pour moi. Sur [Wikipédia](https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychanalyse#Efficacit%C3%A9_th%C3%A9rapeutique), on lit que plusieurs méta-analyses se contredisent concernant les thérapies ayant pour base l'inconscient (même si on parle ici de thérapies plus courtes qu'une psychanalyse classique). Si les biais sexistes de Freud se retrouvent dans énormément de concepts psychanalytiques du siècle dernier, je ne sais pas ce qu'il en est des approches modernes.
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{{<figure width="80%" src="psych.jpg" caption="Le cliché par excellence de la psychanalyse, issu du téléfilm « Princesse Marie ». Le psychanalyste écoute la patiente, allongée dans un divan et parlant par association d'idées. Il parle rarement.">}}
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À l'autre bout du spectre, les thérapies de choc collent globalement à l'imaginaire « barbare » de la psychiatrie à l'ancienne : *électrochocs* (déclenchement d'une crise d'épilepsie par stimulation électrique du cuir chevelu), *lobotomie* (ablation d'une partie du cerveau), *coma insulinique* (injection d'insuline jusqu'à provoquer le coma par hypoglycémie), etc. Elles sont popularisées en France par Constance Pascal, première femme à passer le concours public de psychiatre. La base théorique de la thérapie par les chocs est proposée par Paul Delmas, psychiatre et neurologue.
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{{<info title="Moins par moins, ça fait plus ?">}}Paul Delmas utilise une métaphore : l'esprit est pareil à un bâtiment. Lors d'un choc traumatique, le bâtiment est délabré, à moitié détruit. Il reste dans cet état si on ne fait rien, ce qui cause des troubles. Pour guérir, il faudrait asséner un nouveau choc, piloté par un professionnel, dans le but de « raser le reste » puis de repartir sur des bases saines. Delmas parle de de *dissolution* et de *reconstruction*.{{</info>}}
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Les thérapies de choc **fonctionnent mal**. Dans certains cas, dans des conditions comme la schizophrénie et les syndromes de stress post-traumatique, on observe des améliorations sans bien comprendre pourquoi. Les thérapies de choc sont très risquées et manquent cruellement de bases scientifiques solides. Mais elles présentent le double avantage de coûter peu cher et d'être courtes. Il y a énormément de patient·es en souffrance, alors elles sont massivement employées faute de mieux.
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Une troisième voie s'ouvre dans les années 50 avec la **psychopharmacologie**. Littéralement, c'est l'étude des **psychotropes** appliquée aux troubles psychiatriques.
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{{<question title="Psychotropes ?">}}Une substance psychotrope agit sur le système nerveux central, qui traite les signaux du corps et module son fonctionnement. Ainsi un psychotrope peut modifier les perceptions, les sensations, l'humeur, le niveau de conscience, etc.{{</question>}}
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La découverte de la **[chlorpromazine](https://fr.wikipedia.org/wiki/Chlorpromazine)**, le premier **neuroleptique**, marque le début de cette nouvelle ère.
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{{<question title="Neuroleptique ?">}}Un psychotrope puissamment tranquillisant et antipsychotique, c'est-à-dire qui apaise les idées « délirantes » et les hallucinations. Les neuroleptiques sont toujours utilisés aujourd'hui pour soulager les symptômes de la schizophrénie et des troubles bipolaires.{{</question>}}
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L'arrivée de ces médicaments dans les hôpitaux psychiatriques marque un tournant, car on pensait jusqu'alors que la « folie » était incurable et on enfermait simplement les patient·es dans des asiles en sachant qu'iels n'en ressortiraient jamais. Pendant la seconde guerre mondiale, [plus de 40.000 interné·es y moururent](https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb37194930r) à cause de mauvaises conditions de vie. Les neuroleptiques sont donc particulièrement bien accueillis par les psychiatres.
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{{<figure src="saint-anne.jpg" width="80%" caption="Dans les salles d'hôpital comme à Sainte-Anne, « asile clinique » créé en 1863 où travaille Jean Delay (voir plus bas), les psychiatres sont estomaqués par les accalmies des cris. « L’atmosphère des salles agitées a connu une véritable révolution », déclare-t-on.">}}
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Mais le soulagement des symptômes « délirants » ne sont pas les seules applications de la psychopharmacologie. La délicieuse tradition psychanalytique poussera à tenter de forcer les patient·es à parler sous psychotropes afin de sonder leur inconscient : c'est la **narco-analyse**. Jean Delay, psychiatre et neurologue faisant figure d'autorité, [poussera le concept en France](https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=90152x1945x02&p=237). La narco-analyse consiste à administrer aux patient·es de très fortes doses de [*barbituriques*](https://fr.wikipedia.org/wiki/Barbiturique) (psychotropes à très fort effet sédatif) ou des *[amphétamines](https://fr.wikipedia.org/wiki/Amph%C3%A9tamine)* (stimulants supposés produire des « [décharges émotionnelles](https://www.cairn.info/toucher-le-cerveau-changer-l-esprit--9782130732280-page-125.htm) »). L'objectif est de soutirer des informations, faire remonter des souvenirs cachés, extérioriser les complexes ; en somme, « pénétrer dans le psychisme […] plus profondément que les conversations de la psychothérapies banales » ([source](https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/resultats/index.php?do=page&cote=90152x1945x02&p=522)). On les utilise même dans les expertises médico-légales comme « sérum de vérité ».
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L'absence totale de confiance et de coopération entre patient·e et thérapeutes est frappante. Dans la lignée de la psychanalyse, les psychiatres maintiennent une distance volontaire pour ne pas perturber le processus de **transfert**[^transfert].
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[^transfert]: Cf notre bon vieux Freud, toujours aussi misogyne, sur « [l'amour de transfert](https://fr.wikipedia.org/wiki/Transfert_(psychanalyse)) » : « dans bien des cas […], principalement chez les femmes, et lorsqu’il s’agit d’expliquer des associations de pensées érotiques, la collaboration des patients devient un sacrifice personnel qu’il faut compenser par quelques succédanés d’amour. Les efforts du médecin, son attitude de bienveillante patience doivent constituer des succédanés suffisants ».
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C'est dans ce contexte froid, méfiant et vertical que l'utilisation du LSD se popularise.
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## L'étonnante découverte du LSD
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Le LSD est synthétisé pour la première fois en 1938 dans les laboratoires Sandoz. Albert Hofmann, jeune chimiste intéressé par l'étude du vivant, tente de reproduire artificiellement des substances que l'on retrouve naturellement produites par l'ergot de seigle, un champignon parasite mortel du seigle[^ergot].
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[^ergot]: Jean Vitaux, médecin gastro-entérologue et historien, a publié [une histoire de l'ergot de seigle](https://www.puf.com/content/Une_histoire_de_l%E2%80%99ergot_de_seigle_Du_mal_des_ardents_au_LSD) en mai 2023. Ce champignon est responsable de la mort de millions d'êtres humains au cours des siècles. Connu sous le nom de « mal des ardents », l'ergot de seigle causera une ultime épidémie de gangrène en Sologne, au 18ème siècle.
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{{<question>}}Mais pourquoi diable un laboratoire pharmaceutique s'intéresse-t-il à un parasite mortel ?{{</question>}}
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L'ergot de seigle produit des substances aux propriétés intéressantes, stimulantes ou vasoconstrictives, permettant par exemple de soulager les migraines ou de faciliter les accouchements. Mais ces composés sont naturellement présents en très faibles doses et Sandoz cherche à augmenter la production et explorer de nouveaux dérivés.
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Hofmann s'y met et part d'un base commune à ces substances : l'acide lysergique. Il en dérive plusieurs dizaines de substance. Et pouf, le LSD est la 25ème d'entre elles[^lsd_name]. Chaque substance est testée sur des animaux. Le LSD-25 produit des effets modérés sur l'utérus, une agitation, mais rien de révolutionnaire : il est alors mis au placard. Et l'histoire aurait pu s'arrêter là.
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[^lsd_name]: LSD vient de _**L**yserg-**s**äure-**d**iäthylamid_ en allemand, soit acide lysergique diéthylamide en français. En fait, Hofmann synthétise cette molécule avec un objectif en tête : il souhaite obtenir des effets similaires à un stimulant commercialisé par un laboratoire concurrent. Ce composant, c'est l'acide nicotinique (une forme de vitamine B3) diéthylamide. Bien tenté Albert, mais comme quoi on peut parfois être surpris 🎆.
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[^lsd_child]: Son livre « LSD : my problem child » donne énormément de détails sur l'origine de sa synthèse et est [accessible en ligne](https://maps.org/images/pdf/books/lsdmyproblemchild.pdf). Il est aussi traduit en français (« LSD : mon enfant maudit »). Plus récemment, le livre « [Mystic Chimist : The Life of Albert Hofmann and His Discovery of LSD](https://synergeticpress.com/catalog/mystic-chemist/) », écrit par deux amis d'Hofmann, déterre des archives inédites et donne des détails supplémentaires.
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5 ans après, Hofmann décide de reprendre les expériences sur la molécule et de la synthétiser à nouveau : le 16 avril, lors de la dernière étape de la synthèse, il absorbe accidentellement une très faible dose de LSD-25.
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{{<question title="Pardon ?">}}L'histoire est toujours racontée comme ça : Albert synthétise la molécule, l'abandonne, et pouf 5 ans après la re-synthétise et en absorbe par accident. Mais, sérieusement, à quel moment c'est possible ? Des molécules abandonnées, il y en a des centaines, le programme de recherche est terminé. Pourquoi a-t-il relancé la synthèse de ce dérivé particulier de l'acide lysergique, et même pas des autres ?{{</question>}}
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La raison est étonnamment mystique pour un chimiste : Hofmann raconte[^lsd_child] que 5 ans après la première synthèse, il est pris d'une « intuition étrange » (*a pelicular presentiment*) : il *sent* que le LSD-25 a quelque chose de singulier et n'arrive pas à oublier cette molécule. Sans jamais, de toute sa vie, trouver une explication rationnelle, il déclarera avoir eu le sentiment que la « structure chimique de la molécule l'attirait » et décide de la synthétiser à nouveau, fait rarissime pour une molécule dont l'effet pharmacologique a été jugé inintéressant. Lors d'une [conférence donnée en 1996](https://maps.org/news-letters/v06n3/06346hof.html), il conclut :
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> Tout ceci [émergence des tranquillisants, invention de la bombe nucléaire, siècle très matérialiste…, tldr] suggère que cet enchaînement de décisions m'ayant guidé jusqu'au LSD n'est pas tout à fait le fruit du libre arbitre, mais plutôt d'un guidage par le subconscient, par lequel nous sommes tous connectés à la conscience collective et universelle — *(traduction personnelle)*
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Revenons à ce malheureux Hofmann après l'absorption accidentelle. Pris d'agitations et de vertiges, il doit quitter son laboratoire et rentrer chez lui. Il s'allonge et voit son imagination exploser, accompagnée de visuels kaléidoscopiques, yeux fermés.
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{{<question title="Pardon² ?">}}Sérieusement, comment a-t-il pu absorber du LSD-25 à une dose active, connaissant la dangerosité des dérivés d'ergot de seigle et mettant en place des protocoles méticuleux ?{{</question>}}
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Hofmann n'en sait rien. Mais il a le nez fin et il suppose que le LSD-25 doit être actif à une dose extraordinairement faible pour avoir pu en absorber malgré les protocoles de sécurité. Un seul moyen de le savoir : l'auto-expérimentation — très répandue à l'époque. Deux jours plus tard, il ingère 250 microgrammes, une quantité ridiculement faible. Mais Albert est sérieux et respecte le principe de précaution. Il s'attend à ne rien ressentir et compte augmenter progressivement la dose. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que le LSD est actif dès 20 microgrammes. Rendez-vous compte : on parle de **20 millionièmes de gramme** ! Quand on sait que la plupart des médicaments sont dosés à plusieurs milligrammes… Bref, 250 microgrammes, c'est une sacrée dose, de quoi voir du pays.
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C'est donc dans toute sa candeur qu'Hofmann s'apprête à vivre la première expérience psychédélique intense sous LSD de l'histoire de l'humanité. Ses sens et sa cognition sont puissamment altérés à tel point qu'il pense mourir. Il rentre chez lui, accompagné de son assistante, et appelle un docteur qui le rassure sur son pronostic vital. Il raconte alors :
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> Petit à petit, j'ai commencé à apprécier les couleurs et le jeu des ombres sans précédents qui persistaient derrière mes yeux clos. Des images fantastiques et kaléidoscopiques surgissaient : bigarrées, mouvantes, s'ouvrant et se fermant en cercles et en spirales, explosant en fontaines colorées, s'arrangeant et s'hybridant en un flux constant […] Chaque son, comme une poignée de porte ou une voiture qui passe […] générait une image très dynamique […] Le lendemain, mon esprit était clair et une sensation de bien-être, comme une seconde naissance, me traversait […] Le monde semblait comme entièrement neuf — *(traduction personnelle)*
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{{<figure src="bicycle_day.jpg" width="50%" caption="C'est dans un état second qu'Albert Hofmann rentre chez lui le 19 avril 1943, sur son vélo. Depuis, tous les 19 avril est célébré le « [bicycle day](https://en.wikipedia.org/wiki/History_of_lysergic_acid_diethylamide#%22Bicycle_Day%22) ». Les buvards de LSD (comme ici, où on les aperçoit pré-découpés) y font souvent référence.">}}
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Vous l'aurez compris, le LSD provoque une altération importante des perceptions sensorielles, mais aussi des processus cognitifs : les règles logiques s'abstraient de la réalité quotidienne, le concept de « soi » s'élargit voir se dissipe, etc[^effects].
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[^effects]: Il est impossible de décrire les effets du LSD sans l'avoir expérimenté : ce serait un peu comme tenter de décrire une couleur à quelqu'un qui n'a jamais vu. Mais on peut néanmoins consulter [cette liste assez complète](https://psychonautwiki.org/wiki/LSD#Subjective_effects) vulgarisant au mieux les effets subjectifs du LSD.
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Cette histoire est pavée de nombreux détails que j'adorerais présenter, mais bien d'autres l'ont fait avec immensément plus de connaissances et de qualités narratives. Alors, revenons au cœur du sujet : l'utilisation du LSD en médecine.
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Immédiatement après cette découverte, un brevet est déposé et le fils du PDG de Sandoz, psychiatre, conduit en 1947 la première étude sur des humains. Il est aussi le premier psychiatre à s'auto-administrer du LSD, expérience dont il tirera un rapport très détaillé.
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Sandoz envoie alors du LSD à des psychiatres du monde entier pour étudier ses potentielles applications thérapeutiques.
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{{<figure src="delysid.jpg" width="50%" caption="C'est avec le nom « Delysid » et sous forme d'ampoules que Sandoz conditionnera le LSD pour la recherche.">}}
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La communauté scientifique imagine dans un premier temps que le LSD est un **psychotomimétique**, c'est-à-dire capable d'induire une psychose. Ainsi le LSD permettrait de produire des expériences semblables à celles vécues par les personnes schizophrènes. L'espoir est grand : si cette hypothèse est vraie et que l'on trouve un antidote au LSD, alors cet antidote devrait fonctionner pour les psychoses en général. Plus généralement, les psychiatres pourront se mettre à la place des patient·es et améliorer leur compréhension.
