[Rando] RC
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@ -33,7 +33,7 @@ Il est temps de tracer mon itinéraire. Je cherche plutôt des chemins existants
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Sans plus de suspens, voici le chemin que j'ai reconstitué après coup :
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{{<figure src="gpx.png" title="Rendu d'une trace GPX de l'itinéraire">}}
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{{<figure src="gpx.png" title="Rendu d'une trace GPX de l'itinéraire.">}}
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Le tracé fait environ 900 kilomètres et est assez direct, tout en étant confortable ;
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* Le GR1 fait le tour de la Seine-et-Marne, m'évitant de traverser des routes trop denses ;
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@ -130,10 +130,24 @@ Je croise aussi de nombreux lavoirs, mon étonnement faisant de nouveau état de
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Lors d'une nuit à nouveau seul en tente — qui me fera me rappeler pourquoi je n'aimais pas ça, et le lendemain, j'entends des explosions très régulières, comme des balles. Je finis par apprendre qu'il s'agit de [canons effaroucheurs d'oiseaux](https://www.lanouvellerepublique.fr/niort/ces-canons-qui-effarouchent-surtout-les-voisins), qui tirent jour et nuit à quelques minutes d'intervalle, parfois moins. J'aimerais entendre l'avis d'un spécialiste, mais je me questionne sur l'effet de ces dispositifs sur la vie nocturne des animaux.
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Je crois beaucoup d'annonces qui témoignent d'un sentiment d'insécurité, les plus caricaturaux étant peut-être les suivants.
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{{<figure src="alarme3000.jpg" title="Le Comic Sans MS remplit sa mission de faire rire au lieu de pleurer.">}}
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{{<figure src="videosurveillance.jpg" title="Si la Technopolice arrive même dans les forêts...">}}
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Bien entendu, on trouve quantité d'exemples qui prennent le chemin opposé.
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{{<figure src="voisins.jpg" title="Un détournement bienvenu du fameux « voisins vigilants ».">}}
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Chaource — qui a donné son nom au fromage — est une des villes les plus sinistres qu'il m'ait été donnée de voir. Il n'y a pas un chat dehors et j'essuie des refus assez désagréables dans la quasi-intégralité des maisons de la ville. J'ai le choix entre le presbytère et l'air de stationnement des camping-car ; j'y rencontre Suzanne et Tajdou, un couple de retraités baroudeurs qui m'offrent le repas et le petit dej'. À ce moment, je me dis que j'ai vraiment le cul (trop ?) bordé de nouilles. 😄
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Je ne compte pas le nombre d'actes de gentillesse des personnes que je croise, de l'épicier qui m'offre fruits et légumes aux habitant·es croisé·es dans la rue qui m'offrent sourires et discussions. Je crois que la figure du randonneur est fondamentalement sympathique : c'est l'étranger-local qui ne reste pas et raconte des histoires.
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Je crois énormément de bâtiments reliés par de grands tuyaux. Pendant plusieurs jours, je m'interroge. On m'apprendra que c'est l'infrastructure d'acheminement de l'eau vers Paris, qui en consomme bien plus qu'elle n'est capable de produire.
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{{<figure src="eau.jpg" title="Un bâtiment (de régulation ?) du réseau d'acheminement d'eau vers Paris. À l'intérieur, on ne voit que d'immenses « tuyaux » en métal.">}}
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À Chamesson, je tombe à pic : une boîte aux lettres m'inspire, et me voilà accueilli promptement par le père de Victor, qui avec Léna ont racheté une ancienne usine de clous, la Pointerie, [pour en faire un tiers-lieu](https://www.bienpublic.com/edition-haute-cote-d-or/2019/08/04/ils-font-revivre-l-ancien-site-industriel-de-la-pointerie). Je passe la nuit là-bas, Léna joue ses compositions au piano. Leur bibliothèque est remplie de livres qui m'ont nourris et le lendemain matin est doux. Je garde un souvenir précieux de cette soirée, même si je suis un peu triste que ma lettre, envoyée plus tard, soit restée sans réponse.
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Le lieu est splendide autant qu'impressionnant, comme l'illustre le mécanismes d'une turbine hydro-éléctrique construite il y a un siècle et toujours en fonctionnement.