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{{<figure src="delysid_notice.jpg" caption="Extrait de la notice française du Delysid, qui mentionne l'hypothèse psychotomimétique.">}}
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## LSD et thérapies de choc : cocorico 🐓
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L'hypothèse psychotomimétique est vite abandonnée car trop en décalage les expériences rapportées. Mais en France, on se borne à pathologiser l'état sous LSD et Jean Delay — toujours lui — invente alors le terme **psychodysleptique**, littéralement « perturbateur du fonctionnement psychique ». Le mot psychédélique reste aux abonnés absents. Connoté positivement, il suggère un possible effet thérapeutique qui dérange.
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{{<info title="Le cas particulier de la France">}}Si je me concentre sur la France, c'est pour deux raisons : d'abord car son rapport singulier au LSD est une découverte récente basée sur des archives inédites étudiées par Zoë Dubus ; ensuite pour éclairer le rapport entre thérapeutes et patient·es, y compris à l'époque actuelle. En lisant la BD [le chœur des femmes](https://www.lelombard.com/bd/le-chœur-des-femmes/le-chœur-des-femmes), qui parle notamment de violences gynécologiques, j'ai appris qu'en France on imposait des instruments et des positions douloureuses, alors qu'ailleurs existaient des alternatives tout aussi efficaces et beaucoup moins douloureuses. Est-ce lié à l'héritage de cette vision froide et méprisante des patient·es, d'une méfiance envers leur expérience vécue ?
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En France, le LSD par exemple expérimenté pour tenter de « convertir » de force des personnes homosexuelles, alors considérées comme malades. En France, des mineurs sont soumis à chocs au LSD par le psychiatre Roland Lanter, sans leur consentement (obligatoire [seulement depuis 2002](https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante1-2014-1-page-27.htm)). Ses intentions sont claires car il parle de « thérapie de dégoût ». L'idée est de provoquer un choc si fort qu'il fragmenterait leur égo pour mieux le refaçonner. En l'occurence, il s'agit de les dégoûter de leur orientation sexuelle perçue comme déviante, et donc pathologique.
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Jean Weil, l'interne de Lanter, défendra pour sa part une « cure par l'angoisse », qu'il qualifie lui-même de « très traumatisante ». Mais d'après Weil, cette violence se justifie car les résultats sont là : des cobayes alcooliques arrêtent de boire.
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J'arrête ici la liste. Vous l'aurez compris, le point commun entre ces études (outre leur violence), c'est l'étude du LSD comme **substance pharmacologique banale**, c'est-à-dire sans implication des patient·es, sans intérêt pour l'expérience en elle-même. Pourtant, cette dernière est si intense qu'elle bouleverse les sujets et peut produire un état de grande angoisse en l'absence accompagnement adéquat — le même état qu'Albert Hofmann a ressenti lors de son premier trip.
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Le seul intérêt pour l'expérience en elle-même provient de Delay, toujours là pour tenter d'extorquer des informations. Dans la lignée de la narco-analyse, il invente l'**oniro-analyse**, c'est-à-dire l'exploration de l'inconscient par des psychodysleptiques. Avec le LSD, il constate une « extériorisation rapide de situations affectives, de complexes, de souvenirs anciens, auparavant tus, dissimulés ou méconnus ». L'utilité du LSD comme expérience accélératrice de psychothérapie est frileusement envisagée.
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Mais au final, les résultats avec cette approche sont mitigés. La « balance bénéfice-risque », comme on dirait aujourd'hui, semble mauvaise.
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Pourtant, ailleurs dans le monde, le son de cloche est différent. Aux États-Unis, on lui découvre des propriétés antalgiques et on l'utilise en soins palliatifs avec de très bons résultats : la douleur des patient·es est diminuée, mais fait encore plus étonnant, leur rapport à la mort change s'apaise. Cette étrangeté pousse des chercheur·ses du monde entier à creuser.
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## LSD et *care* : le « set and settings »
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Pour comprendre comment d'autres approches ont émergé, il faut se rappeler que l'auto-expérimentation est une pratique courante à l'époque. On a vu plus haut que Sandoz encourage les psychiatres à tester le Delysid, seule manière de savoir de quoi il en retourne.
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C'est ainsi que Sidney Cohen, psychiatre américain et futur directeur du National Institute of Mental Health, essaye le LSD. Ayant parcouru la littérature scientifique existante, il s'attend à ressentir une grand angoisse et un délire désorienté. Pourtant, il écrit :
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> Les problèmes et les efforts, les inquiétudes et les frustrations de la vie quotidienne disparaissaient ; à leur place se trouvait une quiétude intérieure majestueuse, ensoleillée et paradisiaque… Il me semblait être enfin arrivé à la contemplation de la vérité éternelle.
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Son cas est loin d'être isolé et d'autres médecins font une expérience similaire, loin de l'angoisse redoutée. Iels cherchent alors à élucider le mystère. Si ce n'est ni la substance ni la dose, il faut chercher du côté du **contexte**. En effet, ces médecins expérimentent le LSD dans un cadre rassurant, calme et choisi. Ils et elles comprennent alors l'importance cruciale de l'**état d'esprit** (*mindset*) et de l'**environnement** (*settings*) dans le déroulement de l'expérience. Le LSD rend profondément perceptif et sensible, y compris à l'égard des personnes présentes pendant le trip. Il est en ce sens diamétralement opposé aux neuroleptiques, qui rendent apathique et indifférent. On peut tout à fait administrer un neuroleptique à dix patient·es et s'en aller : l'intervention du psychiatre n'est pas nécessaire.
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Le LSD, ce n'est pas la même limonade, et c'est alors qu'on commence à envisager une autre voie : prendre soin des personnes à qui l'on en administre.
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L'attention au bien-être psychologique et au bien-être physiologique (décoration, musique, calme, présence rassurante et soutenance, etc.) est ainsi nommée *set and settings*, une expression qui perdure aujourd'hui dans les communautés d'usager·es. Le set and settings implique une **individualisation** forte et une **alliance thérapeutique** entre patient·e et thérapeute, à travers des discussions en amont (négocier les buts recherchés, créer un lien de confiance) et en aval (intégrer les expériences souvent intenses).
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{{<figure title="Cette photo illustre un contexte de set and settings classique, ici lors de l'administration de kétamine : une chambre décorée et chaleureuse, un canapé confortable, un masque, et une personne (« trip sitter »), pouvant entrer en contact consenti avec le ou la patient·e (crédits : SoundMind Center)." src="ss_ketamine.jpg" width="60%">}}
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Beaucoup des thérapeutes adoptant et développant le set and settings sont des femmes (on y reviendra dans le prochain billet)[^women_ss].
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[^women_ss]: Ce n'est pas très étonnant. Les pratiques de *care* sont historiquement très genrées et les *gender studies* ont depuis longtemps mis ce phénomène en lumière. Les explications sont multiples, mais une constante est que les femmes sont socialisées (à l'école, en famille, par les œuvres culturelles, les lois autour de la natalité, etc.) pour accorder de l'importance aux émotions, à l'écoute des autres, à l'intimité, etc. Les hommes sont en revanche encouragés à masquer leurs émotions, à jouer la compétition, à briller publiquement. Cette différence a longtemps été perçue comme étant « naturellement féminine ». Lire par exemple [cet article](https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0277539597000411?via%3Dihub).
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L'exemple le plus frappant est celui de Joyce Martin, psychiatre et psychanalyste anglaise, qui met au point sa « **thérapie fusionnelle** ». Réservée aux patient·es présentant de graves carences affectives, Martin leur administre de fortes doses de LSD, se couche avec elleux dans un lit, les prend dans ses bras et leur offre du lait chaud. L'idée est de créer un environnement maternant au sens propre. La thérapie de Martin est surprenamment bien accueillie par la communauté scientifique : des médecins du monde entier viennent dans son service pour vivre l'expérience et s'en inspirent pour leurs propres pratiques, les déculpabilisant du même coup du rapport tactile parfois entretenu avec leurs patient·es.
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{{<question>}}Que vient faire un rapport tactile dans une thérapie ? D'autant plus sous un état de conscience modifié ?{{</question>}}
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Le LSD est déstabilisant pour certaines personnes qui demandent alors à être rassurées, par exemple en tenant la main d'un·e accompagnateur·ice bienveillant·e. Le set and settings est donc une pratique de rupture : le toucher est alors totalement tabou en psychiatrie. Mais, pour une raison qui m'échappe, la pratique convainc et les résultats changent drastiquement.
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{{<info title="Sauf en France 🙃">}}
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Où les patientes sont toujours laissées seules, pétries d'angoisse, en pleine lumière et au cœur des allées et venues dans les chambres d'hôpital. Delay, toujours lui, interprète les demande de contact comme des « pantomimes érotiques » ou comme la manifestation de « névroses d'abandon ». Henry Ey, un autre neuropsychiatre français, expérimente les thérapies de choc avec le LSD à Saint-Anne sur 75 femmes. Certaines hurlent et se jettent par terre, demandent à mourir, vomissent, supplient qu'on épargne leurs proches de cette expérience et se terrent dans le mutisme. Elles sont attachées lorsque trop agitées.
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{{</info>}}
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C'est sans aucune surprise que les résultats obtenus dans les expériences avec set and settings sont remarquables. L'expérience passe de traumatique à lumineuse. En soins palliatifs, le LSD soulage durablement les douleurs plus que n'importe quel antalgique, et diminue de façon spectaculaire l'angoisse des patient·es face à la mort. Le taux d'abstinence pour l'alcoolisme « résistant » frôle les 50%, un chiffre jamais vu. Cohen traitera des patient·es souffrant de divers troubles de la personnalité, avec une amélioration [dans 73% des cas](https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/383628).
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Deux thérapies intégrant le set and settings sont développées. D'une part, la thérapie **psycholytique**, plutôt pratiquée en Europe, consiste en l'administration de faibles doses de LSD pendant les séances de psychothérapie, et visent à approfondir et accélérer le processus en permettant aux patient·es d'accéder à davantage de matériel psychique. D'autre part, la thérapie **psychédélique**, plutôt pratiquée aux États-Unis, consiste en l'administration d'une ou quelques fortes doses de LSD afin de créer une expérience « si profonde et impressionnante que l'expérience de vie dans les mois et les années à venir devient un processus de croissance continue ».
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{{<warn title="Des résultats à prendre avec des pincettes">}}Si les résultats évoqués ont vraisemblablement été produits de bonne foi, la méthode scientifique a largement évolué depuis cette époque. Suite à ces résultats, la presse a présenté le LSD comme un produit miracle pouvant, pour 5$, tout guérir et remplacer une coûteuse psychothérapie. Vous le sentez venir ?{{</warn>}}
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Nous arrivons au point crucial de cette histoire : si le « LSD × set and settings » produit des résultats spectaculaires, en peu de temps, et sans danger, pourquoi diable les expérimentations ont-elles été stoppées, le LSD interdit et ses usager·es stigmatisé·es, encore aujourd'hui ?
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Éléments de réponse dans la [suite de ce billet]({{<ref "../03-lsd-banned/index.md">}}) 😙.
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@ -0,0 +1,216 @@
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title: "Panique morale, patriarcat et contre-culture"
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subtitle: Descente aux enfers, stigmatisation et criminalisation du LSD
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date: 2023-07-02
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categories:
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- Santé
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summary: L'enthousiasme aura été de courte durée. Dès 1960, le LSD « s'échappe des labos ». Une mosaïque complexe de méfiance sociale, scientifique et politique sonne le glas pour les études psychédéliques, marginalisées puis criminalisées.
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intro: Dans le [précédent billet]({{<ref "/content/posts/lsd/02-lsd-everywhere/index.md">}}), on a vu que malgré des paradigmes très différents pour mener les expérimentations autour du LSD (thérapies de choc vs set and settings), l'espoir est grand et surtout international. Aujourd'hui, le LSD est criminalisé et inscrit sur [la liste des substances les plus dangereuses](https://en.wikipedia.org/wiki/Convention_on_Psychotropic_Substances#Schedules_of_Controlled_Substances) de l'ONU. Comment en est-on arrivé là ? C'est parti pour un tour d'horizon non-exhaustif.
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imgLicence: « Défense de prendre des narcotiques DDC_0518 » par Abode of Chaos - CC BY 2.0.
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## Couvrez ce soin que je ne saurais voir
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Une première raison de l'abandon du LSD en médecine est à chercher du côté des expérimentations elles-mêmes.
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On l'a vu, les résultats obtenus avec set and settings sont bien plus spectaculaires que les autres. Or, et tout particulièrement en France, la recherche refuse d'adopter ces nouveaux protocoles. Le refus d'utiliser le mot « *psychédélique* » pour parler du LSD peut sembler anecdotique, mais est symptomatique. La psychiatrie française s'en tiendra jusqu'au bout à une vision pathologisante du LSD. Seul Henry Ey l'utilisera pour qualifier l'expérience des « toxicomanes », supposée amplifiée par leur « désir sexuel plus ou moins [sublimé](https://fr.wikipedia.org/wiki/Sublimation_(psychanalyse)) », dans une délicieuse tradition psychanalytique.
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C'est cette même tradition qui se refuse à établir une relation horizontale, nécessaire au set and settings, entre thérapeutes et patient·es. Pour y parvenir, les ressentis des patient·es doivent être pris en compte sans défiance et avec bienveillance. À l'inverse, la tradition psychanalytique suppose l'expertise unilatérale du thérapeute, seul capable d'interprétation face à l'ignorance des patient·es. Ainsi, quasiment aucune étude n'a lieu en France avec ces protocoles. Pourtant, on sait que les travaux — notamment anglo-saxons — sont connus des psychiatres français, notamment car ils sont directement cités dans leurs publications scientifiques. La prédominance des hommes en médecine semble fortement conditionner la méfiance vis-à-vis du *care*, relégué aux tâches subalternes des infirmières.
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Le cas de la « cure d'angoisse » au LSD défendue par Jean Weil rend aussi visible la croyance qu'**il faut souffrir pour guérir**. Cette rhétorique de l'épreuve à traverser par la force de la volonté et malgré les difficultés a elle aussi des relents masculinistes.
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{{<info title="Care et masculinité : une petite analyse de comptoir">}}À mon sens, cette méfiance n'est pas un hasard. Adopter une posture bienveillante et humble met le thérapeute en « danger » : et si on abusait de moi ? Si on faisait semblant ? Si je laissais transparaître mes émotions ? Ces idées semblent profondément insupportables à bien des hommes, quand bien même une palanquée de patient·es guériraient rapidement et sans souffrance par ailleurs. Utiliser des méthodes douloureuses et pénibles conjure la méfiance en faisant le tri entre les « vrais malades qui méritent de guérir » et les « faux malades qui profitent du système ». Je ne peux m'empêcher de remarquer que cette même méfiance est à l'œuvre dès qu'on parle d'acquis sociaux — surtout quand il s'agit des pauvres : assurance chômage, sécurité sociale, retraites, RSA, droit du travail, etc. Il suffit qu'une seule personne puisse abuser du système pour vouloir l'oblitérer, quand bien même il serait nécéssaire à de nombreuses autres. Même dans le travail, prendre du plaisir est suspect. Souffrir ostensiblement semble la seule façon de prouver sa droiture.{{</info>}}
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Mais le fait qu'une majorité de médecins soient des hommes ne rend pas le rôle des femmes insignifiant, bien au contraire.
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{{<warn title="L'absence d'histoire n'est pas la non-histoire">}}
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L'idée selon laquelle le LSD a été abandonné uniquement parce les hommes se sont refusé au *care* — développé par des femmes — est trompeuse. En effet, les traces des recherches psychédéliques ont pendant longtemps été quasi-exclusivement masculines, ce qui pourrait penser que les femmes et les pratiques de set and settings sont restées marginales. En réalité, l'histoire les a entièrement **invisibilisées**.
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{{</warn>}}
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L'histoire a par exemple retenu la synthèse de la psilocybine par Hofmann, mais on oublie que c'est grâce à [María Sabina García](https://fr.wikipedia.org/wiki/Mar%C3%ADa_Sabina), guérisseuse mazathèque, que l'Occident découvre les « champignons hallucinogènes ». C'est Margot Cutner, dans un [article pionnier](https://link.springer.com/article/10.1007/BF01562041), qui s'oppose aux thérapies de choc et insiste sur l'importance du toucher dans le set and settings. Joyce Martin et sa thérapie fusionnelle sont encensées : elle est invitée et acclamée dans la plus grande conférence internationale sur le LSD. [Luisa Agusta Rebeca Gambier de Alvarez de Toledo](https://chacruna.net/lsd-and-ayahuasca-in-argentina-the-pioneering-work-of-a-psychoanalyst-in-the-1950s) est la première présidente de l'association des psychanalystes argentins. Elle y introduit l'[ayahusca](https://fr.wikipedia.org/wiki/Ayahuasca) après avoir étudié au contact de thérapeutes indigènes, pratique inédite à l'époque. Elle enrichit le set and settings avec l'utilisation de nourriture et de musique. [Betty Eisner](https://en.wikipedia.org/wiki/Betty_Eisner), psychologue, milite pour une réduction des doses initiales afin de minimiser le risque d'expériences négatives. Elle affirme que les chambres d'hôpital ne sont pas un bon endroit pour mener les expériences et est très influente sur ses amis masculins, bien connus aujourd'hui (Leary, Huxley…). On a déjà parlé de Cicely Sanders, pionnière dans les soins palliatifs.
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En fait, les méthodes développées par ces femmes sont adoptées partout dans le monde (sauf en France 🫠). Mais aujourd'hui, on ne sait **quasiment rien de la vie de ces femmes**. Pour certaines, **aucune photo n'est disponible**, et on ne connaît même pas la date de leur mort. Mais il serait faux d'en conclure que leur travail était invisible de leur vivant. C'est d'ailleurs pour combler ce trou historiographique que Zoë Dubus travaillera sur le sujet dans les prochaines années.
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{{<question>}}La mise au rebus du set and settings est une exception française et à l'international, les résultats avec set and settings sont probants. Peut-être qu'en moyenne, les hommes renâclent à adopter ces pratiques, mais de là à bannir totalement le LSD ? Alors, c'est quoi le problème ?{{</question>}}
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## Des essais cliniques de plus en plus contrôlés
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Dans les années soixante, plusieurs médicaments sont à l'origine de scandales sanitaires majeurs. Dans le monde, la **thalidomide** (sédatif et anti-nauséeux) crée de [graves malformations](https://en.wikipedia.org/wiki/Thalidomide_scandal) chez des milliers de nourrissons. En France, le **Stalinon** (contre les infections à staphylocoques) crée de graves [séquelles neurologiques](https://fr.wikipedia.org/wiki/Stalinon#Conception_et_distribution). Les états doivent réagir et légifèrent pour sécuriser le système de santé. Aux États-Unis notamment, le monde politique semble abasourdi qu'une molécule puisse être testée sur des patient·es n'étant même pas au courant, sans études rigoureuses préalable. La réaction est immédiate : pour qu'une molécule soit administrées lors de thérapies, les autorités sanitaires doivent donner leur approbation. Pour ce faire, les laboratoires [doivent prouver](https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/383628) l'**efficacité** et la **sûreté** de leurs médicaments.
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Cette évolution de la méthode scientifique met sérieusement à mal les études psychédéliques. En effet, apporter de telles preuves n'est pas une mince affaire. Cette double exigence s'incarne, aux États-Unis, par l'obligation de réaliser des essais cliniques **[randomisés en double aveugle](https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tude_randomis%C3%A9e_en_double_aveugle)**. Encore aujourd'hui considérés comme le *gold standard* en science, l'idée est de prouver qu'une substance a **en elle-même** une bonne balance bénéfices-risques. On cherche alors à exclure le plus possible de facteurs extérieurs pour se concentrer sur l'effet pharmacologique. Dans un essai de ce type, deux groupes sont constitués aléatoirement : un groupe recevra un placebo et l'autre recevra la substance. Ni les participant·es ni les expérimentateur·ices ne sont au courant de la répartition, d'où le *double* aveugle. Ainsi, en comparant les effets rapportés par les deux groupes, on pourra différencier ce qui relève des effets *placebo* ou *nocebo* (c'est-à-dire les effets positifs ou négatifs qui surviennent sans principe actif) des effets imputables à la molécule.
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{{<figure src="rct.jpg" width="90%" caption="Schéma simplifié d'un essai clinique randomisé en double aveugle ([source](https://france.devoteam.com/paroles-dexperts/comprendre-essais-clinique-technique-analyse-de-survie-covid-19/)).">}}
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L'aveuglement de l'expérimentateur·ice permet d'éviter toute influence, consciente ou non.
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{{<question title="Un petit moment participatif">}}
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Si vous le voulez bien, prenez un instant pour imaginer un protocole de ce genre qui pourrait permettre de tester le LSD en configuration set and settings. Il y a pas mal de questions à se poser : quelle caractéristiques pour le placebo ? Peut-on séparer les effets de l'accompagnement des effets du LSD ? Les thérapeutes doivent-ils être les mêmes à chaque fois ? Doivent-ils suivre un protocole strict s'interdire toute individualisation ?
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{{</question>}}
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C'est une question sacrément épineuse. D'une part, le LSD produit des effets si caractéristiques qu'il est difficile de trouver un placebo un minimum crédible, que ce soit pour les patient·es ou pour les thérapeutes, cassant les deux aveuglements. On peut certes reproduire certains effets physiologique du LSD (dilatation des pupilles, modification du rythme cardiaque, etc.), mais quand on connaît un peu la substance, comment passer à côté de l'absence des effets psychédéliques ? D'autre part, on a vu que le LSD a des effets moins intéressants en tant qu'agent pharmacologique qu'en tant qu'adjuvant à une psychothérapie. Or les essais randomisés en double aveugle ont précisément pour objectif d'éliminer ces facteurs extérieurs. Ces difficultés rendent les agences de santé réticentes à délivrer des autorisations, et les études psychédéliques sont ainsi petit à petit plongées dans la marginalité.
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Il faut de plus noter le coût considérable que représente une séance de LSD avec set and settings par rapport à, au hasard, une prescription de neuroleptiques pour les psychoses, d'anxiolytiques pour l'anxiété ou de morphiniques pour la douleur. On l'a vu, un protocole set and settings complet nécessite :
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* Une chambre individuelle, calme et décorée, disponible pour une journée entière ;
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* La mobilisation constante d'au moins deux personnes empathiques et formées aussi bien au protocole qu'aux effets des psychédéliques ;
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* Une phase d'entretiens avec les patient·es permettant connaître leur historique et d'instaurer un lien de confiance ;
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* Une phase d'intégration après l'expérience.
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À l'inverse, les neuroleptiques, anxiolytiques ou morphiniques produisent des états de détachement (suppression de la douleur, des émotions, etc.) qui ne nécessitent rien de tout cela. Ils peuvent ainsi être massivement administrés à faible coût.
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{{<figure src="asylum.jpg" width="80%" caption="Photographie d'un asile publiée en 1961 dans une revue scientifique. L'absence d'intimité est manifeste. Comment imaginer une thérapie sereine et individualisée dans ce contexte ? ([source](https://psychnews.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.pn.2019.3b29))">}}
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## Interlude de mauvaise humeur
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C'est l'instant « gna gna gna pas content ». Si vous avez la flemme, vous pouvez passer à la [prochaine section]({{<ref "../03-lsd-banned/index.md">}}#contre-culture-xénophobie-et-panique-morale) 😇.
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Derrière nous, des dizaines d'années d'expérience ont montré à quel point masquer les symptômes sans soigner les causes aggrave le problème. Comment peut-on encore persister à foncer dans le mur ? Bien sûr, le LSD n'a pas été abandonné uniquement parce qu'il coûtait trop cher, mais nous subissons encore et toujours cette logique, et pas uniquement dans le domaine de la santé.
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### Coût financier et court-termisme, un mauvais calcul
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Je pense que l'importance donnée au coût thérapeutique « instantané » d'une thérapie est la conséquence directe de l'application des logiques de rentabilité du privé au secteur de la santé. Certes, le set and settings coûte cher sur le moment, mais il est vraisemblable que le coût des morphiniques et consorts soit supérieur au long court.
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{{<warn>}}Et de toute façon, tout ramener à une logique de coût (court ou long terme) n'est pas pertinent ; comme unique argument, c'est très fragile.{{</warn>}}
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Prenons l'exemple des anxiolytiques : ces substances suppriment l'anxiété pour une durée déterminée sans agir sur la cause, tout comme les morphiniques rendent la douleur supportable mais n'ont jamais réparé une jambe cassée. L'anxiété revient irrémédiablement. Parallèlement, le corps s'habitue à la présence de ces molécules et se désensibilise : c'est l'accoutumance et l'anxiété augmente. L'effet anxiolytique est de courte durée et le corps nous supplie d'en reprendre : c'est l'addiction. Passées quelques semaines d'utilisation, la dépendance à ces produits est déjà extrêmement élevée.
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Après plusieurs mois, leur arrêt peut provoquer un [syndrome de sevrage grave](https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_sevrage_aux_benzodiaz%C3%A9pines) et leur utilisation à long terme est nocive, parfois de manière irrémédiable, pour les fonctions cognitives. À long terme, les coûts financiers du traitement sont très élevés, sans parler des coûts indirects liés aux sevrages. Une thérapie psychédélique ne nécessite qu'une à trois séances et utilise des substances qui ne produisent pas ni dépendance physique ni psychologique, notamment au sens où ils ne suppriment pas chimiquement les sensations désagréables mais offre un angle de vue différent. Mais au fond, est-ce seulement pertinent de se poser la question du coût financier ? N'est-ce pas jouer au même jeu que les politiques ? La quantité de souffrance générée devrait être la boussole de référence cardinale.
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Ça ne devrait pas nous étonner : cette obsession du court-terme étant généralisée dans les politiques publiques malgré des coûts (humains, environnementaux, financiers, etc.) dramatiques à long terme. Elle est peut-être même une des conséquences de l'existence d'une classe politique spécialisée dont les intérêts professionnels ne peuvent pas raisonnablement se confondre avec l'intérêt public à long terme.
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Et face au manque de soutien évident, le personnel de santé n'a **pas d'autre choix** que d'adopter cette vision court-termiste. Ainsi de [Cicely Sanders](https://fr.wikipedia.org/wiki/Cicely_Saunders), pionnière dans les soins palliatifs, qui privilégiera les morphiniques aux psychédéliques dans les années 60 pour cette même raison.
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### Anxiolytiques et opioïdes, assassins à petit feu
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Je suis très en colère envers la manière dont les anxiolytiques sont utilisés aujourd'hui.
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{{<info>}}
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Il est d'ailleurs fort probable que vous ou quelqu'un·e de votre entourage ait eu affaire à ces substances (Xanax, Lexomil, Lysanxia, Valium…). 15% de la population française en consommaient au cours de l'année 2015 ([source](https://www.liberation.fr/checknews/2019/07/29/la-france-fait-elle-partie-des-plus-gros-consommateurs-de-medicaments-dans-le-monde_1740068/)). La France était alors le deuxième pays le plus consommateur d'Euope. Je ne juge absolument pas les personnes concernées et j'y ai moi-même eu affaire à ces substances à de nombreuses reprises . En l'absence de prise en charge adaptée, c'est mieux que rien. Et ponctuellement, c'est très utile.
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{{</info>}}
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La plupart des anxiolytiques prescrits aujourd'hui sont de la classe des [benzodiazépines](https://fr.wikipedia.org/wiki/Benzodiaz%C3%A9pine). Le [syndrome de sevrage aux benzodiazépines](https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_de_sevrage_aux_benzodiazépines) est :
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> [...] caractérisé par des perturbations du sommeil, une irritabilité, une tension physique accrue ainsi que de l'anxiété, des attaques de panique, des tremblements, des sueurs, des difficultés de concentration, de la confusion et des troubles cognitifs, des problèmes de mémoire, des haut-le-cœur et des nausées, de la perte de poids, des palpitations, des maux de têtes et douleurs musculaires parfois accompagnées de raideurs, des changements dans la perception pouvant inclure des hallucinations, des manifestations psychotiques ainsi que des crises épileptiques. Enfin, on observe un **risque accru de suicide** […] la phase aiguë du sevrage dure généralement aux alentours de deux mois, bien que les symptômes de sevrage, même à faible dose, puissent persister pendant **six à douze mois**, s'améliorant progressivement au cours de cette période. Cependant, des symptômes de sevrage notables peuvent **persister pendant des années**, bien qu'ils diminuent progressivement — *(souligné par moi)*.
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La dépendance extrême à ces substances ne leur empêche pas d'être parmi les médicaments les plus prescrits dans le monde, souvent sans accompagnement psychologique. Combien de médecins généralistes expédient une consultation avec une ordonnance de Xanax, sans même expliquer les risques (et peut-être sans même les connaître) ?
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La [crise des opioïdes](https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_opio%C3%AFdes) ravage les États-Unis et a tué des **dizaines de milliers de personnes**, à tel point que le pays a récemment déclaré l'**état d'urgence** quant aux opioïdes. Pendant ce temps, les laboratoires pharmaceutiques connaissent le problème mais continuent leur lobbying pour pousser les médecins à en prescrire en masse.
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### Petite histoire à butiner
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Les chiffres et les articles nous donnent des informations précieuses, mais stimulent rarement les émotions et l'empathie. Pour cerner le sujet un peu plus concrètement, je vous propose de survoler avec moi la tranche de vie d'une amie, qui commence à souffrir de graves douleurs au dos l'année dernière.
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Elle consulte alors sa médecin généraliste de longue date, qui lui prescrit immédiatement du Tramadol (un opioïde libérant aussi de la sérotonine) et du Valium (un anxiolytique de la classe des benzodiazépines, souvent utilisé comme décontractant musculaire). C'est d'emblée le combo. Les douleurs ne diminuent pas et sont handicapantes au point qu'elle peine à se déplacer. Sa médecin augmente les doses, augmente les doses, augmente les doses, et c'est à peine si c'est plus supportable.
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Une rhumatologue l'envoie alors en urgence à l'hôpital car les examens montrent une hernie discale qui risque de lui coûter une jambe si rien n'est fait. Mais on manque de neuro-chirugien·ne compétent·e en la matière, alors on adopte une stratégie qui sera assénée pendant 10 jours comme un mantra : on va « casser la douleur » pour empêcher l'hernie de progresser. Pas opérer, pas à cet âge là, il y a des risques, on va d'abord essayer autre chose. Car le petit cocktail de la généraliste n'était qu'un apéritif et on sort maintenant le plat du four : dans un fond de morphine en intraveineuse, diluer une généreuse dose de benzodiazépines, saupoudrer d'opium et assaisonner de quelques gouttes d'amitriptyline (un anti-dépresseur agissant sur les douleurs neuropathiques). Renouveler autant de fois que nécessaire.