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@ -145,3 +159,71 @@ Lors d'une dernière nuit en camping à Saint-Seine-l'Abbaye, je découvre un sy
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Une pause d'un week-end chez un ami et mon ancienne coloc, et c'est reparti.
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### Sur le GR7
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En descendant de Dijon vers Lyon, les paysages commencent à être plus vallonnés et les villages se font alors plus « rares ». Parfois, ils sont espacés de 20 à 30 kilomètres, ce qui m'oblige à prévoir mes journées en regardant la carte un peu plus précisément pour trouver un hébergement.
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{{<figure src="ane.jpg" title="J'adore les ânes. Je ne m'explique pas cette sympathie naturelle, mais ils me mettent en joie.">}}
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Je croise beaucoup de forêts enchanteresses aux couleurs à la fois sombres et lumineuses. C'est difficile de retranscrire cette sensation, mais elle me donne l'impression d'être complice, d'être à ma place.
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{{<figure src="foret.jpg" title="Le genre de forêt où je me sens bien.">}}
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Vu la région, je passe par quantité de vignes. Les gens qui m'hébergent sont nombreux·ses à y travailler pour la saison et se lèvent tôt, vers 5 ou 6 heures. Mes journées sont plus longues et il pleut beaucoup.
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Alors qu'à [Saint-Romain](https://fr.wikipedia.org/wiki/Saint-Romain_(C%C3%B4te-d%27Or)), je prends une longue pause sur un banc pour me sécher, une femme âgée m'invite chez elle. Son mari arrive peu après ; on me sert un café et des gâteaux. J'apprends qu'eux deux travaillaient à l'agence spatiale européenne, et s'en suit une discussion passionnante sur le droit dans l'espace : il a été conçu à une époque où on n'imaginait pas que des acteurs privés comme Musk aient les moyens d'y envoyer des trucs.
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Ils sont suisse-allemands et lui est arrivé pour travailler dans les vignes, par hasard, à 20 ans. Il est tombé amoureux du village et n'est jamais reparti. Wulf von Kries me dédicacera un livre, auto-édité en peu d'exemplaires : « le village de Saint-Romain, vu par un amateur d'Outre-Rhin ». Ce cas d'étude conduit avec une infinie humilité est un précieux documentaire sur les changements de la ruralité à Saint-Romain au siècle dernier. Cette histoire pourrait, je l'imagine, s'appliquer à bien d'autres villages.
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À Saint-Romain, le travail historique des vignes mobilisait beaucoup de monde.
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> Hommes et femmes y participaient. Tout le long de l'année, une bonne partie de la population se côtoyait dans le vignoble. On se parlait d'une vigne à l'autre ; des histoires se disaient en accolant. La forte diminution du nombre de vignerons et la mécanisation de la viticulture ont mis un terme à ce travail en commun. Aujourd'hui, le vigneron est seul sur son tracteur.
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Je peine à imaginer la vie collective dans les villages, car dans mon expérience de citadin, tout se fait à l'abri des regards.
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> [...] les moissons et les battages ; le pressurage du vin chez le voisin et la cuisson du pain au four du quartier ; le défonçage d'une vigne et les « corvées » d'entretien des chemins ; le lavage du longe dans les lavoirs ; les veillées entre famille amie ; les groupements syndicaux et, bien sûr, les sociétés et les fêtes.
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On imagine sans peine, comme ailleurs, la fermeture de toutes les boutiques locales, remplacées par les grandes zones commerciales et les routes nationales, qui relièrent le village plus aisément au « reste du monde ». Je ne peux m'empêcher de m'étonner, à la lecture, de la diversité artisanale de ce village au milieu du XX siècle, alors qu'il ne compte que 300 habitants :
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> [...] des forgerons et des charrons, un bourrelier, un ou deux sabotiers et un savatier, un menuisier et un plâtrier, un bouilleur de cru, et, bien sûr, des tonneliers. Sans oublier les coiffeurs, encore appelés perruquiers, autodidactes qui, le dimanche matin, abandonnant leurs activités de vignerons ou de cafetiers coiffaient les hommes ; les femmes conservaient leurs cheveux en chignon. À côté de tous ces artisans masculins on trouvait des femmes aux qualifications également indispensables : sages-femmes, couturières, raccommodeuses, brodeuses, matelassière.