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{{<warn>}}À ce stade mon amie s'inquiète quand même un peu, car elle sait que ces molécules peuvent être addictives. Elle demandera de nombreuses fois aux infirmie·res et médecins si elle risque un sevrage. On lui répondre systématiquement que non, surtout pas à ces doses.{{</warn>}}
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Il faut bien comprendre que sans médicaments, la douleur serait telle qu'elle arracherait à quiconque un hurlement continu qui ne s'arrêterait que pendant les évanouissements. Et ça marche, un peu. Mais pas de quoi « casser la douleur » : au bout de 10 jours la hernie a progressé et l'opération est urgente.
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Mon amie est transférée dans un autre hôpital où on l'opère dans la foulée. Fin de l'happy hour, la tournée suivante est un peu plus chiche. Premier symptôme : une crise de panique en bonne et due forme où elle croit mourir. Quelques cacahuètes pour éponger et la voilà renvoyée chez elle. Euphorie de pouvoir enfin marcher.
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Le lendemain matin, c'est la descente au sens littéral : impression de tomber comme on tombe en rêve, en continu. Angoisse à ne plus savoir par où écoper, elle appelle à l'aide une amie psy. Elle apprend abasourdie que c'est caractéristique d'un syndrome de sevrage. Elle parvient alors à joindre le neuro-chirurgien qui **ne la croit pas**. Les doses sont trop faibles, on vous a dit !
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C'est le début de l'enfer. Crises de paniques, douleurs généralisées sur la peau et dans les os, fièvre, états dépressifs et pensées suicidaires forment le décor du quotidien. Elle finit par aller voir un médecin qui lui bricole en arrière-cuisine un protocole de sevrage bancal. C'est pire que mieux.
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Il faut se rendre à l'évidence : elle ne s'en sortira pas sans l'accompagnement d'un·e spécialiste en addictologie. Surprise, tous les hôpitaux de la ville sont plein à craquer en addicto, et elle finira heureusement par trouver un centre spécialisé. La suite en bref, c'est **3 mois** pénibles pour parvenir à se sevrer, aussi bien physiquement que psychologiquement. Car l'addiction n'est pas que physiologique ; après avoir eu aussi mal, on a peur d'avoir mal à nouveau.
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On peut tirer plusieurs conclusions de cette histoire. D'abord, évitons l'écueil du « ils sont cons ces américains ». Le problème existe largement en France et n'est pas aussi médiatisé. Ensuite, les médecins généralistes sont à la ramasse sur le sujet et prescrivent de façon très libérale des anxiolytiques et des opioïdes, sans connaissance des risques associés aux sevrages ni des protocoles qui ne s'improvisent pas. Les hôpitaux aussi d'ailleurs : personne n'a jamais demandé à mon amie ses antécédents et se sont basiquement contenté de nier ses craintes et son vécu. Les risques d'une opération seraient peut-être à mettre en perspective avec les risques de sevrage mal accompagné. Enfin, un sevrage n'est jamais une opération mécanique, dépend très fortement des personnes et nécessiterait dans tous les cas une proposition d'accompagnement psychologique.
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{{<warn title="Une happy end pour combien de morts ?">}}
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Car oui, mon amie a été soutenue au quotidien par sa famille et ses ami·es, et c'est ce soutien qui lui a donné la force de continuer à chercher de l'aide quand tous les téléphones raccrochaient. Aussi, on est en France et tout ceci est remboursé. Imaginez la même situation avec une personne très précaire, seule, sans sécurité sociale. Généralement, la seule issue c'est d'acheter des opioïdes dans la rue, et de mourir quelques temps plus tard.
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{{</warn>}}
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Alors désolé d'avoir cassé un peu l'ambiance, je sais bien que c'est pas la méga-teuf, mais il me semble que ça permet de prendre un peu de recul sur le vrai sujet de cet article : ce n'est pas « est-ce-que le LSD c'est mieux que les anxiolytiques ? » mais bien « comment diminuer la souffrance insupportable chez les êtres humains qui la vivent, sans faire pire que mieux ? ». Comment prendre soin, au final ?
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## Contre-culture, xénophobie et panique morale
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Fin de l'interlude et retour à la descente aux enfers du LSD dans les années 60.
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Parallèlement aux remous internes de la communauté scientifique, la réputation du LSD dans la sphère publique se dégrade. On parle souvent de « [panique morale](https://fr.wikipedia.org/wiki/Panique_morale) », un terme forgé par le sociologue américain Stanley Cohen. Il désigne une réaction collective et disproportionnée face à des pratiques culturelles ou personnelles (en général minoritaires) considérées comme déviantes ou néfastes pour la société, pouvant aboutir à un renforcement du contrôle social.
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{{<question>}}Prenez un moment pour réfléchir à ce qui pourrait y ressembler, dans l'actualité de ces dernières années. Je suis sûr que vous trouverez quelques exemples ! 😉{{</question>}}
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En France, des paniques morales ont surgi lors la légalisation du mariage homosexuel et sur toutes les questions autour des droits LGBT+. La [Manif pour tous](https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Manif_pour_tous), association LGTBphobe réactionnaire (renommée depuis Syndicat de la famille) s'est illustrée par un intense lobbying médiatique, poussant la thèse d'une déstructuration/décadence irréversible de la société. C'est alors très rapidement que s'est imposée l'expression « théorie du genre » — y compris hors des milieux conservateurs « durs » — pour désigner une supposée propagande d'État intégrée dans les programmes scolaires. Si dans ses documents officiels, la Manif pour tous reste relativement prudente sur ses propos[^manif_pour_tous], on a pu lire des accusations graves, y compris depuis des comptes officiels sur les réseaux sociaux. L'addiction au porno serait instillée dès l'école par l'Éducation nationale, les changements de sexe y seraient encouragés, etc.
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[^manif_pour_tous]: On pourra lire [ce document](https://www.lamanifpourtous.fr/publications/lideologie-du-genre) qui adopte un ton intellectuel et joue la perspective historique pour pousser une critique réactionnaire de la notion de genre.
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{{<figure src="school_porn.jpg" width="70%" caption="L'éduc' nat comme promotrice du porno. Les paniques morales cherchent rarement la cohérence, à l'heure où le gouvernement présente [des lois sécuritaires](https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-593.html) sous prétexte de lutter contre l'accès de la pornographie pour les mineurs ([source](https://twitter.com/SyndicatFamille/status/888441284389728257)).">}}
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Ces affirmations sont reprises et amplifiées en boucle, en particulier dans les sphères proche de l'extrême droite.
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Mais cela reste une « petite » panique, cantonnée à son milieu. Celle provoquée par le LSD en France est un véritable archétype de la panique morale : unilatérale, rapide, massive, obscurantiste et aux conséquences directes[^panique_morale_us].
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[^panique_morale_us]: Contrairement aux États-Unis où la mobilisation du concept de panique morale pour expliquer la marginalisation du LSD a été critiquée (voir par exemple [cet article](https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01639620290086404)), Zoë Dubus a montré qu'il était adéquat pour la situation française. Il est donc intéressant de prendre le cas d'étude français et d'imaginer qu'une partie peut être transposée à l'étranger.
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Cette panique prend ses sources aux États-Unis, où la presse a déjà opéré un changement de discours. C'est d'ailleurs l'héritage de ce discours qui reste aujourd'hui dans les esprits.
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{{<question title="Inconscient collectif et LSD">}}Quelles images vous viennent spontanément lorsque vous pensez au LSD et aux années 60 ?{{</question>}}
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Pour la majorité d'entre vous, je veux bien mettre une pièce sur quelque chose en rapport avec les hippies. On imagine sans efforts les supposées orgies sur les plages californiennes, les exilé·es de la ville parti·es construire des dômes géodésiques et manger de la terre, les délires new-age de prophètes auto-proclamés sillonnant l'Amérique ; Woodstock encore, où des millions d'humains se défoncent à l'acide au son des synthés psychédéliques ; les Pink Floyd ou les Beatles en pleine méditation transcendantale ; ce genre de trucs. Cette popularisation du LSD dans les milieux contre-culturels américains, et l'imaginaire largement exagéré qui l'accompagne, a oblitéré son origine universitaire. Il s'est en quelque sorte « échappé des labos ».
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{{<figure src="woodstock.jpg" caption="Photographie prise à [Woodstock](https://fr.wikipedia.org/wiki/Festival_de_Woodstock). On y voit trois personnes proposant une dose de LSD contre 1$.">}}
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Dans la société civile, le LSD est alors moins bien associé à la recherche universitaire qu'à la contre-culture. Cette dernière représente une menace directe contre l'ordre établi en défendant des positions anti-guerre, anti-autoritaire et anti-bureaucratique[^turner]. Un mobile, des coupables ; le LSD est l'arme du crime idéale. Reste le scénario : des jeunes sans repères se rebellent, non parce qu'ils ont une bonne raison de le faire, mais parce que le LSD les rend fous. On peut ainsi lire dans les journaux que les les hôpitaux californiens sont remplis de jeunes en décompensation psychotique. Le nombre de suicides exploserait, tout comme les agressions sexuelles.
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[^turner]: Fred Turner a cependant très bien montré dans son livre « [Aux sources de l'utopie numérique](https://cfeditions.com/utopie-numerique/) » que ce qu'on appelle la contre-culture, conglomérat d'intellectuels, de celleux-qui-retournent-à-la-terre, d'artistes et de scientifiques était en fait relativement peu politisée. Bien qu'il soit difficile de généraliser, la contre-culture hippie est à séparer de la [nouvelle gauche](https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelle_gauche), bien plus politisée. L'idéal contre-culturel est centré autour de l'individu et de son épanouissement. En vertu de l'[interprétation sociale des principes cybernétiques](https://fr.wikipedia.org/wiki/Cybern%C3%A9tique#Cas_des_sciences_sociales) (voir aussi [cybernétique et société](https://www.babelio.com/livres/Wiener-Cybernetique-et-societe/609033)), l'être humain est mis en analogie avec le monde : des organes en réseaux fractals et auto-stabilisateurs. Si l'être humain change alors la société changera, et ainsi de suite dans une boucle de rétroaction positive. L'idéal contre-culturel est celui de la pacification fluide de la société par les individus, ce qui devrait faire bondir n'importe quel·le [matérialiste historique](https://fr.wikipedia.org/wiki/Mat%C3%A9rialisme_historique). Les « influenceurs » intellectuels de l'époque n'avaient pas un discours radical en ce qui concerne les systèmes d'oppression : capitalisme, patriarcat, racisme, industrie, etc. Ce qui leur posait problème était plutôt l'état et sa bureaucratie. On est pas si loin du [libertarianisme](https://fr.wikipedia.org/wiki/Libertarien) avec une couronne de fleurs. J'ai conscience que je généralise, et je suis certain que des hippies portaient l'inverse de ce que je décris. Mais au global, on pouvait s'y attendre, la fin de la période hippie n'a pas découragé sa frange majoritaire (masculine, blanche et de classe moyenne), qui s'est alors attaquée au numérique, nouveau « far-west ». Et a fini par se fondre dans le libéralisme et le capitalisme. Il n'y a qu'à voir comment les entreprises de la Silicon Valley jouissent de cet héritage. Mais en fait, la contre-culture en dépendait dès le départ en ce qui concerne le rapport aux technologies de pointe comme les ordinateurs personnels, vu comme des outils d'émancipation. Ça fait beaucoup d'affirmations très péremptoires, j'en ai conscience. Si la question vous titille, je recommande vivement la lecture du bouquin cité au début de cette note.
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Retour en France. En avril 1966, Claudine Escoffier-Lambiotte (cheffe de la rubrique médicale du Monde et triple docteure en médecine) publie [une série d'articles](https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/04/21/i-des-azteques-a-l-arme-chimique_2697174_1819218.html) intitulés « les poisons de l'esprit ». Elle reprend les thèmes sensationnalistes des journaux américains en y ajoutant un savoureux *topping* xénophobe : les [*beatniks*](https://fr.wikipedia.org/wiki/Beatnik) américains auraient commencé à envahir et corrompre la France.
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{{<info>}}Escoffier récidivera [quatre ans plus tard](https://www.lemonde.fr/archives/article/1971/01/14/iii-les-poisons-de-l-esprit_2456918_1819218.html) avec le cannabis. Zoë Dubus raconte cette histoire [sur Mastodon](https://mastodon.top/@zoe_dubus/110886770217558946).{{</info>}}
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Dans ces articles, le LSD est décrit comme la drogue « la plus redoutable, la plus irrémédiable », provoquant une « désintégration psychique », une « profonde tristesse » et des « visions terrifiantes ». Il est, d'après cette figure d'autorité, la « forme la plus avilissante et mensongère de la servitude humaine ». Leur utilisation conduit à « la plus dangereuse vague de folie que le monde ait jamais connue ». Escoffier alerte sur le nombre croissant d'hospitalisations croissantes à cause du LSD. Les patient·es admis·es à l'hôpital doivent être soigné·es des mois durant avant un retour à la normale, s'il arrive un jour. Elle rapporte le cas des « loques humaines délirant sans trêve et depuis des semaines sur les lits de l'Hôpital américain ».
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Son autorité scientifique est incontestée et la mayonnaise prend : c'est maintenant toute la presse qui fait sienne les « poisons de l'esprit », jouant toujours plus sur le sensationnalisme. Ce coup-ci, le LSD provoque carrément « la folie durant 30 à 48 heures, parfois plus », et ainsi de suite. Bref, c'est la panique morale.
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{{<figure src="crapouillot.jpg" width="50%" caption="Numéro spécial LSD de Crapouillot, journal satirique de droite, photographié par Zoë Dubus dans son [article sur la panique morale en France](https://www.erudit.org/fr/revues/cygnenoir/2021-n9-cygnenoir07195/1091460ar/).">}}
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Pourtant, **Escoffier a menti**. Elle avouera n'avoir jamais vu un seul de ces cas et avoir repris des informations de seconde main. Beaucoup de scientifiques et quelques journalistes avertis savent que c'est faux. Mais Escoffier jouit d'une immunité médiatique. Remettre en question le péril mortel que constitue le LSD, c'est risquer l'image de son journal. De façon générale, les informations alternatives sont marginales et très peu médiatisées. La panique morale a pris : c'est trop tard.
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Au sein de la communauté scientifique, quelques voix s'élèvent mais restent cantonnées à des colloques de spécialistes. Là aussi, on craint de nuire à son image en prenant la défense d'une substance aussi sulfureuse et à présent marquée politiquement. Quant aux études publiées dans des revues, ni la presse ni les politiques ne les relaient.
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Dès lors, il ne s'agit plus de chercher la vérité mais d'achever le bouc émissaire.
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## Cercles vicieux et prophétie autoréalisatrice
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Jusque ici, on a vu trois axes relativement indépendants qui ont successivement écorché l'enthousiasme et la faisabilité des études thérapeutiques autour du LSD :
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* L'évolution de la méthode scientifique, rendant difficile de tester le LSD et surtout d'intégrer le set and settings ;
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* Une vision verticale et non-coopérative de la psychiatrie, notamment en France, rejetant tout ce qui touche au *care* ;
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* Une panique morale mettant tous les maux de la société sur le dos du LSD.
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Ce délicieux cocktail va progressivement, et très insidieusement, former une [prophétie autoréalisatrice](https://fr.wikipedia.org/wiki/Proph%C3%A9tie_autor%C3%A9alisatrice).
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{{<question>}}Une quoi ?{{</question>}}
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Si vous n'êtes pas familier·e avec ce nom pas très clair, il désigne le fait qu'une croyance fausse finisse par devenir vraie du simple fait d'y avoir assez cru, individuellement ou collectivement.
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{{<info>}}Au hasard, mettons que vous soyez prof de maths et que vous pensiez que les filles sont *naturellement* nulles en maths. À cause de cette croyance, vous risquez d'agir comme si c'était une fatalité. Vous les encouragez moins, vous y prêtez moins attention, voire vous leur expliquez activement qu'elles ont moins de chance d'y arriver. À la fin de l'année, en moyenne, elles ont de moins bons résultats : vous voilà conforté·e dans votre croyance et prêt·e à en remettre une couche l'année suivante.{{</info>}}
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Il s'est joué quelque chose de similaire en guise de bouquet final pour le LSD[^maths].
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[^maths]: Sur l'influence des adultes dans la perpétuation des stéréotypes de genre en ce qui concerne les maths, lire [cet article](https://link.springer.com/article/10.1007/s11199-011-9996-2) qui fait référence depuis sa publication en 2011. Dans un effort de synthèse des recherches existantes, on y apprend que les a priori des parents sur le côté « figé » des aptitudes en maths influe sur leurs enfants, notamment en fonction du genre. Un lien clair de cause à effet entre l'attitude dépendant du genre des profs et les résultats est mis en lumière.
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D'abord, la mauvaise réputation du LSD rend les patient·es de plus en plus réticent·es à participer aux études, par peur d'être frappé·es de folie. Or, on a vu que le LSD rend très sensible à la suggestion, et en particulier l'auto-suggestion. Si, en ayant consommé du LSD, on s'inquiète de « rester perché », il y a de fortes chances que l'angoisse soit difficile à gérer. Cette « peur de la peur » augmente le risque concret de séances difficiles, en particulier sans set and settings. Des peurs qui s'auto-réalisent sans accompagnement adapté, voilà une première brique.
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Dans ce contexte, le corps médical est de plus en plus frileux à l'idée d'expérimenter avec le LSD. Crainte pour l'image et la carrière, bien sûr, mais aussi craintes de dérives sectaires.
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{{<question>}}On craint des dérives sectaires au sein même de la communauté scientifique ? 🤔{{</question>}}
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Et bien oui, et ce n'est pas marginal. Parmi les raisons, l'utilisation de concepts issus des philosophies orientales pour décrire les effets subjectifs du LSD. La psychologie occidentale manque en effet de concepts adéquats et non pathologisants. Parmi les concepts mobilisés, « l'expansion de la conscience » et les « expériences cosmiques ». Le raccourci peut sembler un peu abrupt, mais certain·es pensent que les expérimentateur·ices cherchent en secret à créer une « nouvelle religion psychédélique » en abusant de leur caution scientifique. À travers ce prisme, le set and settings n'est pas une pratique de *care* mais au contraire une « intense préparation suggestive », faussant les résultats. Le vent tourne clairement et de nombreux scientifiques prennent leurs distances avec ce qu'ils considèrent comme des « erreurs de jeunesse ».
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De là, un nouveau cercle vicieux : les irréductibles défenseur·ses du LSD sont non seulement moins nombreux·ses mais mécaniquement plus radicaux : ainsi de [Timothy Leary](https://fr.wikipedia.org/wiki/Timothy_Leary), psychologue renvoyé d'Harvard et figure de proue d'une consommation très libérale de LSD. Star médiatique, Leary met en avant son parcours universitaire lors d'interventions teintées de mysticisme. Plus tard, il se rapprochera de mouvements occultes[^leary]. La mise en avant de personnalités sulfureuses à l'image de Leary accélère le processus de décrédibilisation des scientifiques travaillant sur le LSD.
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[^leary]: « Aleister Crowley […] cet occultiste à la réputation sulfureuse, qui officia dans la première moitié du XXe siècle, était connu pour ses expérimentations intégrant le sexe et la drogue ; à ce titre il ne pouvait que fasciner Leary. Mais cela va plus loin : Crowley voyait la magie comme une expression de l’individualité profonde (la « Vraie Volonté » dans son jargon théologique) et Leary voyait en lui l’exemple même du « mutant neurologique », capable de définir sa propre réalité et créer sa propre religion. À noter que Timothy Leary (en compagnie de l’écrivain beat William Burroughs) fut nommé à la fin de sa vie membre honoraire des Illuminates of Thanateros, l’un des groupes les plus importants de magiciens du chaos » ([source](https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2016-1-page-69.htm?ref=doi)).
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{{<figure src="leary.jpg" width="70%" caption="Leary (à gauche) à bord du [Furthur bus](https://en.wikipedia.org/wiki/Furthur_(bus)) en 1964, un bus sillonnant les États-Unis en diffusant les idéaux contre-culturels et le LSD.">}}
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Face aux critiques de plus en plus vigoureuses, les laboratoires Sandoz craignent pour leur image et restreignent fortement les envois de LSD. La nouvelle législation aux États-Unis permet de justifier la restriction des envois, hors accords spéciaux avec l'agence du médicament américaine. Ce n'est qu'une question de temps avant l'annonce brutale de la fin de production en 1965. Les quelques chercheur·ses qui étudient encore le LSD sont alors en grande difficulté pour se fournir et font appel à des laboratoires moins professionnels, voire se tournent vers le LSD « de rue », de moins bonne qualité et parfois coupés avec des stimulants. Dans ces conditions, les effets indésirables augmentent, ce qui donne du crédit à celleux qui le peignent comme une substance dangereuse.
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Cet amalgame hallucinant devient intenable pour les gouvernements du monde entier qui décident de réagir sous la pression de l'opinion publique.
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C'est ainsi que la France est le premier pays au monde à classer le LSD dans la liste des stupéfiants et à en interdire l'usage en 1966, quelques mois après la sortie des « poisons de l'esprit ».
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Au moment, le LSD est déclaré illégal dans plusieurs états des États-Unis, avant d'être interdit au niveau fédéral dès 1968. En 1971 commence la « [War on drugs](https://fr.wikipedia.org/wiki/War_on_Drugs) », une offensive massive contre les drogues menée par le président Nixon. Le LSD est alors classé au « Tableau 1 » du [Controlled Substances Act](https://fr.wikipedia.org/wiki/Controlled_Substances_Act). Cette catégorisation est la plus sévère et est réservée aux substances au **fort potentiel addictif** et **sans utilité thérapeutique**. Il y côtoie le cannabis et l'héroïne, à rebours complet des données scientifiques. Comme un air de famille avec la [Convention sur les substances psychotropes](https://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_sur_les_substances_psychotropes), convoquée par l'ONU la même année[^drugs_harm].
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[^drugs_harm]: L'absence de corrélation entre dangerosité d'un produit et répression légale est désormais bien établie. Elle a notamment été analysée dans [cet article pour le Royaume-Uni](https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(10)61462-6/fulltext) et [cet article pour l'Écosse](https://bmjopen.bmj.com/content/2/4/e000774).
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Aux États-Unis, encore une dernière piste. Bien loin du *care* évoqué plus haut, il a été testé dans le cadre du projet [MKUltra](https://en.wikipedia.org/wiki/MKUltra#LSD), un vaste programme secret de torture opéré pendant près de 20 ans par la CIA. Le but assumé de MKUltra était de trouver des méthodes fiables pour forcer les victimes à parler pendant les interrogatoires. Le LSD est alors pressenti comme potentiel « sérum de vérité ». 1964 signe l'arrêt des expérimentations, concluant à des résultats « imprévisibles ». Il n'est pas rare que l'armée finance des recherches à visée manifestement noble, alimentant en secret des programmes bien moins éthiques[^complotism]. Peut-être que le désintérêt des services de renseignement pour le LSD a contribué à l'arrêt du soutien aux recherches.
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[^complotism]: Alors oui, j'ai conscience que ça sonne super complotiste. Mais il suffit de lire [la page Wikipédia du projet MKUltra](https://en.wikipedia.org/wiki/MKUltra) ; on peine à croire que de telles abominations aient pu se perpétuer pendant 20 ans. Plus anecdotique, mais plus proche aussi : j'ai passé quelques années dans un laboratoire de recherche en informatique, et la quasi-totalité des thèses étaient co-financées par le ministère de la défense, y compris dans des domaines semblant n'avoir absolument rien à voir avec l'armée. Sans imaginer des programmes secrets derrière, l'armée ne connaît pas la crise et voit son budget [augmenter d'années en années](https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/09/26/budget-2023-les-armees-verront-bien-leurs-depenses-augmenter-de-3-millions-d-euros_6143207_823448.html). Il y a alors un véritable opportunisme : financer n'importe quoi en espérant que ça donne quelque chose d'utile un jour, et abandonner ce qui ne donne rien au bout d'une dizaine d'années.
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La recherche psychédélique entre alors dans une traversée du désert, longue… très longue. Plus de 50 ans après sa criminalisation mondiale, le LSD reste illégal et stigmatisé. Pourtant, un vent de renouveau souffle depuis le début des années 2000, avec une nette accélération ces dernières années. Est-ce un véritable changement de paradigme qui s'annonce pour les patient·es ? On en discute dans la [dernière partie de cette série]({{<ref "../04-lsd-revival/index.md">}}) 🤗.
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@ -0,0 +1,196 @@
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title: Vers un nouvel âge psychédélique ?
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subtitle: Reprise des études depuis les années 2000, entre *care* et dérives capitalistes
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date: 2023-07-03
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categories:
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- Santé
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summary: Contre toute attente, quelques études rouvrent une brèche autour des psychédéliques à la fin des années 2000. Depuis quelques années, les études explosent et s'institutionnalisent. La presse est très enthousiaste. La légalisation est proche. Faut-il crier victoire ?
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intro: Dans le [précédent billet]({{<ref "/content/posts/lsd/03-lsd-banned/index.md">}}), on a vu comment le LSD a incarné un espoir important pour la médecine avant d'être perçu comme un péril mortel pour les sociétés occidentales. L'évolution de la méthode scientifique, le rejet du *care* et une panique morale générale ont abouti à sa marginalisation puis à sa criminalisation. Pourtant, quelques études rouvrent timidement le sujet dans les années 2000. Les études s'accélèrent et s'institutionnalisent depuis 2015. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ? Quelles perspectives pour les psychédéliques ? Faut-il craindre une récupération délétère de l'industrie pharmaceutique ? C'est ce qu'on va voir dans ce billet.
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imgLicence: Street-art et recherches psychédéliques ([source](https://societepsychedelique.fr/fr/blog/quand-la-science-psychedelique-inspire-le-street-art))
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## Et le phœnix psychédélique renaquit de ses cendres
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Pendant 40 ans, c'est le statu quo. Dans l'inconscient collectif, le LSD est une drogue dure et dangereuse, auréolée de son lot de légendes urbaines.
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{{<question>}}
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Au lycée, on m'a raconté l'histoire d'une personne qui se serait prise pour une orange et épluché la peau après avoir pris du LSD. Ce n'est probablement pas la seule légende du genre. Faites le test, demandez à votre entourage ce qu'iels savent des dangers du LSD 😉.
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{{</question>}}
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Mais en souterrain, les savoir-faire autour du set and settings perdurent et se transmettent grâce aux thérapeutes *underground* et aux associations de [réduction des risques](https://addictions-france.org/la-prevention/reduction-risques-dommages/) (RDR). Le rôle de ces dernières n'est pas à prendre à la légère : elles sont les seules à fournir des informations fiables et centrées sur la protection des consommateur·ices, les états adoptant une stratégie punitive ou obscurantiste. Leurs bénévoles sont aussi sur le terrain, dans les établissements scolaires ou dans les événements festifs. Leur logique est simple : les politiques répressives échouent à protéger les populations. L'exemple de la France est éloquent ; alors que le ministre de l'intérieur veut [durcir les sanctions](https://www.huffingtonpost.fr/france/article/contre-les-trafics-de-drogue-darmanin-veut-sanctionner-plus-durement-les-consommateurs_216190.html) contre les usage·res, la France reste l'un des pays d'Europe qui consomme le plus de cannabis, avec des risques accrus dûs au manque d'accompagnement et à des produits de mauvaise qualité[^cannabis]. Les gens consommeront avec ou sans elles, alors autant réduire les risques évitables. C'est notamment via leur concours que les « bonnes pratiques » pour consommer des psychédéliques ont survécu jusqu'à nous et se sont affinées[^psychonauth].
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[^cannabis]: Cet apparent paradoxe est observable depuis au moins dix ans. En réaction à l'inefficacité des politiques répressives, de plus en plus de voix proposent de légaliser, ou du moins de dépénaliser le cannabis, quand bien même on ne lui reconnaîtrait pas d'utilité thérapeutique. Voir par exemple [cet article](https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2018-1-page-19.htm?ref=doi).
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[^psychonauth]: Si les associations de RDR officient depuis plusieurs dizaines d'années, l'information est désormais accessible à tout·es sur le web. [Erowid](https://www.erowid.org/) est un site web emblématique créé il y a plus de vingt ans, où l'état de l'art scientifique côtoie des retours d'expérience des usager·es (« *trip reports* »). On peut aussi citer [PsychonautWiki](https://psychonautwiki.org/wiki/Main_Page), une encyclopédie collaborative qui fournit des données concernant les psychotropes, parfois plus complètes que celles de Wikipédia. On y trouve aussi une classification particulièrement dense de leurs effets psychotropes, construite par la communauté, dans un effort de vulgarisation et d'objectivation.
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Mais côté recherche, rien. Soit plus aucun·e chercheur·se ne s'y intéresse, soit personne n'ose s'exposer. Les obstacles sont évidemment nombreux, légaux comme culturels.
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Peter Gasser, un psychiatre suisse, brise l'omerta en 2009. Il [rend compte](https://web.archive.org/web/20111006122541/http://bazonline.ch/wissen/medizin-und-psychologie/Psychiater-Gasser-bricht-sein-Schweigen/story/25732295) au Spiegel des effets remarquables du LSD pour soulager les symptômes de plusieurs maladies incurables. Pendant un an et demi de recherches sur un petit échantillon de patient·es, il refuse toute interaction avec la presse pour se protéger de la stigmatisation. Il accepte finalement de témoigner mais la suspicion ambiante est forte. Gasser se protège en déclarant vouloir éviter de « s'exposer au faux soupçon d'être un messie ou un acteur du changement socio-politique ». Il souhaite seulement avoir le droit continuer ses recherches pour soulager la douleur des patient·es.
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{{<info title="La suspicion s'en ira-t-elle un jour ?">}}
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Aujourd'hui, des congrès internationaux sur les psychédéliques se tiennent à nouveau et regroupent des chercheur·ses de plusieurs disciplines. Mais on craint toujours la suspicion. Alors les gauchistes, on veut faire avaler ses idéaux hippies en faisant payer le contribuable ? Ces procès d'intention sont bien évidemment absurdes, puisque l'objectif assumé est d'améliorer la prise en charge des patient·es. Zoë Dubus raconte que dans ces congrès, on s'habille neutre. On utilise un vocabulaire très scientifique et surtout bien loin du mysticisme. En somme, on prend au maximum ses distances : les prophètes « à la Leary » ont laissé des stigmates dont on ne se débarrasse pas si facilement. J'ai le sentiment qu'on laisse étrangement plus tranquilles les chercheur·ses dans les secteurs industriels où l'idée de conflit d'intérêt ne semble pas trop déranger.