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En arrivant à Moroges, sous le tunnel de la N80, je suis témoin d'une guerre de tag. C'est les seuls des environs.
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{{<figure src="tunnel.jpg" title="Au « they are refugees, not abusers » se superposent « dehors migrants ! » ; au « love them », quelqu'un ajoute « don't ». L'intégralité du tunnel est taggué sous cette forme.">}}
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Mont-Saint-Vincent est le *point culminant* du coin. Il faut le dire vite, car il me semble que ça ne dépasse pas 700 mètres. Épuisé, ne trouvant personne pour m'héberger — mon manque d'énergie n'aidant pas —, je décide d'aller au restaurant et de poser ma tente à côté de l'église ; la vue est imprenable.
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{{<figure src="msv.jpg" title="[Vue depuis Mont-Saint-Vincent](https://www.openstreetmap.org/search?whereami=1&query=46.63212%2C4.48086#map=18/46.63212/4.48086), vers l'est.">}}
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Alors que je rentre dans le restaurant, on m'indique que c'est complet. Me rabattant sur mon dahl quotidien, je vois un piano dans la salle. Les client·es ne sont pas encore arrivés et j'ai vraiment envie de jouer ; ma timidité ayant cédé pendant ces quelques semaines, je demande. Après un ou deux morceaux, le chef me propose un deal : je joue un peu pour les clients et il m'offre le repas. Un peu anxieux mais excité, j'accepte. Là encore, je suis ébahi par la sympathie des client·es, qui m'encouragent et me remercient ; j'avais peur de les déranger. C'est après un bon repas et une jolie conversation avec le chef que je partirais me coucher, en paix.
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La suite est anecdotique ; la fin est amusante. Alors que je marchais depuis un peu plus d'un mois, la solitude commençait sérieusement à me peser, mais peut-être pas autant que mon sac, qui tirait sur mes épaules et mes cervicales au point que la marche était désagréable. Je décide de ne pas aller jusqu'à Lyon. Ma dernière nuit sera au camping municipal. Mais les infos d'OpenStreetMap datent un peu et le camping est définitivement fermé. Il pleut des cordes, pas une âme à la ronde ; je fais du stop jusqu'à la ville attenante. Aucun camping et je n'ai pas l'énergie de faire le tour des maisons. Je décide de prendre un hôtel ; ils sont tous pleins, sauf un quatre étoiles.
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Voilà comment je terminerai mon mois de rando. Je passerai la soirée à m'étonner de trouver ma chambre entièrement rangée à chacune de mes absences. Au bar de l'hôtel, la personne de la réception semble un peu intriguée par mon allure et finit par me poser quelques questions. Un autre collègue arrive, et j'aurai l'occasion de partager une conversation en me faisant payer des coups. Le collègue, qui a une vocation pour la restauration depuis ses 14 ans, sera tellement emballé par ma rando qu'il insistera pour m'emmener jusqu'à Lyon, le lendemain, pendant son unique jour de repos. Une énième fois touché par les mille et un gestes que j'ai du mal à accepter, tant ils viennent de personnes moins privilégiées que moi, j'arrive au bout du voyage.
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Les retrouvailles avec mes ami·es à Lyon sont plus que mémorables, emplies de tendresse et de joie. Après un mois à faire le tour des copain·es de France, je rentrerais à Compiègne.
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## Un an après
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Rien n'a changé.
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Maintenant que c'est dit, j'aimerais détailler un peu. Rien de *fondamental* n'a changé.
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Le peu qui a changé : j'ai entraperçu des vies que je n'imaginais pas. Aussi, j'ai passé ma randonnée sur une sinusoïde, à alterner entre montée et descente, littéralement comme métaphoriquement. Cette matérialisation de mon état d'esprit — d'une joie incommensurable à une morosité comme deux boulets aux pieds — m'a aidé à mieux accepter l'impermanence de mon humeur. Après la montée, il faut toujours descendre, et après avoir descendu, il faudra bien remonter. C'était assez efficace de ce point de vue là.
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Ce qui n'a pas changé : mon mode de vie. Je pense, et je comprendrais qu'on ne soit pas d'accord, que très peu de personnes vivent des expériences de voyage réellement transformatrices. Je ne veux pas nier leur expérience, et je les prie de ne pas s'offusquer de ce qui suit. Je suis certain qu'il en existe, mais je suis aussi certain que nous sommes beaucoup à avoir placé des attentes trop hautes.