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{{</info>}}
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[L'université Johns Hopkins](https://www.jhu.edu/) a été la première à demander [l'autorisation de reprendre les recherches](https://www.hopkinsmedicine.org/psychiatry/research/psychedelics-research.html) au début des années 2000, et à l'obtenir. Elle a pu montrer dès 2006 l'innocuité de la psilocybine, un des composés psychoactifs des « champignons hallucinogènes ». L'étude porte sur des volontaires en bonne santé et sans historique de consommation. C'est la première publication psychédélique post-interdiction dans une revue scientifique et elle fait date. Encore aujourd'hui, l'université Johns Hopkins est une référence du domaine mais, fait nouveau, elle est aussi « connue » du grand public.
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{{<figure src="johnson.jpg" width="80%" caption="Matthew Johnson, ici sur [la chaîne BigThink](https://www.youtube.com/watch?v=HGqFxjQI3is) (6 millions d'abonné·es), est une star de la recherche psychédélique. Il a reçu la première subvention publique américaine moderne pour conduire une étude sur la psilocybine. Il a été interviewé par les médias américains les plus connus et semble y être particulièrement apprécié.">}}
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En 2008, [un article](https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0269881108093587) de l'université Johns Hopkins détaille une méthodologie inspirée du set and settings à destination des futures études psychédéliques. Elle sera largement utilisée comme référence pour la suite et je vous recommande chaudement sa lecture si vous comprenez l'anglais : c'est une synthèse remarquable des connaissances *underground*, appuyées sur des données scientifiques.
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## Accélération des recherches et soutien de l'opinion
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Post-2015, la communauté scientifique recommence sérieusement à s'intéresser aux psychédéliques. Le LSD y est délaissé au profit de la psilocybine. Si cette molécule a pourtant été isolée et étudiée en même temps que le LSD, elle est beaucoup moins connotée culturellement. Ce n'est clairement pas l'endroit pour un état de l'art, mais je vous propose quelques jalons importants de cette « renaissance psychédélique », histoire de se convaincre que c'est loin d'être marginal.
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* En 2016, [une étude](https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0269881116675513) randomisée en double aveugle relance l'intérêt pour les psychédélique dans le traitement de l'anxiété en soins palliatifs, faisant écho aux recherches des années 1960 ;
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* En 2018, les États-Unis ont accordé le statut de [« thérapie innovante »](https://compasspathways.com/compass-pathways-receives-fda-breakthrough-therapy-designation-for-psilocybin-therapy-for-treatment-resistant-depression/) à **Compass Pathways** (retenez ce nom) pour l'utilisation de la psilocybine dans les dépressions résistantes ;
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* En 2020, la Suisse [légalise](https://www.esanum.fr/today/posts/suisse-la-psychotherapie-assistee-par-psychedeliques-disponible-a-lhopitalfederico-seragnoli) l'utilisation du LSD dans le cadre de l'« usage compassionnel », c'est-à-dire pour les personnes présentant une pathologie difficile et résistante aux traitements existants ;
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* En 2021, les États-Unis [accordent une subvention](https://www.hopkinsmedicine.org/news/newsroom/news-releases/johns-hopkins-medicine-receives-first-federal-grant-for-psychedelic-treatment-research-in-50-years) publique pour étudier l'intérêt de la psilocybine dans le traitement du sevrage tabagique ;
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* En 2022, l'innocuité physique et psychique des psychédéliques en condition set and settings [fait largement consensus](https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/02698811211069100) ;
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* En 2022 toujours, un essai clinique de phase II[^phase] [confirme](https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa2206443) l'intérêt de la psilocybine pour soigner les dépressions résistantes ;
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* En 2023, l'**association MAPS** (retenez aussi ce nom) finalise la phase III[^phase] d'un [essai clinique](https://psychedelichealth.co.uk/2023/01/05/maps-confirms-successful-phase-3-trial-of-mdma-for-ptsd/) utilisant la MDMA pour soigner les syndromes de stress post-traumatique. Cet essai pourrait sérieusement conduire à une autorisation de mise sur le marché ;
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* En 2023 toujours, l'Oregon est le premier état à [légaliser](https://www.forbes.com/sites/ajherrington/2023/05/08/oregon-issues-first-psilocybin-therapy-treatment-center-license/) la thérapie psychédélique assistée par psilocybine, à la suite d'un référendum d'initiative populaire (vous avez bien lu).
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[^phase]: On a beaucoup entendu parler de « phase III » pendant la recherche de vaccins contre le COVID-19. Concrètement, la recherche moderne sur les médicaments suit trois phases pour obtenir une autorisation de mise sur le marché. L'INSERM l'explique très bien [sur son site](https://www.inserm.fr/nos-recherches/recherche-clinique/essais-cliniques-recherches-interventionnelles-portant-sur-produit-sante/). La phase II correspond aux tests de la molécule sur des personnes malades, cherchant à montrer sa bonne tolérance et son efficacité sur une petite cohorte, pas encore en double aveugle. En phase III, on compare le traitement à un placebo sur une cohorte plus grande, et on cherche idéalement à montrer son intérêt supplémentaire vis-à-vis des traitements existants.
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{{<info>}}En France, plusieurs études sont prévues mais peinent à démarrer. L'Académie de Médecine, institution conservatrice et « anti-drogues », ne sera vraisemblablement pas d'une grande aide pour convaincre les autorités sanitaires.{{</info>}}
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D'autres psychédéliques, comme la [DMT](https://en.wikipedia.org/wiki/N,N-Dimethyltryptamine), la [mescaline](https://en.wikipedia.org/wiki/Mescaline) ou dans une moindre mesure la [MDMA](https://en.wikipedia.org/wiki/MDMA) se sont invités dans les programmes de recherche. Leur point commun tient dans l'innocuité des doses administrées et dans le peu de séances nécessaires, contrairement aux stratégies classiques qui s'étalent sur de longues durées, par exemple dans le cas de la dépression.
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{{<warn title="L'arbre et la forêt">}}
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Les recherches les plus médiatisées concernent la santé mentale et les psychédéliques, mais ce sont aussi les recherches les plus difficiles à mener et à publier. Pour aller jusqu'en phase III et prouver l'efficacité pharmacologique d'une molécule, il faut élaborer des protocoles extrêmement stricts. On a vu dans le [précédent billet]({{<ref "/content/posts/lsd/03-lsd-banned/index.md">}}/#des-essais-cliniques-de-plus-en-plus-contrôlés) à quel point c'est difficile. Mais en parallèle, les neurosciences utilisent massivement l'imagerie cérébrale pour tenter de comprendre les effets structurels des psychédéliques sur le cerveau. Il est beaucoup plus « facile » de publier sous cet angle, et les neurosciences sont à la mode.
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{{</warn>}}
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{{<question>}}Pourquoi l'opinion publique semble-t-elle désormais plus accueillante vis-à-vis des psychédéliques ?{{</question>}}
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L'une des raisons est que la médiation scientifique s'organise très différemment à présent. Finis les scientifiques cantonnés à leur cercle très spécialisé, sans canal de communication avec une presse alarmiste. Les universitaires s'organisent maintenant en **Sociétés Psychédéliques**, des associations qui vulgarisent les recherches dans une approche pluri-disciplinaire. En France, la [Société Psychédélique Française](https://societepsychedelique.fr) organise régulièrement des événements, entre conférences, cercles de parole et réduction des risques.
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{{<figure src="spf.jpg" width="90%" caption="La SPF est composée pour partie d'universitaires, mais ne se cantonne pas à la communication académique. Elle organise régulièrement des événements grand public pour créer du lien entre expériences personnelles et recherches en cours. À rebours des scientifiques qui cherchent à se distancier des usager·es, les Sociétés Psychédéliques affirment qu'il est possible de mener des recherches sérieuses tout en les accompagnant.">}}
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Une deuxième raison tient dans la demande pressente de trouver de nouveaux traitements. En effet, malgré les effets d'annonce des laboratoires, c'est bien dans les années 80 qu'a eu lieu la dernière innovation majeure rapport au traitement de la dépression. De ce fait, les psychédéliques incarnent un nouvel espoir pour énormément de personnes.
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{{<info title="Antidépresseurs et vieux pots">}}
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Si des traitements spécifiques existent depuis les années 60 (dits antidépresseurs tricycliques), leurs effets secondaires sont trop problématiques. On invente alors les fameux « ISRS », ou Inhibiteurs Sélectifs de la Recapture de la Sérotonine. Concrètement, ils augmentent le taux de sérotonine dans le cerveau, une hormone très impliquée dans les troubles de l'humeur. L'efficacité de ces médicaments semble alors valider [l'hypothèse monoaminergique de la dépression](https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10775017/), c'est-à-dire l'idée selon laquelle la dépression serait causée par un déficit de neurotransmetteurs dans le cerveau — sérotonine au premier rang. La quasi-totalité des antidépresseurs conçus depuis agissent en modulant des neurotransmetteurs. Néanmoins, l'efficacité des ISRS et assimilés reste dramatiquement faible, de l'ordre de **40%**. Pire, ils causent un large spectre d'effets secondaires, un [sevrage difficile](https://fr.wikipedia.org/wiki/Syndrome_d%27arr%C3%AAt_des_antid%C3%A9presseurs) et le traitement s'étale sur des mois voire des années. Sans compter les [dépressions réfractaires](https://en.wikipedia.org/wiki/Treatment-resistant_depression) aux traitements.
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{{</info>}}
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On peut aussi s'interroger sur l'accueil étrangement enthousiaste de la presse vis-à-vis de substances qui modifient l'état de conscience. Il est vraisemblable que le soutien institutionnel, la rigueur des études et les résultats encourageants y jouent un rôle. Une autre raison est peut-être à chercher dans l'augmentation massive des troubles de la santé mentale ces dernière décennies, rappelée dans toutes les introductions d'articles scientifiques. Aussi, le narratif de la substance bannie qui se révèle être un précieux allié est alléchant.
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Pour autant, les thérapies psychédéliques sont-elles une panacée ? Il faut rester extrêmement prudent, et pour plusieurs raisons.
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D'abord, beaucoup de personnes se retrouvent démunies en matière de santé mentale et de douleurs chroniques. Leurs souffrances sont majeures et insoutenables et toute nouvelle perspective thérapeutique est accueillie avec énormément d'enthousiasme. Un [article](https://mjm-news.today/nature/the-psychedelic-remedy-for-chronic-pain/) notait justement que « les personnes qui souffrent de douleurs chroniques sont particulièrement vulnérables aux faux espoirs et aux effets d'annonce ». On ne peut pas attendre des psychédéliques en tant que tels qu'ils guérissent toutes les dépressions et soulagent toutes les douleurs ; les causes et mécanismes sont si multiples qu'il n'existe pas de solution miracle.
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Mais il y a pire, et il s'agit de ne pas être naïf. Car on peut très rapidement se laisser berner.
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{{<info title="Psychédéliques et bulle de filtre">}}
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Mon introduction aux psychédéliques s'est faite dans des communautés *safe*, en tant qu'outil d'introspection, de thérapie, d'expérimentation d'une forme de spiritualité, de réconciliation avec soi, etc. C'est d'ailleurs dans les festivals « psychédéliques » que j'ai croisé le plus de personnes engagées, militantes et bienveillantes, du côté de l'organisation comme du public. Je pense notamment au [Hadra Trance Festival](https://hadratrancefestival.net/fr/), un festival à but non lucratif particulièrement engagé sur les questions d'inclusion et de lutte contre les discriminations. Mais les psychédéliques ne sont pas immunisés aux oppressions omniprésentes de notre monde.
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{{</info>}}
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## La vie est belle, le monde pourri
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C'est vrai que pour une dernière partie, c'est un titre un peu triste (merci [Manu](https://www.youtube.com/watch?v=3PFw70GT57w)). Triste, comme moi en lisant ces dizaines d'articles pour apporter un peu de nuance à mon propos, pour ne pas glorifier aveuglément les psychédéliques. Car si jusqu'alors j'ai voulu montrer que les psychédéliques ont été stigmatisés pour de mauvaises raisons, je voudrais pour finir montrer qu'ils seront pour sûr instrumentalisés par des systèmes toxiques.
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Cette dernière partie est écrite avec un ton plus « à charge », car ces sujets me touchent profondément. Néanmoins, je continue de sourcer ce que je raconte.
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### Néolibéralisme : des individus responsables de leurs souffrances
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Pour commencer, ériger une substance comme remède à tous les problèmes est dangereux et cache une grande violence symbolique. En effet, si on ne peut nier que des personnes souffrent et qu'il faut les accompagner par tous les moyens dont on dispose, il faut aussi veiller à ne pas masquer les causes politiques et sociales qui ont favorisé ces troubles.
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La santé mentale est clairement mise à mal par la violence du [monde du travail](https://link.springer.com/article/10.1007/s10597-021-00840-7), [l'inaction climatique](https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyt.2020.00074/full), les violences [sexistes](https://link.springer.com/article/10.1007/s12144-017-9730-5) et [sexuelles](https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/329889/WHO-RHR-19.16-eng.pdf), l'[autoritarisme](https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0033294120925392), etc. Miser uniquement sur les psychédéliques sans apporter de réponse systémique revient à embrasser la logique néolibérale posant l'individu comme pleinement responsable de son état. L'idée serait à peu près la suivante :
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> Nous avons trouvé un traitement miraculeux pour la dépression : si les individus ne guérissent pas, c'est pas qu'ils ne font pas assez d'efforts — *un membre fictif du gouvernement*.
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C'est en s'inscrivant dans cette logique que des entreprises prédatrices comme Google ont par exemple récupéré la méditation pleine conscience. [Un article du blog Hacking Social](https://www.hacking-social.com/2020/04/06/comment-la-pleine-conscience-peut-elle-etre-neoliberalisee-mcmindfulness-travail-google/) en parle très bien :
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> La pleine conscience peut être encore plus « occidentalisée » que les exercices présents en thérapie comme on l’a vu pour la dépression, et vidée de toute accroche ou même de « conscience » éthique, au point que certains chercheurs la perçoivent comme un instrument du néolibéralisme qui fait exactement l’inverse de ce qu’il vante (la pleine conscience) et s’oppose totalement à tous les aspects tels que la compassion, la compréhension de l’interdépendance, le peu d’attache aux possessions, le recul de l’ego, l’altruisme, voire aliène l’individu encore plus qu’il ne l’était avant. Cette critique prend surtout cœur dans les programmes de pleine conscience dans le monde du travail qui sont modelés ou présentés avec des visées d’augmenter la productivité, l’engagement des salariés et managers, en « supprimant » leur stress (c’est à dire en changeant l’état d’esprit des travailleurs et non en changeant les conditions de travail qui causent le stress).
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Dans la même veine, le business du mal-nommé « développement personnel » a explosé ces dernières années. De nombreux·ses chercheur·ses ont décrit les effets délétères du développement personnel et de l'injonction perpétuelle faite aux individus d'être les acteur·ices de leur bonheur, oubliant le contexte social qui le détermine. Deux ouvrages ont récemment traité cette question : « [Le Syndrome du bien-être](https://www.lechappee.org/collections/pour-en-finir-avec/le-syndrome-du-bien-etre) » d'André Spicer et Carl Cederström, ainsi que « [Politiser le bien-être](https://boutique.binge.audio/products/politiser-le-bien-etre-camille-teste) » de Camille Teste.
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Plus insidieusement, il (m')est difficile de ne pas céder à une forme de « déterminisme neuronal ». Par là, j'entends le désir de trouver des causes neurologiques aux phénomènes psychologiques. On l'a vu, les neurosciences étudient beaucoup les psychédéliques et veulent **expliquer** leurs effets. A priori, ça ne paraît pas déconnant, d'autant plus pour créer un rapport de force avec les médicaments traditionnels, bien étudiés de ce point de vue là. Mais il y a deux hics :
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* Les effets des psychédéliques **en tant que molécules** ne sont une petite partie de leur aspect thérapeutique et tendent à masquer l'importance de l'accompagnement ;
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* L'enthousiasme autour des neurosciences est extrêmement grand (un critique l'appelait déjà [Neurotrash](https://newhumanist.org.uk/2172/neurotrash) en 2009), les financements pleuvent et la presse s'en fait l'écho avec peu de recul.
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Ainsi, compter uniquement sur les résultats de la sphère « neuro » comme caution de crédibilité me semble très hasardeux. Cette vision mécaniste (*e.g.* « si LSD alors plasticité ») pourrait également justifier une pathologisation et une culpabilisation des patient·es :
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> Si le traitement ne fonctionne pas, c'est parce que vous êtes bizarre, que quelque chose ne tourne pas rond. Vous comprenez, l'imagerie cérébrale a montré que c'est efficace : c'est vous qui avez un problème. Ou alors peut-être que c'est dans votre tête ? — *un psychiatre fictif*.
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Les généralités ramenées à la moyenne en neurosciences masquent les fortes différences interpersonnelles : chaque cerveau réagit différemment. Le concept de [neurodiversité](https://fr.wikipedia.org/wiki/Neurodiversit%C3%A9) met à mal le concept même d'un « humain normal ».
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Enfin, [une étude](https://direct.mit.edu/jocn/article-abstract/27/5/926/28344/Superfluous-Neuroscience-Information-Makes?redirectedFrom=fulltext) a montré que les explications de phénomènes psychologiques appuyées des éléments neuroscientifiques sans aucune pertinence sont perçues comme plus convaincantes. Il faut donc rester prudent·es sur les extrapolations.
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### Capitalisme : le business juteux des thérapies psychédéliques
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D'autre part, la hype autour des psychédéliques intéresse forcément des multinationales cupides. Et c'est pernicieux, car les psychédéliques jouissent d'un capital contre-culturel perçu comme subversif et émancipateur. Sous LSD, la plupart des sujets ressentent une sensation d'unité, de paix, de bienveillance ; leurs promoteurs-entrepreneurs profitent de cette même réputation, comme Apple a largement profité de l'imaginaire contre-culturel.
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{{<warn>}}Comme [l'a montré Fred Turner](https://cfeditions.com/utopie-numerique/), nombre d'icônes de la contre-culture, à l'instar de Steward Brand, n'étaient pas du tout anticapitalistes. Ils perpétuent une longue tradition [libertarienne](https://fr.wikipedia.org/wiki/Libertarianisme) auréolée d'une couronne de fleurs, opposée aux monopoles et à la bureaucratie.{{</warn>}}
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Pourtant, en se massifiant, la médecine psychédélique n'a aucune raison d'échapper aux travers de l'industrie pharmaceutique. Le renouveau psychédélique fait baver, et à raison, le milieu de la finance et de l'investissement. Et c'est dans ce milieu qu'il faut chercher les acteurs les plus influents du domaine.
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Prenons un exemple : vous vous rappelez de **Compass Pathways**, la structure qui milite pour légaliser la psilocybine afin de soigner les dépressions résistantes ? Compass, qui a reçu le soutien financier de l'agence fédérale des médicaments américaine (FDA) ? L'enthousiasme est légitime. Compass est d'ailleurs à l'origine une ONG, dans la droite ligne des défenseur·ses des droits des patient·es. Mais récemment, Compass est devenu une entreprise à but lucrative lors de l'entrée au capital de Peter Thiel.
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{{<info title="Peter Thiel, un libertarien pure souche">}}
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Peter Theil est connu pour avoir cofondé PayPal. Il gère des fonds d'investissement spéculatifs et a fondé Palantir, une entreprise qui développe et vend des outils d'espionnage aux gouvernements. Dans [un billet de blog](https://www.cato-unbound.org/2009/04/13/peter-thiel/education-libertarian/) louant la « liberté humaine authentique », il affirme que :
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> the vast increase in welfare beneficiaries and the extension of the franchise to women — two constituencies that are notoriously tough for libertarians — have rendered the notion of "capitalist democracy" into an oxymoron.
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Comprendre : depuis que les femmes ont le droit de vote et que les plus précaires sont aidés, impossible d'avoir une vraie « démocratie capitaliste » (car visiblement, il n'y a pas de femmes libertatiennes d'après Thiel). Pour retrouver la liberté, la vraie, il propose alors de coloniser l'espace, le « cyberespace », et les océans.
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{{</info>}}
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Compass Pathways s'est depuis lancée, comme des dizaines d'autres, dans une course aux brevets.
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{{<warn title="Les brevets aux États-Unis, un système dysfonctionnel">}}
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Les brevets sont très problématiques aux États-Unis (et ailleurs, mais c'est une autre histoire), car on peut y **breveter des idées**, ce qui n'est pas le cas en France par exemple. C'est ainsi que des sociétées spécialisées, surnommées *[patent trolls](https://fr.wikipedia.org/wiki/Patent_troll)*, ont pour seule activité le rachat d'un maximum de brevets à des sociétés ou des particuliers pour coller des procès pour contrefaçon au cul de petites ou même de grosses entreprises. Chaque année, des centaines de milliers de brevets sont accordés, et avec eux leur [lot de ridicule](https://abovethelaw.com/2017/10/8-of-my-favorite-stupid-patents/). Ainsi, Apple a pu breveter la forme de l'écran de ses iPhone — un rectangle aux coins arrondis — et IBM a obtenu un brevet **en 2017** pour un système permettant d'envoyer un mail automatique d'absence. Bref, on comprend vite comment des entreprises font exclusivement leur beurre avec des [procédures-bâillon](https://fr.wikipedia.org/wiki/Proc%C3%A9dure-b%C3%A2illon) pour contrefaçon, espéreant exploiter la loi ou régler à l'amiable avec un gros chèque.
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{{</warn>}}
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{{<question>}}Mais quel rapport avec les psychédéliques ? On ne peut pas breveter une molécule synthétisée depuis les années 50, si ?{{</question>}}
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A priori, non. Et pourtant, même la synthèse de la psilocybine est concernée. Mais comment ? Le procédé est très bien connu et un·e étudiant·e de master en chimie n'aurait aucun mal à en produire. Mais c'était sans compter Compass Pathways, qui a mis au point une nouvelle méthode de synthèse censée respecter les standards de la santé. L'argument de la sûreté médicale est évidemment un prétexte pour [breveter cette synthèse](https://www.vice.com/en/article/9355vd/get-ready-for-pharmaceutical-grade-magic-mushroom-pills-v27n2) et faire du lobbying auprès de la FDA afin d'obtenir un agrément exclusif. Et ça paye : Compass Pathways obtient le monopole de la fabrication de psilocybine pour les études cliniques publiques.
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Ainsi, les chercheur·ses sont obligé·es d'acheter la psilocybine de Compass s'iels espèrent un jour intégrer le système de santé américain. C'est pour cette raison que l'université John Hopkins a dû acheter sa psilocybine à un [tarif exorbitant de 7.000$ par gramme](https://qz.com/1235963/scientists-who-want-to-study-psychedelic-mushrooms-have-to-pay-7000-per-gram]). Redoublant d'imagination, Compass a également déposé un genre de « brevet sur le set and settings ». Il y décrit une thérapie assistée à la psilocybine comportant une pièce chaleureuse, un système son et un canapé sur lequel les patient·es sont alongé·es.
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{{<figure src="patent.jpg" caption="Un extrait des « claims » du brevet de Compass. Les « claims » (revendications) d'un brevet définissent son périmètre d'application. C'est à eux qu'on se réfère dans les procès pour contrefaçon ([source](https://www.vice.com/en/article/93wmxv/can-a-company-patent-the-basic-components-of-psychedelic-therapy)).">}}
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Si ce genre de brevets peut sembler absurde, c'est une menace à ne pas prendre à la légère. Qui sait l'issue d'une bataille juridique si Compass tentait de s'arroger le monopole du protocole thérapeutique ? Compass a une armée de juristes à disposition. La santé des patient·es n'est malheureusement pas un argument valable dans les litiges concernant les brevets, et il est hélas probable que la recherche soit subordonnée à ce genre d'entreprises dans les prochaines années.
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Enfin, délicieuse ironie pour une entreprise détenue par un « libertarien pure souche », Compass a orchestré un intense lobbying auprès de chercheur·ses pour empêcher l'Oregon de légaliser la psilocybine, plutôt que de lui offrir un monopole[^oregon]. Sous couvert de vouloir protéger les citoyen·nes, l'objectif est de lui offir un juteux monopole sur la substance. La guerre des brevets [n'en est qu'à son début](https://www.vice.com/en/article/7k9359/the-race-to-patent-psychedelics-is-just-getting-started), et pourtant des milliers de brevets en rapport avec la psilocybine ont déjà été déposés.
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[^oregon]: « George Goldsmith, CEO and co-founder of Compass, recently started reaching out to several psychedelic researchers at OHSU (Oregon Health & Science University) in an attempt to drum up concern and mobilize opposition to implementing 109 [*ndlr*, la légalisation de la psilocybine] in Oregon. Compass makes no bones about their opposition to Measure 109 and their intent to keep psilocybin therapy within the FDA medical pharma frame only. From their position statement Should psilocybin be legalized, listed first on their “Our Perspectives” page on their website, and quoting with their emphasis: "To make sure it is safe and effective in patients, psilocybin therapy needs to be approved by medical regulators, not legislators." » ([source](https://info.drbronner.com/all-one-blog/2021/03/sounding-the-alarm-on-compasss-interference-in-oregons-psilocybin-therapy-program/))
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{{<figure src="patents2.jpg" caption="Consulté en [septembre 2023](https://psychedelicalpha.com/data/psilocybin-patent-tracker), ce site répertorie tous les brevets connus en rapport avec la psilocybine. Imaginez la pression si vous voulez accompagner une personne et que la psilocybine est légalisée ? Mieux vaudra probablement payer des royalties à Compass et aux autres. Et que dire des universitaires souhaitant poursuivre les recherches ? Devront-iels bosser chez Compass ou se faire attaquer en justice ?">}}
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Ces exemples nous offrent une piqûre de rappel : **l'industrie pharmaceutique et les biotechs sont avant tout des capitalistes prédateurs**. Si leurs intérêts se confondent parfois avec l'intérêt public, ce n'est que par hasard. Ils n'ont jamais été et ne seront jamais des alliés, quelle que soit la qualité de leur service de relations publiques. Au fond, peu leur importe que les psychédéliques soient réellement efficaces s'ils se vendent à plusieurs milliers d'euros suffit. Si c'est efficace, tant mieux pour la population, mais c'est un **effet secondaire**. L'histoire du capitalisme ne cesse de nous le rappeler : si les conditions de vie s'améliorent localement, ce n'est que par effet secondaire (et en général, ça n'est [pas grâce au capitalisme](https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0305750X22002169)).
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Ainsi, il faut s'attendre à voir ces entreprises financiarisées dépenser des millions de dollars en lobbying pour faire légaliser leurs méthodes (supposément efficaces) en échange d'un monopole. En d'autres termes, on passerait d'une diabolisation des psychédéliques à une véritable hallucination : ces derniers peuvent désormais tout soigner, en témoigne les brevets déposés « au cas où », par exemple sur l'obésité, sans aucune assise scientifique. L'industrie pharmaceutique est notoirement connue pour produire des études qui affabulent quant à la taille d'effet et aux indications thérapeutiques des substances qu'elle invente.
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{{<warn title="Preuve d'efficacité et conflit d'intérêt : une problématique généralisée">}}
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Cet exemple était initialement une note de bas de page, mais je tiens à le rendre visible. La [page Wikipédia]((https://fr.wikipedia.org/wiki/Antid%C3%A9presseur#Efficacit%C3%A9)) des antidépresseurs décrit bien leur efficacité. Pour obtenir une autorisation de mise sur le marché, les laboratoires doivent prouver que leur molécule produit des effets plus grands qu'un placebo, et préférablement meilleurs que les options déjà disponibles. Retenez qu'on parle ici de molécules dont les effets secondaires sont très pénibles à supporter et dont le sevrage peut être très violent. Ces études, financées quasi-exclusivement par les laboratoires, tentent par toutes les astuces statistiques et méthodologiques de faire pencher la balance en leur faveur. En écho, [cet article retentissant](https://www.nature.com/articles/d41586-019-00857-9) publié dans Nature, co-signé par plus de 800 scientifiques, alerte sur la triche possible autour du concept de « statistiquement significatif », critère hégémonique utilisé pour valider une étude. Alors, on lance faire des [méta-analyses](https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9ta-analyse) supposées croiser toutes les données dont on dispose. Elles se contredisent, certaines concluant à l'inefficacité quasi-totale des antidépresseurs, les autres leur trouvant de grandes qualités. De plus, l'injonction à publier des résultats impressionnants conduit à ne pas soumettre les études qui démontrent « seulement » l'inefficacité d'un produit. Je ne cherche pas à mettre en cause la méthode scientifique, mais le modèle de financement de la recherche, totalement gangréné par les logiques privées, [y compris](https://podcast.picasoft.net/@la_voix_est_libre/episodes/open-science-la-libre-circulation-des-connaissances) lorsqu'il est financé par de l'argent public. Symptomatique, [la loi de programmation pour la recherche](https://www.francetvinfo.fr/societe/education/pourquoi-le-projet-de-loi-de-programmation-de-la-recherche-fait-grincer-des-dents-le-monde-universitaire_4188875.html) de 2021 coupe les subventions à la recherche fondamentale et force à présenter des projets « plus risqués et plus originaux » afin de « rayonner » ; comprendre spectaculaires et rentables.
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{{</warn>}}
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Il me semble alors certain que les biotechs financeront des études prêtant monts et merveilles aux psychédéliques. Et à la fin, les oublié·es de l'histoire seront toujours les mêmes : les personnes en souffrance.
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### Culture du viol : expérimentations, faux thérapeutes et violences
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Enfin, et c'est un éléphant dans la pièce embarrassant pour la recherche psychédélique, les expériences ont été et sont toujours émaillées de violences psychologiques et sexuelles. Et cette fois-ci, le set and settings seul ne suffit pas. Peut-être avez-vous tiqué lorsque j'ai dit plus tôt que des personnes sous LSD demandaient parfois à être rassurées par du contact physique. Ce contact bienveillant, désintéressé, demandé et consenti est un élément normal du set and settings. Mais nous vivons dans un monde où les violences sexuelles sont omniprésentes et banalisées. On parle notamment de [culture du viol](https://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_du_viol) pour décrire
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> l'ensemble des comportements partagés par une société qui normalisent voire banalisent et encouragent les violences sexuelles.
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C'est assez tristement que j'ai réalisé que moi, je n'ai pas du tout tiqué sur ce point en commençant ces billets. C'est pourtant évident : une personne sous un état de conscience extrêmement modifié peut voir sa capacité à consentir altérée, d'autant avec des « thérapeutes » problématiques.