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En sciences, on considère aujourd'hui que le fantasme de l'*[experimentum crusis](https://en.wikipedia.org/wiki/Experimentum_crucis)* n'est plus pertinent. L'*expérience cruciale*, c'est l'expérience qui est censée régler une bonne fois pour toutes une question scientifique. C'est par ce biais qu'on a raconté des légendes, comme l'histoire de Galilée qui jette des trucs depuis la tour de Pise. Je pense qu'il faut affirmer la même chose avec le fantasme de l'*expérience transformatrice* supposée advenir des voyages, s'ils sont *bien faits*. Or, pour moi en tout cas, aucune expérience ne suffit *à elle seule* à changer les choses. Il n'y a pas de prise de conscience soudaine qui vient par la suite, magiquement, repeindre tout le décor. Il y a peut-être déclic, mais les déclics *seuls* ne suffisent pas.
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En voyage, on peut éventuellement gratter la surface de quelque chose qu'on ne connaît pas, être étonné, intrigué, attiré, repoussé, mais on apprend rien de fondamental. Le temps passé dans les paysages et avec les gens est trop court. On sent pourtant dans son corps cette sensation d'ivresse, on se délecte de la diversité et de l’amoncellement de ces expériences *extra-ordinaires*. Mais l'ivresse reste partout la même et retombe, quand on ne l'alimente pas.
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Et c'est bien de ceci qu'il est question : voyager offre un espace où le temps vécu se tord. L'éclairage change d'angle. Mais croire que partir marcher un mois seul suffit à se transformer, c'est *dangereux*. Dangereux car c'est l'effet « Instagram » : en plein mal-être, on regarde l'image fantasmée de quelqu'un·e en imaginant que pour peu qu'on limite, le mal-être partira. Quand ça n'arrive pas, on en parle pas car on a honte. On pense qu'on est nul, qu'on a pas fait comme il faut. Pire encore, parfois, on fait semblant, et on perpétue ainsi le mythe. Moi, j'ai commencé à boire sitôt rentré de rando pour retrouver l'ivresse qui me manquait tant dans ma coloc vide. J'aurais mis un an pour m'en extraire.
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Et en définitive, ce n'est pas très étonnant : rien n'a changé parce que *je n'ai rien changé*. Ma vie est restée peu ou prou la même pendant un moment : le même travail salarié, le même endroit, les mêmes questionnements, la même sinusoïde. Et de façon générale, il est raisonnable de penser que *faire la même chose produira inlassablement les mêmes effets*. On se ne change pas en comptant sur une expérience intense. Au mieux, on colore un petit peu sa vie, on ajuste quelques curseurs. Mais si elle est insatisfaisante quant à nos besoins fondamentaux, ben... ça ne changera pas. Aussi, le rythme de la vie quotidienne se calque mal sur celui du voyage. Au mieux, on ne fait qu'*émuler*. Ultimement, il faut agir.
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Agir, c'est aussi ce que je m'étais promis en rentrant : faire plus de trucs, et mieux. Mais cette indexation de ma valeur à la quantité de choses accomplies est toute aussi néfaste, car culpabilisante et insatisfaisante les jours calmes.
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C'est donc derrière la surface que j'ai effleurée pendant cette rando que j'aimerais aller creuser. Aller m'installer dans un environnement qui me parle, pour longtemps. Prendre le temps de découvrir les petits détails, de connecter avec les gens pour de vrai. Prendre le temps tout court, comme une *feature* et pas comme un *bug*. Me rendre compte de ce qui relève du vernis ou pas, et transformer ces *moments extraordinaires* en *moments de vie*, pour qu'ils ne restent pas que des anecdotes douces-amères au fond d'un tiroir.
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Alors, un an après, je quitte Compiègne. Je m'installe à [Calafou](https://calafou.org/web/index.php/inicio), en Catalogne. C'est un lieu de vie, de lutte et de construction dont les thèmes tournent beaucoup autour d'un numérique libre, inclusif et émancipateur.
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Voilà, à mon sens, un pari plus durable. À dans un an !
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