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Les exemples ne manquent pas. Vous vous souvenez de **MAPS**, l'association qui a finalisé un essai clinique de phase III avec la MDMA ? Pour rappel, l'idée est de traiter des [troubles de stress post-traumatique](https://fr.wikipedia.org/wiki/Trouble_de_stress_post-traumatique) en permettant grâce aux effets *entactogènes* de la MDMA, c'est-à-dire qui favorisent la communication, l’introspection, les contacts sociaux, l’empathie et l'expression libre. L'idée est d'amener un cadre permettant d'intégrer les traumatismes. Dans un des essais cliniques de MAPS, un couple de thérapeutes — dont un sans diplôme — a clairement abusé de sa position et a commis des violences sexuelles[^mdma_abuse]. La personne volontaire a complètement oublié le contenu de la séance. Après coup, elle s'est sentie complètement dépendante à ses thérapeutes sans parvenir à comprendre pourquoi. Ces derniers iront jusqu'à l'inciter à avoir des relations sexuelles lors de séances de « thérapie » assistée par MDMA sur une île privée. Constatant que son état se dégradait et ne pouvant toujours pas mettre le doigt sur ce qui n'allait pas, elle s'est lancée dans une longue bataille pour obtenir les vidéos de l'essai clinique. C'est à leur visionnage qu'elle a pu enfin comprendre. Cynisme de l'histoire, son cas compte comme une réussite dans l'étude finale.
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[^mdma_abuse]: L'histoire complète est [ici](https://www.thecut.com/2022/03/you-wont-feel-high-after-watching-this-video.html), et si c'est assez pénible à lire, ça vaut le coup pour comprendre l'enjeu.
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L'homme sans diplômes dont on parle, c'est Richard Yensen, un nom connu depuis des dizaines d'années dans le monde de la recherche psychédélique. Dans [une conférence](https://youtu.be/9GNRoVIOI0M), on peut constater non sans effroi à quel point il est en roue libre. Il y dit notamment qu'une « grande partie des thérapeutes » avaient des relations sexuelles avec leurs patientes dans les années 1980. Il raconte ensuite une anecdote où lui-même avait envie d'une relation sexuelle avec une patiente lors d'une étude, mais a été empêché par son directeur. Yensen est profondément à la ramasse et ne comprend rien au consentement. Il a l'air de croire qu'on peut le décider tout seul. Après tout, il s'y connaît, non ?
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{{<figure src="yensen_dryer.jpg" width="75%" caption="Richard Yensen et Donna Dryer, un couple de « thérapeutes » psychédéliques jouissant d'une autorité et d'une bonne réputation dans le milieu avant la médiatisation des violences commises pendant les expérimentations de MAPS.">}}
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{{<warn title="Être un hippie ne suffit pas">}}
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Fred Turner (ibid.) le rappelle dans son livre : il ne suffit pas d'avoir des idéaux d'autogestion, d'équité et d'unité pour les incarner. Nombre de hippies néo-ruraux des années 60 étaient des hommes blancs aisés, cumulant tous les privilèges. Il est très facile, lorsqu'on a des privilèges, de vivre un monde sans friction, qui peut paraître véritablement utopique. Pourtant, dans ces communautés, on a continué à observer des rapports de domination implicite, notamment genrés. Et il est d'autant plus difficile de détruire ces oppressions quand le discours prétend qu'elles n'existent pas. Jo Freeman en parle merveilleusement bien dans son discours « [La tyrannie de l'horizontalité](https://organisez-vous.org/tyrannie-horizontalite-jo-freeman/) » : sans structure, les oppressions reviennent toujours.
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{{</warn>}}
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Ces violences ne sont pas isolées[^sexual_abuse]. Et en définitive, ce n'est pas étonnant. Sans protocoles clairs et validés, sans personnes formées et encadrées, dans une culture du viol, la thérapie assistée par psychédéliques ouvre la porte à des abus graves. Comme dans une psychanalyse, le thérapeute peut se retrouver dans une situation asymétrique de domination et d'emprise. Dans le contexte actuel où les psychédéliques sont présentés comme une solution miracle, il est facile d'expliquer aux patient·es que si leurs symptômes ne s'améliorent pas, c'est parce qu'iels n'ont pas fait les choses comme il faut… et ainsi devenir au mieux des prescripteurs de morale, au pire des manipulateurs violents.
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[^sexual_abuse]: Il y a l'[histoire d'Erica Rex](https://www.madinamerica.com/2022/06/psychedelic-therapy-will-not-save-us/), journaliste au New-York Times, qui raconte une session sous MDMA : « It was tempting to imagine that therapists of the psychedelic movement were going to be cut from dramatically different cloth than that of my parents' generation. They are not so fine after all. The cult of personality, and the penchant for victim blaming in the field, seems to be unkillable ». Le [témoignage de Will Hall](https://www.madinamerica.com/2021/09/ending-silence-psychedelic-therapy-abuse/), notamment connu pour défendre les droits des patient·es en psychiatrie, est très précieux à lire.
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Et c'est d'actualité. Au moment même de l'écriture ce billet, la Société Psychédélique Française [alerte](https://mastodon.top/@zoe_dubus/110934502793130544) sur la recrudescence des thérapies psychédéliques dangereuses, menées par des pseudo-chamanes peu formé·es, prompt·es aux violences sexuelles et très porté·es sur l'argent.
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Pourtant, malgré quelques articles de presse, le sujet est ignoré dans les revues scientifiques. À ma connaissance, un [seul article](https://jamanetwork.com/journals/jamapsychiatry/article-abstract/2802941), spécifique à la MDMA, adresse ce problème. En cause, probablement la crainte d'être de nouveau stigmatisés après 40 ans de mort clinique. Mais les violences ne cesseront pas avant que la communauté scientifique s'en prenne le sujet au sérieux. On parle bien d'actes qui peuvent briser des personnes. Plutôt que de mettre la poussière sous le tapis, on devrait se jurer que ça n'arrivera plus jamais et renforcer le set and settings, former autour du consentement, mieux informer les patient·es et encadrer les thérapies.
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C'en est fini pour cette partie pas très joyeuse. Alors, histoire de ne pas rester sur une note sombre, haut les cœurs et direction la [clôture de cette série]({{<ref "/content/posts/lsd/05-conclusion/index.md">}}) 🥰.
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title: "Une autre médecine est possible"
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subtitle: Où l'on se permet de rêver un peu
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date: 2023-07-04
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categories:
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- Santé
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summary: Sacrée aventure pour les psychés. On a vu l'enthousiasme, la criminalisation, le renouveau, la récupération. Que faire de cette histoire ? Que peut-on souhaiter aux psychédéliques ? L'intérêt des patient·es sera-t-il enfin mis au centre ? Quelques mots pour conclure.
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imgLicence: « Mark Rose at Health Department rulemaking meeting » par Mmjconsult - CC BY-SA 4.0
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imgExplanation: En image d'illustration, Mark Rose, un activiste et travailleur médical américain souffrant de dépression, de syndrome de stress post-traumatique et de troubles bipolaires. Il [milite](https://www.youtube.com/watch?v=tZcrhxopJfs) pour la légalisation des psychédéliques, qui l'ont aidé à soulager ses symptômes, dans une démarche de coopération entre thérapeute et patient·es.
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notoc: true
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On l'a vu, les psychédéliques comme le LSD ont connu des périodes de grâce et de disgrâce. Leur histoire est riche et c'est ce qui en fait des objets d'étude intéressants.
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Dans cette série de billets, j'ai tenté de raconter un bout de cette histoire, en rendant compte du mieux que je pouvais des formidables travaux sur le sujet. Le LSD a d'abord suscité d'énormes espoirs, mais pas toujours pour les bonnes raisons.
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{{<info title="Les conclusions aussi ont droit aux anecdotes">}}
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La cocaïne, en son temps, avait aussi suscité beaucoup d'espoirs thérapeutique avant d'être abandonnée. Freud en était d'ailleurs un [grand consommateur](https://www.vice.com/en/article/payngv/how-cocaine-influenced-the-work-of-sigmund-freud).
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{{</info>}}
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Le LSD comme thérapie de choc ou agent de conversion des personnes homosexuelles n'est clairement pas du bon côté de l'histoire. Mais de bonnes raisons, il y en a : les psychédéliques ont montré une efficacité remarquable en soins palliatifs, dans les cas de dépression, d'anxiété et d'addictions. Des expériences de transformation majeure et persistantes sont rapportées après quelques séances. Dans ces « thérapies psychédéliques », il ne s'agit pas que de la substance : le soin accordé aux patient·es a enfin été mis au centre, comme l'incarne la prédominance du set and settings.
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Certaines raisons de son abandon sont aussi de mauvaises raisons. L'attitude paternaliste et sexiste des psychiatres en France en est une ; la panique morale importée des États-Unis en est une autre. Dans le lot, de bonnes raisons aussi : le manque de protocoles clairs pour assurer la sûreté du LSD et des thérapies psychédéliques.
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In fine, sa criminalisation est un processus extrêmement complexe et surtout pas linéaire. Mais de ce processus a longtemps subsisté un imaginaire négatif, rangeant les psychédéliques dans le rang des drogues-dures-qui-font-fondre-le-cerveau-de-nos-jeunes.
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Malgré cette mise au rebus, les pratiques de soin associées aux psychédéliques ont perduré, se sont développées et ont survécu clandestinement pendant 40 ans grâce aux milieux *underground*. C'est dans les années 2000 que reprennent timidement les recherches. 20 ans après, c'est le « renouveau psychédélique ». On se ré-approprie les techniques de set and settings et on les formalise. On adapte les expériences à la méthode scientifique moderne. On reprend les études là où on les avait laissées et on expérimente sur d'autres troubles. Années après années, les résultats sont encourageants et confirment le profil extrêmement sûr des psychédéliques. Peu de risques, résultats rapides, pas d'accoutumance, à rebours complet des molécules qui tournent en boucle depuis les années 80. C'est l'emballement : le renouveau psychédélique. Les sciences sociales se penchent alors sur l'histoire des psychédéliques et en proposent une nouvelle lecture.
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La presse est de nouveau très enthousiaste et l'emballement dépasse les sphères spécialisées : les psychédéliques seraient un nouveau remède miraculeux pour à peu près tout. Cet enthousiasme doit être pris avec la plus grande prudence, car des entreprises privées rapaces s'accaparent derrière ce nouveau marché qui s'annonce juteux. Elles dépenseront des millions en lobbying, pas toujours au bénéfice des patien·tes. Derrière le set and settings, il y a aussi un historique dramatique d'agressions, notamment sexuelles.
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Enfin, la *hype* généralisée pour les neurosciences a tendance à oblitérer l'importance de la psychothérapie et de l'accompagnement. Ce que je veux dire n'est pas qu'il est impossible qu'une personne dépressive qui consommerait de la psilocybine sans psychothérapie voie une amélioration de ses symptômes. Ce que je défends, c'est qu'il est vain de chercher une voie royale unique pour améliorer la santé mentale des patient·es. Chaque personne réagit différemment, et il faut urgemment abandonner cette vision paternaliste de la médecine pour commencer à **coopérer avec les patient·es**.
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[Un article](https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0269881114568040) résume admirablement le statut unique des psychédéliques en identifiant quatre effets thérapeutiques distincts. Ces effets peuvent s'accumuler, être présents partiellement, ou ne pas survenir du tout en fonction des personnes ; d'où la vanité de chercher une seule « bonne manière de faire ». Les auteurs proposent quatre mécanismes d'action pour les psychédéliques :
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1. En tant que médicaments, au sens d'agents pharmacologiques avec des effets sur les neurotransmetteurs ;
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2. En tant qu'outils pour faciliter les psychothérapies (avec set and settings), pour des indications privilégiées (comme les soins palliatifs) ;
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3. En tant qu'antalgiques, par exemple pour traiter des migraines réfractaires et autres douleurs chroniques ;
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4. En tant que facilitateurs d'introspection et d'expériences personnelles, en particulier dans des contextes spirituels.
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En guise de conclusion, je dirais ceci : si les psychédéliques sont porteurs d'un véritable espoir pour les personnes qui souffrent, essayons de garder notre esprit critique. À titre personnel, je serais très heureux si des personnes en dépression pouvaient, en une ou deux séances, guérir de manière joyeuse et durable. Je l'espère même très fort.
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Alors, si ça devait arriver, merci à toutes les personnes qui veillent au grain et dénoncent les abus. Merci aux personnes qui tentent sincèrement de produire des connaissances scientifiques solides. Merci aux humain·es qui n'ont pas attendu les institutions pour créer de la connaissance, partager des expériences, et prendre soin les un·es des autres. Merci à la pensée intersectionnelle, qui rappelle à quel point nous avons besoin d'espaces inclusifs dans le cadre de la médecine, en rejetant simultanément tous les mécanismes d'oppression.
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{{<figure src="queer_psych.jpg" caption="Crédits : [Psychedelics today](https://psychedelicstoday.com/2023/06/28/psychedelics-and-self-discovery-a-journey-through-the-queer-perspective/) — « Psychedelics and Self-Discovery: A Journey Through the Queer Perspective ».">}}
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Si vous avez apprécié ces billets, n'hésitez pas à les partager et à m'envoyer un petit mot. Et si vous avez quelque chose à y redire aussi, d'ailleurs ! En tout cas, merci d'avoir lu, et à une prochaine 💚.
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title: Les drogues psychédéliques en médecine
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subtitle: "Une histoire en trois actes : utilisation massive, criminalisation et renouveau"
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subtitle: "Une histoire en trois actes : utilisation massive, criminalisation et renouveau"
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code: LSD
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Des drogues psychédéliques, on retient souvent le LSD ; et du LSD on retient surtout l'image de hippies sous acide refaisant le monde.
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Des drogues psychédéliques, on retient souvent le LSD ; et du LSD on retient surtout l'image de hippies sous acide refaisant le monde.
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Pourtant, avant d'arriver dans la contre-culture étatsunienne, le LSD est la substance pharmacologique **la plus étudiée au monde**. Partout, le LSD semble à même de traiter des troubles psychiatriques et est utile en soins palliatifs.
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Pourtant, avant d'arriver dans la contre-culture étatsunienne, le LSD était la substance pharmacologique **la plus étudiée au monde**. Il semblait à même de traiter des troubles psychiatriques, était très utile en soins palliatifs et présentait peu d'effets secondaires.
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Comment en est-on arrivé à sa crimilisation massive et à son abandon ? Et sous quelles modalités les psychédéliques reviennent-ils en force ces dernières années ?
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Comment en est-on arrivé à sa crimilisation massive et à son abandon ? Et sous quelles modalités les psychédéliques reviennent-ils en force ces dernières années ?
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Si le monde anglo-saxon étudie cette bizarrerie depuis plusieurs années (*psychedelics studies*), en France c'est [Zoë Dubus](https://dubuszoe.wordpress.com/), docteure en histoire contemporaine, qui est la première personne à travailler dessus. Suite à une conférence que j'ai trouvée fascinante, j'ai eu envie d'écrire ces billets de blogs. Plus de détails dans l'introduction.
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Le reste du monde étudie cette question depuis plusieurs années avec les *psychedelics studies*. Mais en France, [Zoë Dubus](https://dubuszoe.wordpress.com/) — docteure en histoire contemporaine — est la première personne à traiter ce vaste sujet. Suite à une conférence que j'ai trouvée fascinante, j'ai eu envie d'écrire ces billets de blogs. Plus de détails dans l'introduction.
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Bonne lecture !
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Bonne lecture ! ☺️
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